« Ferme et humain » ou « humain et ferme » ?
Mis en ligne le 18 janvier 2007 Convergences Politique
L’immigration avait été un des thèmes de la campagne des élections législatives de 1997, moins d’un an après l’occupation de l’église Saint-Bernard qui marquait la naissance du mouvement des sans-papiers. De nombreux étrangers et leurs soutiens avaient mis leurs espoirs dans la gauche, même si le candidat Jospin ne s’était engagé qu’à « repeigner » les lois Pasqua-Debré, qui durcissaient les conditions d’obtention de la carte de séjour. Dès juin 1997, Chevènement, ministre de l’Intérieur, propose un « plan de régularisation » : 150 000 dossiers sont déposés dans les préfectures. Résultat : 80 000 régularisations, mais 70 000 déboutés, inscrits au « fichier des personnes recherchées » et expulsés en priorité. La politique de la carotte et du bâton, donc... qui a eu comme conséquence - et c’est l’intérêt de la gauche pour la bourgeoisie - de démobiliser la partie de l’opinion publique un temps solidaire du combat des sans-papiers.
Chevènement expulsé de l’au-delà
En 1999, légère inflexion, c’en est fini de la carotte. Chevènement, après un long coma, revient avec un objectif affiché : dépasser le record d’expulsions établi par le gouvernement précédent (12 000 par an, plus que sous Debré, même si c’était encore loin du record atteint en 2006 : 20 000). Contrôles au faciès, consignes répressives, racolage xénophobe... La gauche fait de la concurrence à la droite. Symbole : en mai 2000, les CRS évacuent brutalement la Bourse du travail de Lille occupée par des sans-papiers. Quatre ans après Saint-Bernard, retour à la case départ.
La double peine n’avait toujours pas été abrogée en 2002. L’assistance à un étranger en situation irrégulière est restée un délit. Quant au droit de vote des étrangers, même seulement aux élections locales, la gauche le promet depuis plus de 25 ans sans avoir jamais eu le courage de le faire. Au bilan, à la fin du mandat, les lois Pasqua-Debré n’étaient pas abolies, mais simplement toilettées : certains aspects inapplicables avaient été corrigés, d’autres durcis.
Sauvageon, c’est moins pire que racaille ?
Les provocations bravaches de Sarkozy ne sont pas aussi nouvelles que la gauche voudrait nous le faire croire. Les « premiers flics de France », quelles que soient leurs couleurs, rivalisent d’ingéniosité pour être plus démagogues que leurs prédécesseurs. Un petit quizz vaut mieux qu’un long discours : vaut-il mieux être qualifié de « sauvageon » (sauce Chevènement) ou de « racaille » (façon Sarkozy) ? Qui a interdit les rassemblements dans les halls d’immeuble en octobre 2001 ? Qui a profité du plan vigipirate et du 11 Septembre pour remplir un peu plus les centres de rétention ? Qui a proposé en premier la création « d’internats d’excellence scolaire », pour les parents qui voudraient « soustraire leur enfants à certaines mauvaises fréquentations » ? Qui a comparé l’action de la Bac à celle des casques bleus de Sarajevo ? Qui a importé en France le concept de « tolérance zéro » ? [1]
Ils sont bien injustes les critiques de l’UMP qui qualifiaient de « laxiste » le gouvernement de gauche plurielle. Par veulerie et par calcul politique, la gauche a emboîté le pas à la droite, trop heureuse de laisser désigner une fraction des travailleurs comme responsables de la dégradation des conditions de vie de tous. Certes, Sarkozy a montré depuis que, sur un plan purement comptable, il pouvait être pire que Jospin, d’autant plus qu’il a encore aggravé les lois Pasqua-Debré-Chevènement par sa loi d’« immigration choisie » de juin 2006. Mais, contrairement à la gauche, il n’avait pas la confiance de ceux qui auraient pu ou voulu s’opposer à l’offensive réactionnaire.
Raphaël PRESTON
[1] Dans l’ordre : à vous de voir. Jospin, avec la « loi sur la sécurité quotidienne », deux ans avant la « loi pour la sécurité intérieure » de Sarkozy. Vaillant, deuxième ministre de l’intérieur de Jospin. Dray, « Monsieur sécurité » du PS, actuel porte-parole de Royal. Le même. Encore lui.
Mots-clés : Immigrés | Parti socialiste