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Ces dernières semaines au Centre hospitalier de Saint-Denis

Désarroi, orage et combat

18 avril 2020 Article Entreprises

Le 17 mars, la direction du Centre hospitalier de Saint-Denis annonce l’arrivée de la situation de Mulhouse aux représentants du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Une « médecine de guerre »… Les mesures déjà prises dans l’urgence les semaines précédentes et non finalisées ne vont pas suffire. La direction jouait alors une pièce tragi-comique en avouant son incapacité à pouvoir réagir de manière adéquate à la crise à venir, en raison du manque de moyens que ses membres se sont chargés d’entretenir ! « Une guerre arrive ». Sans armes, sans armures et sans soldats.

« Plan blanc »

L’ensemble de l’hôpital doit devenir un lieu de prise en charge de patients avec des symptômes graves du Covid-19, les autres à la maison ! Peut-être avec du personnel libéral, des structures de ville ou du privé (moyennant finances). « Plan Blanc ». Le terme est plus théorique qu’effectif... Une formule sans action. On en a tous entendu parler mais... Au gouvernement, les « ministères » n’étaient pas d’accord. À l’hôpital, les chefs de pôle faisaient l’autruche les uns envers les autres. Et ainsi de suite, toute la hiérarchie en place aura fait la même chose.

Puis le confinement est officialisé. Les personnes sans domicile, qui dormaient dans le hall de l’hôpital ou dans la salle d’attente des urgences, sont mises dehors... Les discours du gouvernement appelaient à la réquisition des personnels soignants pour combattre le virus : « Plan Blanc », comprenez « Garde-à-vous » pour les « soldats » de la santé.

Faire de la place mais pas seulement !

Au début, c’était une unité spécialisée dans la prise en charge des patients « Covid-19 », l’arrêt des consultations, l’arrêt de la chirurgie... et quelques lits de réanimation supplémentaires. Déjà un gros bouleversement pour tous les travailleurs de l’hôpital ou les personnes en soins. Ensuite, les services ont été vidés dans l’urgence sans que l’on sache trop bien ce qu’il est advenu des patients. Cette réorganisation-bulldozer ne va pas sans des problèmes de taille soulevés par les soignants : comment isoler les patients et créer des circuits spécifiques pour les « Covid+ » ?

Quand il n’y pas assez d’habits de protections, ou que tout le monde n’est pas au fait des protocoles, comment s’assurer que les hospitaliers ne sont pas porteurs du virus, risquant de le transmettre à des patients non contaminés ? Comment faire pour que les chambres et les parties communes soient désinfectées comme il faut – alors que les aides-soignants (AS), les agents des services hospitaliers (ASH) et les collègues de la société de bio-nettoyage du privé (dernière grosse réorganisation à visée économique dans l’hôpital [1]) sont en sous-effectif ?

Le manque criant d’équipements de protection pour tous ressort. L’absence de dépistages systématiques (le manque de fiabilité aussi) empêche d’isoler les patients ou les travailleurs hospitaliers positifs. Et comment ne pas parler du manque de personnel, à la suite de nombreuses suppressions de postes depuis des années. Pas de renforts pour les soins, pas plus que pour les désinfections ou le bio-nettoyage en général…

« Joyeux bordel »

S’il paraît alors évident pour les soignants que tout le monde doit être considéré comme suspect et l’hôpital comme « contaminé » (avec quelques implications dans l’application des protocoles !), c’est loin d’être admis par la direction et la pyramide hiérarchique en place…

Dans les services de gériatrie de l’hôpital – pourtant situés sur un autre site géographique où les visites extérieures avaient été limitées une semaine avant le confinement général –, un premier patient hospitalisé, puis une deuxième ont manifesté les symptômes et ont été diagnostiqués Covid positifs… Des travailleurs hospitaliers aussi. Une « unité Covid » avec une équipe dédiée devait se mettre en place, mais les chefs de service n’ont pas choisi de regrouper tous les patients « Covid+ ».

L’encadrement a aussi maintenu longtemps la prise des repas en commun dans les réfectoires. Le virus a continué à se propager. Les équipements de protection sont très légers, les protocoles toujours modifiés : on nous explique que c’est l’évolution de l’épidémie... Évolution de moyens et de choix qui donnent envie de fuir ! Encore et à nouveau, les personnes malades, dépendantes, et les travailleurs hospitaliers subissent les conséquences du manque de personnel et de moyens. À la mi-avril, il y avait de nombreux arrêts-maladies chez les collègues, un nombre de personnes atteintes du Covid-19 encore en augmentation, en gériatrie notamment, et des morts...

Et pas de cadeaux...

Tous les travailleurs de l’hôpital ont été surpris par la vague massive de patients Covid-19 arrivée durant le week-end des 14 et 15 mars. Nous avons été soumis à des réorganisations phénoménales de notre travail et de nos vies. Un travail sans protections, sans informations, une avalanche d’heures supplémentaires, de suppression des congés et de désorganisation des plannings... La peur des suites continue de se développer... Suites de l’épidémie. Suites de ce qui viendra après aussi.

