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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 73, janvier-février 2011 > DOSSIER : L’Europe de la crise : Mêmes attaques, mêmes colères

DOSSIER : L’Europe de la crise : Mêmes attaques, mêmes colères

Espagne : La gauche à l’offensive contre les travailleurs

Mis en ligne le 29 janvier 2011 Convergences Monde

L’Espagne est un des pays d’Europe les plus fortement touchés par la crise. Un taux de chômage de près de 20 %, qui monte à 30 % dans certaines provinces. Depuis les difficultés financières de la Grèce, la bourgeoisie et le gouvernement espagnols ont beau jurer que leur situation n’a rien de comparable (ils ont même tenu à apporter des fonds dans le plan de secours à la Grèce), les réformes d’austérité annoncées en 2010 ressemblent à celles prises en Grèce ou au Portugal. On assiste à une nette accélération des attaques gouvernementales contre le monde du travail. Offensive menée par la gauche, par ce PSOE au pouvoir depuis 2004, de l’actuel chef du gouvernement Zapatero.

2011 : la crise est toujours là

D’abord, il y a une réduction drastique du budget de l’État : réduction des salaires des fonctionnaires, quasi gel de l’embauche publique, réductions de budgets dans de multiples services publics. À la demande du patronat, le gouvernement a mis en place en 2010 une réforme des contrats de travail, permettant entre autres d’abaisser le coût des licenciements des récents embauchés et de faciliter les licenciements économiques. L’année 2011 a aussi commencé avec la suppression du « chèque bébé » (allocation de 2 500 € pour la naissance d’un enfant instituée par Zapatero en 2007), et celle d’une allocation de 426 € pour les chômeurs de longue durée. La hausse annuelle du salaire minimum a été limitée à 1,3 % (ce qui le porte à 641 € bruts). Mais la hausse du tarif de l’électricité est de 9,8 % ! Et pour les mois à venir, vient une réforme des retraites annoncée en 2010, incluant le passage de l’âge de départ de 65 à 67 ans, et des baisses importantes des pensions.

Le gouvernement socialiste amplifie les mesures anti-ouvrières… et son discrédit ! Les quelques réformes progressistes, comme la mise en place d’un droit à l’IVG [1] ou le mariage homosexuel, combattues avec virulence par la droite et l’Eglise, ne servent plus à donner le change. Les élections au parlement catalan de novembre 2010 ont été une déroute pour lui et ses alliés locaux.

Un (petit) revirement syndical

Dans un tel contexte, il y a eu quelque infléchissement de la politique des deux plus importantes centrales, UGT et CCOO [2]. Soutiens du gouvernement jusque-là, elles ont commencé à émettre des critiques et proposer des mobilisations. Début 2010, appel à des manifestations contre les annonces d’austérité. Et le 14 juin 2010, face à la réforme des contrats de travail, annonce d’une journée de grève générale, placée sous le slogan « Pas ainsi », critiquant le manque de dialogue social, et surtout annoncée pour... le 29 septembre, date d’une journée d’action de la CES.

L’Espagne a connu quatre journées de grève générale entre 1985 et 2002, contre le gouvernement socialiste de Gonzalez ou celui de droite de Aznar. Mais bien espacées ! Le 29 septembre 2010 était la première grève générale convoquée depuis le retour au pouvoir de la gauche en 2004. Quelques mois auparavant, les dirigeants syndicaux en étaient encore à expliquer qu’une grève générale ne pourrait pas créer d’emplois et qu’un dialogue social de qualité la rendait inutile en Espagne.

Les travailleurs du métro de Madrid n’ont pourtant pas attendu septembre pour se mettre en mouvement. Touchés par des réductions de salaires dans le public, ils se sont mis en grève massive fin juin et début juillet, en passant outre le service prétendument « minimum » imposé par le gouvernement local. Le métro est resté paralysé pendant quatre jours. Le gouvernement de la région de Madrid est revenu sur la baisse des salaires (avec finalement 20 € de baisse contre les 100 € initialement prévus). Ceci dit, certains travailleurs sont encore aujourd’hui menacés de sanctions disciplinaires, voire de licenciement.

Des piquets de grève marchants

Malgré toutes les limites posées par les centrales syndicales, la journée du 29 septembre a été largement suivie, en particulier dans l’industrie. Des piquets de grève marchants ont fait le tour des villes, des commerces, des zones industrielles pour appeler les travailleurs à se joindre à la grève. Des manifestations importantes ont eu lieu dans plusieurs villes (500 000 à Madrid d’après les syndicats). Dans les cortèges, les manifestants reliaient toutes les questions qui touchaient le monde du travail : chômage, réformes, retraites, salaires. Mais depuis, UGT et CCOO n’ont proposé pour seule suite qu’une journée de manifestations le 18 décembre. Des syndicats issus de la tradition anarcho-syndicaliste (CGT, CNT, Solidarité ouvrière) et la faible extrême gauche se prononcent aujourd’hui pour une nouvelle journée de grève générale. Des syndicats nationalistes appellent à une grève générale le 27 janvier au Pays Basque [3], ainsi qu’en Galice.

