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De Giscard à Macron…

8 décembre 2020 Article Politique

Notre président a la larme à l’œil. Valéry Giscard d’Estaing, le plus jeune président de la République française avant que Macron ne lui en vole le titre, n’est plus.

Bal musette et diamants

Finis les flonflons de son accordéon. Il était si simple cet homme, malgré un nom à particule que son papa homme d’affaires s’était fait accorder en 1922, par décret du Conseil d’État, en référence à une lointaine aïeule, la vicomtesse de Ravel, Lucie-Madeleine d’Estaing, maitresse de Louis XV (des plaisantins disaient d’ailleurs qu’il descendait d’un roi par l’escalier de service !). Si généreux aussi, puisqu’il est sorti de son château de Chanonat (1 000 m2, 12 chambres et 14 hectares de terres autour) pour nous servir modestement au palais de l’Élysée.

Il aimait tant son peuple que, devenu président, il s’invitait incognito à souper (avec quelques journalistes) dans des familles françaises modestes (prudemment sélectionnées). De simples « œufs pochés » lui suffisaient, disait-il. Mais un lapin chasseur ne se refusait pas ; dès son enfance il avait pris goût à la chasse dans les forêts du domaine familial. Au point d’offrir plus tard aux invités de marque de la République une séance de chasses présidentielles à Rambouillet, non sans avoir pris soin, courtoisie oblige, de s’assurer que les rabatteurs chargés d’envoyer les sangliers devant les fusils des invités soient assez nombreux pour offrir à ces derniers un tableau de chasse flatteur, après une rude journée d’échanges diplomatiques ou de négociations commerciales assaisonnés de chevrotine gros calibre.

Il aimait tant ce sport qu’il avait aussi coutume d’aller en Centrafrique pister les grands fauves avec son ami le dictateur centrafricain Bokassa, autoproclamé empereur en 1977. Le même qui lui avait offert les diamants dont ces satanés journalistes du Canard enchainé avaient fait un scandale. Inélégance de Giscard, tout de même, quand en 1978 il a fait renverser, par un coup de l’armée française, son « cher cousin » Bokassa trop enclin selon lui à un rapprochement avec le président libyen, Kadhafi. L’empereur déchu fit alors courir le bruit, par vengeance malsaine n’en doutons pas, que son vieux complice Valéry aurait ajouté sa femme, l’impératrice de Centrafrique, à son tableau de chasse. Indélicatesses réciproques !

Prédécesseur de Macron, à sa façon

Mais redescendons au ras du bitume des années Giscard, 1974-1981.

Elles commençaient mal, au lendemain de la crise pétrolière de 1973, alors que Raymond Barre, qui allait devenir son ministre des Finances, puis son Premier ministre, avait déclaré en plein milieu de la campagne présidentielle, début mai 1974 : « Les candidats n’osent pas en parler : l’austérité. » Le mot aurait fait tache dans une campagne électorale, c’est vrai. Il n’en était pas moins d’entrée de jeu à l’ordre du jour.

Mais il valait mieux commencer le septennat par l’abaissement de l’âge du droit de vote de 21 à 18 ans (la France était en retard sur ses voisins), et par la loi Veil sur l’IVG. Au terme d’une longue lutte menée par les mouvements féministes et le « planning familial », épaulés par des médecins militants, toutes et tous clamant haut et fort qu’ils ne respectaient plus la loi, l’interdiction de l’avortement n’était plus tenable. La loi inique devait se plier à la réalité imposée par les mobilisations.

On aurait pourtant tort d’en oublier, pour ce début de septennat, un premier plan de relance (janvier 1975) : 15 milliards de francs de cadeaux aux patrons. C’était bien moins il est vrai (si on convertissait cette somme en équivalent euros d’aujourd’hui) que les plans Macron 2020, mais le plan était assorti de semblables combines : prêts bonifiés aux entreprises, aide à l’investissement par réduction de taxes… Suivi d’un second plan deux fois plus élevé au mois de septembre suivant. Ce n’était pas encore l’austérité souhaitée par Raymond Barre, et sûrement pas l’austérité pour les riches. Mais le chômage commençait à exploser : 400 000 chômeurs fin 1973, un million à la fin de l’année 1975. Et Chirac, devenu Premier ministre de Giscard, déclarait en novembre 1976 : « Un pays dans lequel il y a près d’un million de chômeurs, mais où il y a deux millions d’immigrés, n’est pas un pays dans lequel le problème de l’emploi est insoluble. » Prends l’aumône et tire-toi fut l’invention, six mois plus tard, d’un « secrétaire d’État chargé de la condition des travailleurs manuels et immigrés » : 10 000 francs d’« aide au retour » à tout immigré qui, réduit au chômage, accepterait de faire sa valise. Une pièce de théâtre corrosive du poète algérien Kateb Yacine, en 1977, trouvait son succès : « Mohammed, prends ta valise ! »…

Et au nom d’un « déficit de la sécurité sociale », déjà, voilà que le gouvernement annonçait en décembre 1975 une augmentation des cotisations sociales, puis, neuf mois plus tard, inventait les « médicaments de confort » dont il fallait baisser ou supprimer le remboursement.

Dernier écho de mai 1968 pourrait-on dire, tout le septennat de Giscard a été ponctué par les manifestations contre l’extension du camp militaire du plateau du Larzac, dont le projet n’a été abandonné qu’en 1981, sous Mitterrand, l’armée en ayant fait son deuil. Et ce fut le gouvernement Chirac qui allait donner, en 1976, le coup de grâce à l’usine Lip de Besançon, où les ouvriers avaient mené en de juin 1973 à mars 1974 une grève mémorable, se servant sur le stock de montres et de pièces détachées pour faire tourner l’usine et se payer leur salaire avec les ventes. Pour le tandem Giscard-Chirac, il était temps d’en finir. Ils ont notamment coupé les aides de l’État négociées en 1974 à la fin du conflit, pendant que Renault retirait ses commandes de pendulettes pour voiture (30 % du chiffre d’affaires) sur intervention personnelle de Giscard. Mais achat de montres très politique, dans toute la France populaire !

