Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 44, mars-avril 2006 > DOSSIER : L’immigration, cible des démagogues

DOSSIER : L’immigration, cible des démagogues

Gauche, droite : des décennies d’incitation... et de répression

Mis en ligne le 11 mars 2006 Convergences Politique

L’entrée, le séjour et l’établissement professionnel des étrangers n’ont pendant longtemps été soumis ni à contrôle a priori ni à autorisation. L’obligation d’une déclaration en mairie pour les résidents non français n’apparaît qu’en 1888, systématisée 5 ans plus tard par l’ouverture d’un registre d’immatriculation des étrangers dans chaque commune.

Pendant la Première Guerre mondiale, pour combler les besoins nés de la mobilisation, l’État organise l’enrôlement de la « main-d’œuvre coloniale » (Nord-Africains, Indochinois...), mais aussi de la « main-d’œuvre étrangère » par la négociation d’accords entre gouvernements. Parallèlement est mis en place, en 1917, le premier système d’autorisation sous forme d’une carte d’identité pour les travailleurs étrangers, délivrée sur présentation d’un contrat d’embauche visé par l’administration.

De la guerre au plein emploi et à la crise...

Le besoin de main-d’œuvre après-guerre est tel que la règlementation ne gêne nullement les associations patronales, regroupées dès 1924 au sein de la Société générale d’immigration qui exerce un monopole de fait sur l’immigration organisée.

La crise économique au début des années 1930 frappe de façon spécifique les travailleurs non français : la loi du 10 août 1932 instaure des quotas d’ouvriers étrangers dans l’industrie ; puis ce sont, en 1934-35, des retours forcés qui visent particulièrement les familles polonaises (seconde population étrangère en métropole après les Italiens), organisés par l’État voire directement par les employeurs, comme les Houillères du Nord qui financent des convois de rapatriement. Cependant, des entreprises obtiennent sans peine une dérogation aux quotas d’emploi d’étrangers, notamment pour pourvoir des postes pénibles et peu qualifiés.

... et bis repetita

C’est au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale que s’affirme véritablement une politique de contrôle de l’immigration par l’État. L’ordonnance du 2 novembre 1945 d’une part reprend des aspects du contrôle policier des étrangers prévu par des décrets-lois de 1938 et, d’autre part, crée l’Office national d’immigration à qui est confié en principe le monopole de l’introduction en France de main-d’œuvre étrangère : le droit d’entrée et de séjour est subordonné à la production préalable d’un contrat de travail, l’employeur devant offrir de son côté des garanties en matière d’emploi et de logement.

En pratique, l’Administration délivre les cartes de séjour et de travail à de nombreux travailleurs étrangers, entrés comme touristes ou clandestinement et qui, dans les conditions de l’époque, trouvent aisément sur place à s’embaucher... mais sans bénéficier alors des quelques garanties que l’Oni mettait à la charge de l’employeur ! Cet aspect pèse également sur les travailleurs originaires d’Algérie qui, Français sur le papier, ne relèvent pas de l’Oni et sont « libres » de venir s’entasser dans des bidonvilles, autour des cités industrielles de la métropole. En parallèle, l’État fait appel à ce qu’il n’appelle plus la « main-d’œuvre coloniale » : en 1963 est créé le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations intéressant les DOM) qui, jusqu’à sa disparition en 1981, organisera le départ vers la métropole de plusieurs dizaines de milliers d’Antillais et de Réunionnais, sur la base d’un volontariat contraint par le chômage local et avec, à l’arrivée, surtout des emplois subalternes, notamment dans la fonction publique (PTT, hôpitaux, administration...), fermés aux travailleurs étrangers.

C’est avec le retour du chômage que l’État redécouvre, contre les immigrés, la rigueur de la loi : en 1972, les circulaires dites Marcellin et Fontanet - respectivement ministres de l’Intérieur et du Travail - interdisent la régularisation des travailleurs entrés en France sans contrat de travail. Si des grèves de la faim de ceux qu’on n’appelle pas encore « sans-papiers » imposent des régularisations à l’été 1973, le virage est néanmoins pris.

Dès 1974, le gouvernement, sous la présidence de Giscard d’Estaing, décrète l’arrêt d’une immigration économique dont le patronat n’a plus autant besoin. La diminution de la population étrangère, est incitée par l’ « aide au retour » à partir de 1977, mais aussi contrainte par le non-renouvellement d’autorisations de travail entraînant la perte du droit de résider en France. S’y ajoute un volet policier avec la loi Bonnet de janvier 1980 qui modifie substantiellement, pour la première fois, l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour permettre la détention puis l’expulsion de ceux dont le titre de séjour n’est pas renouvelé.

Alternance, mais même politique

Malgré quelques mesures immédiates (suspension d’expulsions en cours, régularisations exceptionnelles, abrogation de dispositions de la loi Bonnet), l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ne change pas la logique qui vise désormais à opposer les « bons » immigrés - dont le patronat a besoin - aux candidats jugés indésirables. Même la loi du 17 juillet 1984 qui, en créant un titre unique de séjour et de travail pour 10 ans, automatiquement renouvelable, dissocie pour la première fois de l’occupation d’un emploi le droit pour tous les étrangers de résider en France, s’inscrit dans cette logique : aux uns, on parle d’« intégration » ; aux autres on oppose la fermeture des frontières.

Depuis, l’orientation générale des gouvernements de gauche comme de droite est restée la même, résumée par les propos du Premier ministre Rocard en 1990 : « Nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. Le temps de l’accueil de main d’œuvre étrangère (...) est donc désormais révolu. »

Ainsi l’idée des « charters », inaugurée par Pasqua en octobre 1986 avec l’expulsion collective de 101 Maliens, sera publiquement reprise par Édith Cresson, alors Premier ministre socialiste... bien avant que Sarkozy ne la remette au goût du jour en mai 2003, après avoir proposé de « mutualiser » ces « vols groupés » entre pays de l’espace Schengen.

De même pour les lois Pasqua-Debré de 1996-1997 qui transforment en « sans-papiers » des dizaines de milliers d’étrangers, parfois présents en France depuis de longues années et que les textes antérieurs autorisaient à y rester : de retour au gouvernement, la gauche refusera de les abroger et se contentera de régularisations au cas par cas, dans le cadre de la circulaire Chevènement de juin 1997.

Gérard WEGAN

Imprimer Imprimer cet article