Si les confédérations brandissent la menace d’une nouvelle journée, elles multiplient surtout les signes prouvant leur bonne disposition à conclure un accord avec le gouvernement et avec le patronat. Et cela, alors que le gouvernement marque à l’occasion d’un conflit avec les contrôleurs aériens qu’il n’hésitera pas à recourir à la manière forte contre les travailleurs.

17 janvier 2011

Michel CHARVET


La mobilisation de l’armée de l’Air contre les contrôleurs aériens

Le 3 décembre dernier, le gouvernement faisait passer un décret fourre-tout : à côté de cadeaux fiscaux aux entreprises, de privatisations et de bien d’autres mesures, venait un article sur le décompte du temps de travail des contrôleurs aériens (bien supérieur en Espagne à ce qu’il est dans la plupart des pays d’Europe). La pénurie de personnel fait que les contrôleurs multiplient les heures supplémentaires, et reçoivent régulièrement par SMS des demandes de leur hiérarchie pour en faire de nouvelles. En excluant du compte du nombre d’heures de travail « aéronautique » ce qui y était auparavant inclus (congés maternité ou maladie, formations, décharges syndicales), le décret autorisait donc à faire encore plus d’heures. À l’aéroport de Saint-Jacques de Compostelle, quelques contrôleurs avaient déjà fait le quota légal d’heures totales pour 2010 à la fin novembre et refusaient de travailler plus, en exigeant le respect de la réglementation. En plus, le décret prévoyait la possibilité de mise sous tutelle militaire des contrôleurs civils.

En découvrant la teneur de ce décret, le jour même dans plusieurs aéroports, des contrôleurs stupéfaits et ulcérés se sont arrêtés de travailler. Ils ont fait appel à une loi permettant de se retirer du travail en cas de condition physique ou psychologique non favorable. En quelques heures : arrêt total de la circulation des vols dans l’espace aérien espagnol, d’autant plus spectaculaire que la direction des aéroports avait anticipé et annulé de nombreux vols. Et le gouvernement a combattu cette grève sauvage par la manière forte. Les contrôleurs ont été en partie remplacés par des contrôleurs militaires et les contrôleurs civils ont été mis sous tutelle de l’armée de l’Air, comme le permettait précisément le décret qui avait mis le feu aux poudres ! Pour couronner le tout, le gouvernement a décrété l’état d’alarme le 4 décembre, procédure d’exception qui n’avait jamais été utilisée en près de 35 ans de démocratie ! Puis avalanche d’ouverture de dossiers disciplinaires, de menaces de procès militaires pour « sédition » (les ministres faisant de la surenchère sur les sanctions, évoquant des peines de huit ans de prison ou la saisie des biens immobiliers des contrôleurs). Le tout accompagné d’un déferlement de propagande présentant les contrôleurs comme des hyper privilégié ne se souciant pas des centaines de milliers de voyageurs attendant leurs avions... Face à cela, les contrôleurs aériens qui avaient majoritairement exprimé leur colère en quittant leur poste, l’ont tous repris en moins de 48 heures. Ils sont restés jusqu’au 15 janvier soumis aux autorités militaires. Des centaines d’entre eux sont encore menacés de procédures judiciaires et disciplinaires. Et le ministre de l’intérieur, nouvel homme fort du gouvernement, de déclarer : « Celui qui joue au bras de fer avec l’État, perd ».

Depuis, la privatisation des aéroports est en route. Sont annoncés des plans d’automatisation des tours de contrôle d’aéroports les moins fréquentés, de cessions du contrôle à des compagnies privées. L’hystérie anti-contrôleurs continue.

Pour cette opération musclée, le gouvernement a reçu le soutien de l’UGT et des CCOO qui ont dénoncé le comportement « irresponsable » des contrôleurs et une action n’ayant rien de commun avec une grève. Osant même distinguer l’attitude corporatiste des contrôleurs de celle des « syndicats de classe » qu’ils dirigent.

M.C.


[1Avant la loi sur l’IVG de 2010, l’avortement n’était possible dans les textes que sous certaines conditions. Néanmoins, en pratique, l’application de la loi était assez libérale.

[2L’Union générale des travailleurs (UGT) est liée au PSOE depuis sa fondation en 1888. Les Commissions ouvrières (CCOO) sont nées sous le franquisme dans la clandestinité, à l’initiative des militants communistes. Mais cela fait plusieurs années que la direction des CCOO s’est éloignée du PCE. Les politiques des deux syndicats sont très semblables.

[3ELA et LAB, les deux principaux syndicats nationalistes basques, avaient refusé de se joindre à la grève du 29 septembre, mais avaient appelé à une grève le 29 juin.

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