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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 131, juillet-août 2020

États-Unis

Dans la foulée de l’immense mouvement anti-raciste : comment aller au-delà de la revendication du « définancement de la police »

22 juin 2020 Convergences Monde

Nous publions ici la traduction d’un article du 19 juin dernier de nos camarades de Speak Out Now. La version intégrale en anglais de leur article est consultable sur leur site web.

Le récent assassinat de George Floyd par la police a suscité l’indignation. Des millions de personnes sont descendues dans les rues pour exiger la fin des violences policières, du racisme systémique et de l’oppression des Noirs.

Le racisme qui alimente les préjugés et la brutalité de la police ne diminue pas. Depuis la mort de Floyd, alors que des centaines de milliers de manifestants protestent toujours dans les rues, les assassinats continuent. Le meurtre par la police d’Atlanta de Rayshard Brooks, qui a reçu une balle dans le dos alors qu’il s’enfuyait, a été filmé et visionné par des millions de personnes. À Vallejo, en Californie, Sean Monterrosa a été abattu de cinq balles alors qu’il s’agenouillait les mains en l’air. Meurtre devant témoins, mais qui n’a pas été filmé.

« Définancer » la police, un slogan populaire

Dans le sillage de cette vague mondiale, des appels nationaux se sont multipliés pour « définancer la police », autrement dit, réduire les budgets consacrés à la police. Une proposition avancée par des militants depuis un certain temps, en réponse à l’échec persistant des réformes de la police, et qui a récemment bénéficié d’un soutien et d’une attention médiatique accrus.

La plupart des militants demandent que les ressources et les budgets énormes qui sont normalement alloués aux services de police soient redirigés vers des services sociaux tels que l’éducation, la santé ou le logement. Selon eux, cela permettrait de mieux s’attaquer aux causes profondes de ce qui est considéré comme « criminel »  : la pauvreté, la maladie mentale et le mal-logement. D’autres se concentrent davantage sur les pratiques et les politiques policières  : la nature des incidents auxquels la police doit répondre, ou la question de savoir si elle doit être armée. Pour d’autres encore, le « définancement » ne suffit pas et ils demandent l’abolition complète de la police. À la place d’une force de police, ils sont favorables au développement de réseaux d’intervention communautaires pour résoudre les conflits par des méthodes non violentes.

Le sens donné au slogan « définancer la police » peut encore évoluer, au fil des mobilisations de celles et ceux qui le défendent.

La réaction du gouvernement

À Minneapolis, l’épicentre des manifestations pour George Floyd, le conseil municipal s’est récemment engagé à « démanteler » son service de police. Il affirme vouloir lancer un processus d’un an, en lien avec la population, pour étudier la mise en œuvre d’un nouveau système de sécurité publique. Cela inclut la possibilité, lors des élections de novembre, de mettre en place un vote sur la réduction des effectifs policiers de la ville.

À New York et Los Angeles, où les budgets de police atteignent plusieurs milliards de dollars, les maires ont proposé des réductions mineures qui, selon eux, permettront d’investir d’autant dans des programmes sociaux.

Le gouverneur de l’État de New York, Cuomo, a rapidement fait adopter une série de réformes ordonnant à toutes les villes et municipalités de réorganiser leurs forces de police d’ici avril 2021, s’ils veulent continuer à bénéficier du financement de l’État. Ces réformes prévoient l’interdiction des étranglements, la mise à disposition des dossiers disciplinaires des officiers pour examen public et la révision des pratiques actuelles de la police.

Au niveau fédéral, les politiciens ont également été contraints de prendre position. Après être restés muets, les têtes de file démocrates ont réagi, à leur manière habituelle  : en ébauchant une législation visant à mieux former les policiers, en proposant de nouvelles commissions pour lutter contre les inégalités raciales et, bien sûr, en demandant de voter pour eux lors des prochaines élections. Le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, a quant à lui clairement indiqué qu’il n’était pas du tout favorable à une réduction du financement de la police, et qu’il voulait plutôt l’augmenter de 300 millions de dollars pour mettre en œuvre ce qu’il appelle des « réformes significatives », telles que la reconversion des agents de police.

D’autres hauts fonctionnaires ont rejeté une proposition jugée « irréaliste », « irresponsable » et même « dangereuse », tandis que certains se sont simplement abstenus de réagir à toute revendication de définancement.

Trump a fait de la question policière un axe majeur de sa campagne de réélection, en se présentant comme le président de la « Loi et de l’Ordre » et en s’en prenant aux démocrates laxistes en matière de criminalité, qui ne soutiendraient pas assez la police. […] Contraint d’aborder la question de l’étranglement de George Floyd, il a déclaré que « les étranglements seront interdits sauf si la vie d’un officier est en danger ». Il a reçu les éloges de l’Ordre fraternel de la police (FOP), le plus grand syndicat de police des États-Unis, qui défend les policiers quels que soient leurs crimes.

