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Faisons-les battre en retraite !

Faisons-les battre en retraite !

Mis en ligne le 17 septembre 2019 Convergences Politique

Macron a mis en branle, à la veille de l’été, sa nouvelle attaque d’ampleur contre le monde du travail : sa réforme des retraites. Mais il est quand même dans ses petits souliers. Qui sait si les Gilets jaunes, qui lui ont fait passer l’an dernier une année cauchemardesque, et qui ont maintenu piquets et réunions pendant l’été, ne vont pas resurgir en force en cette rentrée ? Ils ont déjà commencé ce samedi 6 septembre. Et qui sait si l’annonce de cette réforme des retraites, une attaque bien plus sévère que la taxe carbone de décembre dernier, ne va pas accroître sacrément leur colère et la propager cette fois à tout le monde du travail, y compris celui des plus grosses entreprises ?

Alors Macron, le 26 août dernier, a fait mine de battre un peu en retraite : foin de cet « âge pivot » de 64 ans préconisé par le rapport de son « haut commissaire à la réforme des retraites », Jean-Paul Delevoye. Le président lui préfèrerait l’augmentation du nombre nécessaire de trimestres de cotisations pour avoir droit à une pleine retraite.

Et pour rassurer le monde des politiciens, à commencer par ceux de LREM qui craignent pour leur élection, il annonce que la nouvelle loi sur les retraites ne sera pas promulguée avant les élections municipales de 2020. Aux syndicats, il promet de tenir la jambe pendant au moins six mois à coups de rounds de marchandages. Et pour flatter sa clientèle, le gouvernement pourrait lancer à l’échelle du pays un nouveau « Grand débat », du cause toujours.

Si bien qu’on ne connaît pas dans tous les détails le texte définitif de la réforme que le gouvernement entend imposer. Des ajustements à la marge seront sujets à marchandages. Mais les grandes lignes en sont claires : ce sont celles du rapport publié en juillet dernier, sous la houlette de Jean-Paul Delevoye, qui vient d’ailleurs d’être promu au poste de membre du gouvernement, secrétaire d’État chargé de mettre en application la réforme.

Âge « pivot » contre augmentation du nombre d’annuités : deux faces d’une même attaque

Pour la grande majorité des salariés, que l’âge de départ à la retraite, légalement possible dès 62 ans, soit de fait reporté à un âge « pivot » de 64 ans d’ici 2025 en pénalisant d’une décote ceux qui partiraient avant, ou qu’on augmente le nombre requis d’années travaillées (43 annuités en 2035 voire plus), revient grosso modo au même : les obliger à partir plus tard s’ils ne veulent pas voir le montant de leur retraite sévèrement amputé. Mais la nouvelle variante présidentielle n’est pas totalement neutre : c’est une façon de plaire à la CFDT qui ne demande qu’un prétexte pour se rallier au projet gouvernemental. Car la CFDT se dit attachée au dispositif des « carrières longues », mis à mal par le projet initial. C’est en effet sous le prétexte d’avoir obtenu une clause spéciale pour ceux qui avaient commencé à travailler jeunes que la CFDT s’était déjà ralliée à la réforme Fillon des retraites en 2003, en criant victoire. Dans la même veine, Laurent Berger, l’actuel secrétaire général de la CFDT, s’est réjoui du petit virage de Macron : « Tant mieux si nous sommes écoutés ».

Points par points pour mieux nous grignoter

La mesure phare de cette réforme doit être la mise en place de la retraite dite « par points » : les euros cotisés donneraient droit à des points, et c’est en fonction des points accumulés tout au long d’une carrière que serait calculée la retraite. Nous ne parlons là que de la retraite de base (pour les retraites complémentaires, qui fonctionnent déjà par points, voir notre encart, p. 2). Chaque « euro cotisé ouvre les mêmes droits à retraite. Des droits identiques, à carrières identiques, en résulteront » écrit le rapport Delevoye. Ce serait le principe de « l’équité » selon lui. Ce que le gouvernement voudrait surtout masquer, sous le jargon d’un système prétendu plus juste, c’est que le but premier de la réforme est, comme les réformes précédentes dont elle se voudrait l’acte final, de baisser le montant des retraites.