Une fois le choc et l’inquiétude passés, la colère a repris le dessus, car les encadrants n’écoutent pas les propositions de réorganisation et de redéploiement. C’est toujours le même mur auquel les hospitaliers se heurtent : l’ego des chefs, l’affirmation de leur autorité, le manque de communication… Un exemple. Un seul. Lorsque, en hospitalisation à domicile de réadaptation, les collègues ont proposé de réduire au maximum, tout en assurant une veille, les interventions de rééducation à domicile pour ne pas être un agent pathogène vis-à-vis des patients et, par suite, pouvoir être en renfort dans les services, la chefferie les a accusées de refus de soin et de désertion… avant de se rendre compte que c’était effectivement la marche à suivre.

L’impression pour tout le monde alors : une désorganisation générale. Les collègues qui se proposent ne sont pas appelés en renfort, mais on leur supprime quand même les congés. Les collègues en première ligne s’épuisent et se sentent seules. Ce sont des revendications de protections nécessaires et des demandes cohérentes pour l’organisation des services qui sont exprimées dès le début, afin de protéger les patients et les collègues.

Les revendications de ces dernières années, qui ont explosées plus fortement l’année passée lors de manifestations d’ampleur et coordonnées au niveau national, restent aussi présentes. Et le mépris du gouvernement n’est pas oublié et toujours ressenti. Les fameuses primes promises en novembre ne sont toujours pas arrivées sur les fiches de paye et, déjà, elles laissaient de nombreuses personnes de côté... Quant aux dernières primes annoncées le 15 mars, seront-elles pour tous les travailleurs de l’hôpital, de la santé ? Comment sera jugé le degré d’exposition au Covid-19 ? D’ailleurs, même ceux qui sont « moins exposés » ont travaillé plus, car les autres maladies, accidents... ne se sont pas arrêtés. Nous ne croyons pas aux promesses des discours. De plus, nos chers gouvernants parlent essentiellement de la crise économique et l’on se souvient de 2008 et de la politique d’austérité accentuée qui s’est abattue sur tous les travailleurs, réduisant notamment sans cesse le budget des hôpitaux... D’ailleurs, la Fédération hospitalière de France (FHF), représentant les directions hospitalières, demande le maintien du budget d’austérité voté à l’automne 2019.

« Chair à canon » ou fusil d’assaut

Le sentiment douloureux d’être de la « chair à canon » est très présent. Se rajoutent les gardes d’enfants qui deviennent un vrai casse-tête (refus d’école, changement de lieu, transports, horaires non adaptés, frais supplémentaires). Et les problèmes d’argent s’ajoutent... Des promesses sont faites, mais, comme toutes les promesses, elles sont toujours pour « plus tard ».

Le stress provoqué par la peur d’être contaminé et de contaminer d’autres personnes a créé une angoisse psychologique d’autant plus grande que la direction ne dépiste que les cas symptomatiques graves. Aucune idée du nombre de personnes réellement contaminées ! Sur tous les hôpitaux de la région Ile-de-France en tout cas, un protocole de retour au travail alors que nous sommes encore contagieux est établi. Le test systématique des agents n’a jamais été fait et son intérêt est sans cesse remis en cause. Si les personnes contagieuses ne sont pas isolées et mises en sécurité, chacun sait ce que cela veut dire ! Les arrêts-maladies sont aussi contestés par la direction...

Les travailleurs s’organisent au jour le jour pour agir comme ils peuvent, et ça ne se fait pas sans souffrances. Certains appellent des contacts personnels pour avoir du matériel... Et ça marche ! On tente de se passer les informations : tensions et solidarités. La colère due aux conditions de travail imposées n’est pas calmée par les quelques annonces, toutes vécues comme des fausses promesses.

On ne s’oublie pas

Nous avons parlé des primes promises et toujours pas versées... Des heures supplémentaires. « Plus tard », nous répond-on. Il y a aussi de nombreuses et de nombreux ASH qui travaillent en CDD. Les tâches de bio-nettoyage ont bien souvent été externalisées à des sociétés privées qualifiées de « société d’esclavage » par les agents.

Les postes d’ASH fixes dans les services ne sont pourvus que par des collègues employées en CDD de quelques mois sans cesse renouvelés, souvent depuis plusieurs années. Aujourd’hui, alors qu’on leur demande de faire des heures supplémentaires, c’est un CDD qu’on leur propose à nouveau, d’un mois seulement ! Elles connaissent aussi des personnes qui se sont proposées, mais qui n’ont pas été embauchées, alors que le sous-effectif est criant et la charge de travail épuisante. La situation est aussi subie par les aides-soignantes (AS).

Citons encore ce bénévole qui vient nous apporter les dons des personnes extérieures. Il a été mis en chômage partiel mais veut se rendre utile et aider. Un véritable apport pour tout le monde. Là est la vraie solidarité, celle de gens qui se mettent à la place les uns des autres... Entre ces attitudes et celle des directeurs et de la chefferie qui transmettent leurs consignes, à l’instar des patrons de l’automobile qui veulent ouvrir toutes leurs usines, il y a tout un fossé de classe !

Correspondante


[1Colère et mobilisations au Centre hospitalier de Saint-Denis, Convergences Révolutionnaires no 116, décembre 2017. Retrouver l’article ici : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Colere-et-mobilisations-au-Centre-hospitalier-de-Saint-Denis

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