Les « réformes » ne suffiront pas

Les solutions proposées par les politiciens ne sont pas nouvelles. Des réformes similaires avaient été introduites en 2014, à la suite d’une vague de protestations déclenchée par les meurtres de Mike Brown et Eric Garner par la police. L’administration Obama avait créé une « Commission présidentielle sur la police du 21e siècle », prétendument chargée de la lutte contre la brutalité policière. Cette commission n’a fait qu’élaborer des rapports et donner des conseils, ignorés par la plupart des services de police. L’utilisation de caméras portatives par les policiers et la mise en place de commissions d’examen, ont également été adoptées. Mais ces réformes ont peu contribué à prévenir les meurtres policiers et à permettre que les agents soient tenus responsables de leurs actes. En fait, la plupart des vidéos qui ont suscité des réactions proviennent de témoins filmant avec leurs téléphones portables.

Depuis 1994, le gouvernement fédéral a également le pouvoir de soumettre les services de police locaux à une supervision fédérale. Cette supervision est censée permettre de surveiller et de réformer les services de police où sont constatés des opérations ou des comportements anticonstitutionnels, illégaux ou racistes. De nombreux services de police ont été soumis à cette mesure, certains pendant des années, sans que l’on y voie vraiment d’améliorations – le service de police de la ville d’Oakland est sous surveillance fédérale depuis 2003  ! Et sous l’administration Trump, l’utilisation de la supervision fédérale a bien entendu été largement réduite. Le développement de politiques et de procédures plus strictes ne suffit pas pour que la police les suive.

Les syndicats policiers

Les policiers ont des syndicats parmi les plus puissants, et sont souvent protégés des poursuites judiciaires par la doctrine de «  l’immunité qualifiée  ». Celle-ci les garantit contre les poursuites civiles pour la plupart de leurs actes parce qu’ils «  font simplement leur travail  ». C’est pourquoi ils n’ont aucun problème à utiliser une force excessive ou létale en sachant qu’ils s’en tireront. Ils ont de fait un permis de tuer. Il en résulte que seuls 104 policiers ont été inculpés de meurtre ou d’homicide involontaire depuis 2005. En 2019, seuls quatre d’entre eux ont été condamnés pour meurtre  !

Protéger et servir qui  ? Bref retour historique

Les premières forces de police sont nées au début du siècle, dans le sud des États-Unis. Il s’agissait de patrouilles destinées à capturer les esclaves en fuite et à les rendre à ceux qui en revendiquaient la propriété. Dans les premières années du xixe siècle, des services de police modernes ont été créés dans le Nord industriel pour réprimer violemment les travailleurs en grève et patrouiller dans les quartiers populaires. À partir de 1916 et de la « Grande migration », le déplacement à grande échelle des Noirs du Sud rural vers les villes du Nord et de l’Ouest, la police s’est surtout concentrée sur le contrôle violent des Noirs dans les zones urbaines, et moins sur les immigrants récents et les travailleurs blancs. Aujourd’hui, la police joue encore le même rôle.

Depuis 1997, une militarisation croissante des polices locales

Malgré des tentatives de réforme de la police, ses forces jouent un rôle de plus en plus répressif.

On a ainsi pu constater une militarisation croissante des forces de police locales au cours des dernières décennies. Dans le cadre d’un programme établi par le « National Defense Authorization Act » de 1997, sous la présidence de Clinton, les services de police locaux ont reçu de larges stocks d’équipements militaires excédentaires. Entre 1997 et 2014, elles ont obtenu 4,3 milliards de dollars de matériel de qualité militaire, dont des dizaines de milliers de mitrailleuses et de fusils d’assaut, 600 véhicules blindés résistants aux mines (MRAP), 205 lance-grenades et des milliers d’équipements de vision nocturne et de camouflage. Dans le cadre de ce programme, les agences qui reçoivent du matériel militaire sont tenues de l’utiliser dans l’année qui suit son acquisition, ou de le retourner, ce qui les incite à l’utiliser contre nous.