Ce montant a déjà sacrément baissé depuis la réforme de Balladur de 1993, la base de calcul du montant de la retraite passant alors progressivement du salaire moyen des 10 meilleures années à celui des 25 meilleures évidemment plus faible. Avec le système par points, c’est pire : c’est le salaire de toute la durée de la carrière qui servira de base de calcul, et sans neutraliser les périodes de chômage et de petits boulots par intermittence…

Liberté, liberté chérie… de crever au boulot

Mais à tout malus, bonus est bon. N’oublions pas la « surcote ». C’est la grande liberté, selon Macron et Delevoye : à chacun de choisir sa vie, ou à chacun de choisir de se tuer à la tâche. Ainsi, si chaque salarié garderait le droit de partir dès 62 ans avec une retraite amputée, il aurait aussi le droit de partir à 65, 66 ou 67 ans, non seulement en ayant gagné quelques points de plus, mais surtout en bénéficiant d’une surcote, quelques pourcents supplémentaires sur le montant de sa pension selon les années passées au boulot au-delà du « pivot » – ce qui accentuerait le système de surcote déjà existant. Et si, malgré tout cela, il n’a toujours pas une retraite qui lui permette de vivre, Delevoye lui promet la possibilité de reprendre, en plus de sa retraite, « une activité, sans plafond ni limite ». Drôle de liberté, sauf peut-être pour quelques hauts cadres retraités qui y verraient l’opportunité de meubler leurs journées par quelques missions d’ingénieur conseil.

Un système de retraite perpétuellement adaptable aux besoins du patronat

Il faut ajouter la souplesse supplémentaire qu’offre ce système par points, de moduler périodiquement le montant des cotisations des salariés et celui des retraites versées, sans plus avoir besoin de nouvelle loi pour augmenter les cotisations et baisser les pensions. Il suffira de réévaluer régulièrement le montant à cotiser pour avoir droit à un point et modifier la valeur du point lors de la liquidation de la retraite, c’est-à-dire le montant auquel donne droit, dans le calcul de la pension, chaque point accumulé. C’est un « Conseil d’administration de la caisse nationale des retraites » qui en aura la charge. Il sera paritaire, promet le gouvernement, moitié représentants des patrons, moitié représentants de syndicats. Merci pour ces derniers, même si ce n’est en rien un gage d’indépendance des syndicats pour défendre les intérêts des travailleurs. Car la tâche qui incombera à ce conseil est bien précisée : assurer l’équilibre des caisses de retraites quels que soient les aléas de l’économie, sans toucher aux intérêts du patronat.

Si l’évolution du chômage troue les caisses de l’assurance vieillesse notamment, pan sur le montant des retraites. Ou si les travailleurs meurent de plus en plus vieux. Ce fameux « âge pivot » qui serait fixé à 64 ans en 2025, ou le nombre minimal d’annuités porté à 43 ans, selon la version qui serait finalement choisie, ne sont que des étapes : à charge aux cogestionnaires ensuite de les augmenter, si une mauvaise conjecture économique se présente.

La seule variable d’ajustement dont en haut lieu il ne peut être question, c’est de prendre sur les profits. Évidemment.

L’alignement toujours vers le bas

C’est par souci « d’équité », clame le gouvernement, que son nouveau système se voudra « universel » et en finirait avec les régimes spéciaux et avec la disparité entre le système de retraite des fonctionnaires et celui du privé. Mais leur prétendue équité, c’est toujours l’alignement vers le bas.