De Bangui à Longwy

Outre les amitiés avec les dictateurs et l’affaire de ces « avions renifleurs » censés flairer de haut, en Afrique, l’odeur des réserves souterraines de pétrole à offrir à Elf, qui s’est révélée être une escroquerie aux frais de l’État, ce sont surtout les licenciements massifs qui ont marqué les années Giscard, en premier lieu dans la sidérurgie, et les luttes auxquelles ils ont donné lieu.

Le premier plan de licenciement avait été annoncé dès juillet 1975 par Usinor : 7 000 suppressions de postes. Ce n’était qu’un début. Ça continuait avec l’annonce par Sacilor-Sollac en 1977 d’un plan de modernisation des ses installations en grande partie financé par l’État au nom d’un « plan acier », avec 9 000 suppressions d’emplois à la clé. Et ça culminait avec l’annonce par le gouvernement, en septembre 1978, d’un nouveau plan dit, cette fois, « de sauvetage » de la sidérurgie prévoyant 21 750 suppressions d’emplois, principalement à Longwy et dans le Valenciennois. Seuls les magnats de l’acier devaient être sauvés. Giscard et son nouveau Premier ministre, Barre, leur faisaient notamment cadeau de dix milliards de francs de prêts, et transformaient une partie de ces dettes en prise de participation de l’État : une sorte de nationalisation rampante, dont on rétrocèderait les parts aux patrons privés une fois que l’État lui-même aurait présidé aux restructurations et licenciements. Les nationalisations temporaires de Mitterrand dans des secteurs en difficulté, quelques années plus tard, suivront le même schéma. De quoi nous vacciner des projets de « sauvetage de l’industrie française » brandis aujourd’hui par les politiciens de gauche, PCF ou FI, pour ne pas citer les Montebourg et Cie.

Longwy, 19 décembre 1978

Mais quand sont tombées les annonces des licenciements, la colère explose. À Longwy d’abord, où 20 000 manifestants descendent dans la rue le 19 décembre 1978. Ensuite à Denain dans le Valenciennois, le 22 décembre, où 25 000 manifestants se rassemblent, parmi lesquels des milliers d’enfants des écoles : toute une population refuse de voir la région mourir. En février 1979 à Longwy, les sidérurgistes occupent le relais de télévision et attaquent le commissariat au bulldozer et mi-mars ils allaient créer une radio (Lorraine cœur d’acier) répercutant les informations, appelant aux manifestations et que la police s’efforce de brouiller avec ses hélicoptères, mais ne peut pas évacuer car, à chaque tentative, le tocsin sonne et des milliers de personnes affluent pour la protéger. Les 7 et 8 mars 1979, les sidérurgistes affrontent les forces de l’ordre à Denain. Et malgré les escouades de police contre les manifestants, c’est le Premier ministre Raymond Barre qui bredouille : « Qui n’a pas compris la fureur et le désespoir des sidérurgistes ? » Et de promettre « une très large politique sociale pour régler les divers cas de ceux qui allaient être frappés par la restructuration industrielle ».

Après la matraque, le gouvernement reculait et cherchait un compromis, par crainte que l’explosion sociale ne s’étende dans un contexte social tendu : grèves aux chantiers navals de Nantes, explosions de colère à la SNCF et dans les services publics. Mais déjà à l’époque, bien qu’autrement plus fortes qu’aujourd’hui, les confédérations syndicales ne voulaient pas davantage que Barre et Giscard d’une explosion sociale qui s’étendrait. Et c’est seulement pour « régler les divers cas » que pendant quelques mois se sont tenues des négociations avec les directions syndicales, aboutissant à des conditions de départ anticipé à la retraite pour les plus de 50 ans, des promesses de formations/reclassements pour les autres, aux frais de l’État ou des caisses de chômage et de retraite. Une demi-victoire pour des travailleurs qui tiraient leur épingle du jeu, mais laissant des régions sinistrées, sans emploi pour les jeunes. Pendant que le patronat s’en lavait les mains et que Barre et Giscard revenaient de leur peur.

Loi anti-casseurs

C’est au cours de cette lutte que fut organisée, le 23 mars 1979, une manifestation à Paris avec la descente des sidérurgistes dans la capitale. Plus de 60 000 personnes entre République et Opéra, selon la police, toujours en dessous de la jauge. Mais ce furent surtout les quelques incidents qui avaient émaillé le cortège, vitrines brisées ou voitures brûlées… qui furent montés en épingle. La colère de travailleurs menacés du chômage, ayant subi à Longwy ou Denain les violences des gendarmes mobiles et des CRS, explosait dans la capitale. Parmi les 32 manifestants arrêtés et jugés en flagrant délit, il y avait un lycéen de 18 ans condamné à une peine de prison en vertu d’une « loi anti-casseurs » (déjà !), accusé d’avoir jeté sur une vitrine une grille d’arbre… à un endroit où il n’y avait pas d’arbre. Ni l’occupation de son lycée pendant une semaine par des élèves, des parents et des enseignants, ni le témoignage du proviseur lui-même n’y ont rien fait. Il a passé son baccalauréat à la prison de Fleury-Mérogis. Bien sûr, quelques ancêtres des blacks blocs ou autres « autonomes » étaient présents, dont un curieux « casseur » arrêté par des militants de la CGT, portant carte professionnelle et arme de service de la police.

Somme toute, Macron a de qui tenir.

Olivier Belin

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