Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 142, décembre 2021

Dette Covid : les mensonges à propos du remboursement du « quoi qu’il en coûte »

Mis en ligne le 5 décembre 2021 Convergences

(Ci dessous la version publiée dans Convergences révolutionnaires imprimé no 142. Une version plus longue est disponible en cliquant ici.)

Le gouvernement, par la voix de Bruno Le Maire, mais aussi les ténors de la droite ont, depuis un moment, commencé à chanter un air bien connu : il va bien falloir rembourser la dette du « quoi qu’il en coûte », pointant les retraites et les « comptes sociaux ». Dette Covid [1] que Bruno Le Maire a chiffrée, en marge d’une réunion à Bercy en août dernier, à 240 milliards d’euros. Et voilà qu’on nous ressert les mêmes vieilles recettes camouflant, bien mal, les attaques contre les travailleurs et les classes populaires en général, sous prétexte de rembourser la dette Covid, cette fois.

Quand « l’argent magique » coule à flots

Tous ces gens mentent effrontément sur la nature et le remboursement de la dette en question. La dette publique a effectivement considérablement augmenté avec les vannes largement ouvertes dès le début de la crise sanitaire. Les dizaines de milliards mobilisés par l’État s’ajoutaient à d’autres dizaines de milliards – pour que l’État prenne en charge à la place du patronat une partie des salaires, pour garantir les revenus des commerçants et artisans, mais, surtout, pour distribuer généreusement les fonds publics afin que les grosses entreprises restructurent et visent à être plus compétitives en vue de la concurrence lors de la reprise économique.

Une particularité de la dette Covid : elle ne coûte rien…

Mais alors… toutes ces nouvelles dettes ne coûtent-elles pas très cher aux finances publiques en remboursement et intérêts ponctionnés sur le budget de l’État ? Eh bien non, justement. C’est bien le cas d’ordinaire avec les emprunts que l’État contracte et dont il fait reposer les intérêts servis aux banques commerciales sur le budget, c’est-à-dire sur les impôts et taxes, majoritairement payées par les classes populaires. Et ces intérêts pèsent lourd, plus d’un dixième du budget de l’État. Mais ce n’est pas ce qui se passe dans le cas de la dette Covid.

En 2019, avant la crise sanitaire donc, le service de la dette était de 42,47 milliards d’euros. Il s’agit seulement des intérêts payés par l’État, puisque le montant de l’emprunt n’est remboursé qu’à l’échéance [2]. Or, en 2020, avec la crise sanitaire donc, le service de la dette a diminué de plus de 6 milliards, passant à 36,2 milliards d’euros. La dette prévue pour 2021 se situait à 36,8 milliards d’euros, quasi stable donc, et elle vient d’être réévaluée par le projet de loi de finance rectificative pour 2021, déposé début novembre, qui situe cette charge de la dette à 38,2 milliards pour 2021, en faible augmentation par rapport à 2020 et toujours en dessous de celle de 2019. Cela alors que la dette globale elle-même (qui englobe évidemment la dette Covid) est passée de 2 380,1 milliards d’euros (98,1 % du PIB) à 2 650,1 milliards (115,7 % du PIB). Autrement dit, alors que la dette publique a considérablement augmenté, les intérêts payés ont baissé…

Il n’y a là aucun miracle. C’est tout simplement que les nouveaux emprunts d’un pays riche comme la France [3], ceux lancés auprès des marchés financiers avec la crise sanitaire, bénéficient de taux voisins de zéro, autrement dit des emprunts pratiquement sans intérêt. De plus, la Banque centrale européenne a racheté le plus gros de ces emprunts. Comme il s’agit d’emprunts dont l’échéance est à plusieurs décennies – en tout cas, Bruno Le Maire a annoncé prévoir le remboursement de la dette Covid en 2042 –, cela signifie qu’il n’y aura dans les faits rien à payer pendant tout ce délai [4].

Une dette qui sera remboursée… par de nouveaux emprunts

On peut donc déjà dire que, si un jour problème il y a avec la dette Covid de l’État français, ce ne sera pas avant 2042, c’est Bruno Le Maire lui-même qui a livré la date. Mais la réalité, c’est que l’État n’a absolument pas l’intention de rembourser cette dette, ni en 2042 ni jamais, pas plus qu’il n’a remboursé les précédentes. Les États comme la France payent leur dette en lançant de nouveaux emprunts. Ils ne savent pas quels seront les taux d’intérêts au moment du remboursement, mais ce qu’ils savent, c’est qu’eux ou leurs successeurs financeront de toute façon la charge de la dette sur le budget, c’est-à-dire essentiellement par les impôts et taxes payés par les classes populaires. Cette pratique est aussi vieille que la dette publique.