Les SWAT

Tout cet équipement s’ajoute aux équipes spéciales d’intervention (SWAT  : Special Weapons And Tactics), déjà lourdement armées, qui existent dans la plupart des services de police. Celui de Los Angeles a commencé à mettre sur pied l’une des premières unités SWAT après la révolte de Watts, en 1965. Elle a servi de modèle dans tout le pays, après un premier déploiement significatif contre le local du Black Panther Party de Los Angeles. Au petit matin du 9 décembre 1969, une troupe de 350 policiers était montée à un assaut qui, après une fusillade de quatre heures, s’était conclu par la reddition des six Panthers qui se trouvaient dans le bureau. Depuis cette époque, les unités SWAT sont utilisées pour diverses attaques politiques. Elles sont massivement employées contre les communautés noires dans tout le pays, principalement pour des raids anti-drogue et pour servir de base à des mandats d’arrêt. Sur les quelque 50 000 raids du SWAT qui ont lieu chaque année, seuls 7 % sont destinés à des « situations d’urgence ».

La violence de la pauvreté

La brutalité policière maintient les inégalités sociales et économiques. Minneapolis, par exemple, est l’une des villes où l’écart entre riches et pauvres est des plus spectaculaires, avec un taux de pauvreté de 20,7 %, un taux de chômage officiel de 9,4 % et un nombre de sans-abris estimé à 4 000. Ses disparités raciales sont parmi les pires du pays. Le revenu annuel médian d’une famille noire est de 38 178 dollars, contre 84 459 dollars pour une famille blanche. Le taux de pauvreté des Noirs est de 25,4 %, soit plus de quatre fois supérieur à celui des Blancs, et le taux d’incarcération des Noirs est onze fois supérieur à celui des Blancs. […]

Ces communautés pauvres et ouvrières, en particulier celles composées principalement de personnes de couleur, font face à des flics qui ont le pouvoir de maintenir le contrôle par tous les moyens y compris l’utilisation de la violence létale. Les gens sont non seulement confrontés à la violence de la police, mais aussi à la menace d’aller en prison sous n’importe quel prétexte ou infraction que les flics sont prompts à inventer.

Repenser la sécurité publique

En raison des niveaux élevés de criminalité et de violence qui existent dans beaucoup de communautés, de nombreuses personnes ressentent le besoin d’une force de sécurité pour les protéger. Sans alternative, elles se tournent vers la police. Mais la sécurité publique ne peut être réduite à la seule protection des vies et de l’intégrité physique des personnes. Se sentir en sécurité dans la société implique d’avoir un emploi sûr, un endroit où vivre, un accès aux soins de santé et à l’éducation, ainsi que d’autres nécessités de base. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où l’on estime que 80 % des travailleurs vivent au jour le jour, où plus d’un demi-million de personnes sont sans abri chaque nuit et où 28 millions de personnes n’ont pas d’assurance maladie. Tout cela alors que les trois milliardaires les plus riches du pays possèdent plus de richesses que la moitié la plus pauvre de la population  !

Que faire maintenant  ?

Définancer la police est une revendication compréhensible pour commencer à s’attaquer au problème des violences policières. Bien sûr, dans les réformes qui sont en cours, nous prendrons ce que nous pourrons obtenir pour le moment, en particulier la réorientation des budgets de la police vers les populations pauvres. Mais nous ne devons pas nous arrêter là.

Les tentatives de définancement et de réforme de la police ont leurs limites. L’objectif des réformes proposées par les politiciens est de faire cesser les manifestations dans les rues, et de nous pousser à rentrer chez nous dans le calme, comme le gouverneur Cuomo l’a dit très clairement après avoir fait adopter ses propositions de réforme de la police dans l’État de New York.

Selon ses mots  : « Vous avez gagné, gagné, gagné. Vous avez atteint votre objectif. La société dit que vous avez raison, que la police a besoin d’une réforme systémique. C’était la première réalisation. Maintenant, passez à la deuxième étape. » La deuxième étape étant d’attendre que le processus de réforme de la police ait lieu, ville par ville ou sans doute jamais.

Ils peuvent adopter leurs lois et parler tant qu’ils veulent, la réalité de la terreur policière demeure, comme la réalité du racisme et de la pauvreté. La réalité de notre exploitation demeure et demeurera aussi longtemps que ce système sera en place. Les politiciens reconnaissent le racisme de cette société  ; les temps ont changé, et ils ont été contraints d’agir en raison de la détermination dont ont fait preuve des centaines de milliers d’entre nous dans les rues, au cours du dernier mois. Si nous continuons à nous organiser et à compter sur nos propres forces, cette mobilisation peut être le début d’un combat pour changer réellement la société. Nous avons le pouvoir de mettre fin à ce système qui repose sur l’exploitation, l’oppression et la violence raciste. La question qui se pose à nous est celle de savoir si nous nous tournons vers d’autres pour obtenir des réformes, ou si nous restons mobilisés et prenons nos affaires en main en comptant sur notre force pour changer les choses.

19 juin 2020

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