Certes la retraite des fonctionnaires est basée sur leur traitement de fin de carrière, donc le plus élevé, et non sur le salaire moyen des 10 meilleures années, ni des 25, et encore moins de toute la carrière. Mais Delevoye lui-même est bien obligé de noter les limites de ce prétendu privilège, lorsque son rapport préconise, en échange, de compter les primes dans la base de calcul de la nouvelle retraite. Elles ne le sont pas dans le calcul actuel des retraites de la fonction publique, ce qui, pour beaucoup de fonctionnaires, ramène grosso modo le ratio entre le montant de leur pension et celui de leur dernier salaire à celui des salariés du privé. Sans parler des salaires très bas des plus petites catégories de fonctionnaires.

Quant aux régimes spéciaux, notamment l’âge plus bas de départ à la retraite de certaine catégories, comme les cheminots, les infirmières, il y a déjà eu plusieurs réformes qui les ont peu à peu rognés, voire fait sauter. Mais rappelons tout de même qu’en 1995, c’est notamment en attaquant les régimes spéciaux que le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, s’était cassé le nez avec son plan de réforme des systèmes d’assurance maladie, d’assurance chômage et de retraites. Déclenchée par la colère des cheminots, suivis par bien d’autres catégories aux cris de « tous ensemble, tous ensemble, ouais ! », la France avait connu la plus grande vague de grève depuis mai 1968, qui l’avait fait capituler.

Et si on remettait ça, à l’automne 2019 ?

Les confédérations syndicales elles-mêmes n’en prennent pour l’instant pas le chemin. Pas plus qu’elles n’ont soutenu les Gilets jaunes l’an dernier. Ne parlons pas de la CFDT, bien sûr, dont en 1995 Nicole Notat (la secrétaire générale de l’époque) s’était fait virer d’une manifestation par les cheminots CFDT en colère, et dont le chef de file d’aujourd’hui est prêt à sourire au moindre clin d’œil de Macron. Mais même pour les dirigeants des autres confédérations, dont FO et la CGT, les négociations et la cogestion sont leur mode de vie, bien plus que la lutte. Les syndicats sont de toute façon déjà associés à la gestion des caisses de sécurité sociale, maladie, allocations familiales et retraites, et cogestionnaires avec le patronat des caisses de retraites complémentaires. Et ils sont plus prompts à se montrer « responsables », en se proposant de marchander une moins mauvaise réforme, qu’à lutter contre.

C’est ainsi qu’après avoir été reçu en fin de semaine dernière à Matignon, où étaient successivement conviées toutes les organisations patronales et syndicales, le secrétaire général de FO, tout en rappelant qu’il contestait « le point de départ de cette réforme », répondait sur sa future participation au processus de concertation annoncé par Macron : « nous ne ferons rien qui laisse entendre que c’est perdu d’avance et nous ne déserterons jamais le terrain de la défense des salariés sur les retraites ». Pour ne pas perdre, comme « terrain de défense » il y a mieux que les tables rondes de Matignon.

Plus radical, Philippe Martinez, secrétaire de la CGT, parle tout de même de prendre dans la poche des patrons : « Il faut aussi réfléchir à de nouvelles entrées de cotisations, en augmentant les salaires et en supprimant des exonérations de cotisations des employeurs. Vu les dividendes versés aux actionnaires, il ne doit pas y avoir de problème de trésorerie dans les grandes entreprises ! »

Mais en cette rentrée, ces deux confédérations, qui se disent fermement opposées à la réforme, ont trouvé le moyen d’appeler contre celle-ci à deux journées de manifestation séparées : FO le 21 septembre, la CGT le 24. Bien sûr qu’il vaudra mieux que ces manifestations soient les plus nombreuses possible. Mais ce n’est pas de ces directions syndicales-là que viendra l’explosion sociale qui enverra à la poubelle cette attaque contre les retraites.

À nous de nous en charger nous-mêmes. Avec des gilets jaunes ou rouges, peu importe.

Mais tous ensemble, ouais ! 

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