Pour en revenir à la particularité de la dette Covid, tout se passe donc comme si l’on vous prêtait disons 100 000 euros en vous garantissant que vous n’avez rien à rembourser avant vingt ans. Et en vous tranquillisant en vous disant que, dans vingt ans, vous pourrez toujours emprunter 100 000 euros, ou davantage, pour rembourser la dette. Vous penseriez, à juste titre, que ça ne vous coûtera rien ! On peut légitimement se demander quel intérêt ont les banques à prêter dans ces conditions. À priori, dans une période où l’on ne sait pas trop de quoi demain sera fait – et la crise de 2008-2009 a montré que les plus grandes banques n’étaient pas à l’abri de la faillite –, les banques adossent une partie de leurs avoirs à des États réputés solides. Un peu comme de l’argent mis à l’abri dans un coffre-fort avec le raisonnement suivant : d’accord, on ne gagnera pas d’argent là-dessus, mais on sera sûr de ne pas le perdre.

La BCE a préféré racheter aux banques commerciales une grosse partie des emprunts Covid, afin de maintenir très bas les taux à long terme sur le marché des obligations, mais aussi afin de ne pas créer une importante différenciation entre les dettes contractées par les pays comme l’Allemagne ou la France d’une part, et d’autres comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce d’autre part. Peut-être a-t-elle aussi agi ainsi pour inciter les banques commerciales à prêter aux entreprises, en particulier aux PME, prêts pour lesquelles les banques se sont montrées très frileuses, même quand ils étaient garantis par l’État. La BCE pratique en effet actuellement une politique d’incitation aux crédits bancaires.

Quel que soit le contexte, la réponse des gouvernants est toujours la même : faire payer les classes populaires

Ainsi, rien n’est vrai dans les affirmations sur le nécessaire remboursement du « quoi qu’il en coûte ». En revanche, ce qui est certain, c’est l’intention affichée de s’en prendre aux travailleurs. Le laxisme envers les entreprises et leurs actionnaires ne les empêche pas de vouloir réduire la part des classes populaires dans le revenu national afin de subventionner les capitalistes opérant sur leur territoire. Dans le but de leur permettre de faire meilleure figure dans la concurrence internationale et donc, en fin de compte, de distribuer toujours plus d’argent aux actionnaires. Les recettes pour réduire la part des travailleurs sont aussi vieilles que le capitalisme : faire que les heures travaillées augmentent plus vite que la masse salariale, réduire les services publics dépendant de l’État ou des collectivités territoriales – éducation, santé, voirie, etc. – afin d’obtenir toujours plus de fonds disponibles pour subventionner les capitalistes. Bref, pas une politique d’austérité au sens général, mais… les vaches maigres pour tout ce qui touche à la vie des classes populaires !

Y arriveront-ils ? Les travailleurs peuvent bousculer leurs plans en imposant leurs propres vues sur la « restructuration » de l’économie : zéro licenciement, « doubler les salaires des profs », comme proposé par Hidalgo (tellement timidement qu’elle n’en parle plus), mais aussi de tous ceux dont la crise sanitaire a montré à quel point rien ne pouvait se faire sans eux : soignants, caissières, chauffeurs routiers, travailleurs des transports – tous les travailleurs en fait ! Cela coûtera cher ? Mais… n’y a-t-il pas l’emprunt ? Et qui interdit d’« emprunter » l’argent nécessaire en le garantissant sur la fortune de tous les milliardaires qui ont montré, eux, qu’ils ne servaient à rien ?

18 novembre 2021 – Jean-Jacques Franquier


[1Il n’y a évidemment pas une dette étiquetée dette Covid. On désigne ainsi la dette contractée avec les mesures d’urgence prises lors de la crise sanitaire.

[2Voir notre article Qu’est-ce qu’un emprunt d’État, sur le site de Convergences révolutionnaires du 18 novembre 2021

[3Bien entendu, il n’en va de même pour les pays pauvres. Voir à ce propos notre article, Il y a États et États, dans Convergences révolutionnaires du 18 novembre 2021. Aucun organisme n’est intervenu pour alléger les taux imposés aux pays pauvres d’Afrique, d’Asie, ou d’Amérique latine, en dehors d’une courte « suspension » des paiements qui, de toute façon, ne concernait pas tous les pays pauvres.

[4Un article publié par un organisme qui joue souvent le rôle de conseiller du gouvernement, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), publié en octobre dernier, affirme : « […] Si le taux d’intérêt est de 0 %, l’État emprunte 100 et doit rembourser 100. Cette dette ne lui coûte donc rien. »

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 142, décembre 2021