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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 102, novembre-décembre 2015

Daech, né de la guerre américaine en Irak

Mis en ligne le 9 décembre 2015 Convergences Monde

Comment une bande de voyous armés, professant un fanatisme moyenâgeux, a-t-elle pu attirer des milliers de jeunes, devenir une armée, proclamer un État ?

Du Christ-Roi à Allah, il n’y a pas de guerre sainte : que des sales guerres

Le gouvernement français s’indigne de ce que des jeunes nés en France puissent être les organisateurs d’attentats, ici, au nom de Daech. Le nombre de combattants étrangers qu’a pu attirer Daech reste somme toute marginal : 1 500 du Maroc, 1 500 à 3 000 de Tunisie, plus de 1 200 de France, même chose de Belgique ou d’Angleterre [1]. Le vrai problème est de savoir pourquoi et comment un mouvement comme Daech a pu se développer en Irak et en Syrie, au point de pouvoir déjà exercer sa dictature dans les territoires qu’il contrôle, d’exercer une force d’attraction pas tant sur quelques jeunes d’ici, mais en Afrique ou ailleurs en ralliant des groupes semblables, les mêmes parfois qui se réclamaient d’Al-Qaïda auparavant.

Ce n’est pas une question de religion pire qu’une autre (le « Christ-Roi » n’a guère un passé plus reluisant). Et le fanatisme religieux n’est dans tout ça qu’une ficelle, pas la cause.

L’Irak : conflits communautaires sur fond d’occupation américaine

Ce n’est pas la Syrie, mais l’Irak qui a été le berceau de Daech qui, forcé ensuite à s’exiler en Syrie, y a recruté et prospéré, et est parti depuis 2014 à la conquête des régions nord de ce pays, s’y est taillé un fief à cheval sur les deux pays. Il est au départ bel et bien le fruit de l’invasion du pays par les armées des USA et de ses alliés (essentiellement le Grande-Bretagne) en 2003 et des années d’occupation américaine qui ont suivi.

Car pendant leurs huit ans d’occupation militaire directe, pour tenter de mettre en place en Irak un gouvernement à leur solde, les USA ont joué sur les divers clans, communautaires ou régionaux, sur les diverses milices créées par les potentats locaux, appuyant et finançant les uns ou les autres. N’aboutissant qu’à l’exaspération des rivalités ethniques et confessionnelles.

Sans revenir sur toute l’histoire de cette occupation militaire de l’Irak et des premières années du développement des milices islamistes, qui ont donné Daech aujourd’hui [2], rappelons seulement que le démantèlement décidé par les autorités d’occupation de l’armée de Saddam Hussein a laissé sur le pavé, outre 400 000 soldats, leurs officiers. C’est une partie de ces gradés de l’armée irakienne d’alors qui se sont recyclés aujourd’hui comme chefs militaires, parfaitement compétents, des troupes de Daech. Sur les 17 chefs de l’État Islamique, 14 sont d’anciens haut gradés de Saddam Hussein [3].

Faute d’avoir réussi à rallier tous les potentats régionaux, l’occupant américain a finalement consacré dans le nouvel Irak la domination des notables des régions en majorité chiite [4]. La nouvelle armée irakienne s’apparente à un agrégat de milices chiites, entraînées et armées par les États-Unis. En fait de « guerre de religions » entre sunnites et chiites qui gangrènerait le Moyen-Orient, on a bel et bien une rivalité de pouvoir entre forces et clans régionaux. Les USA ayant choisi l’un d’eux. Ce qui explique pour beaucoup le rapprochement des USA du régime iranien, protecteur des coteries chiites d’Irak, afin de mieux maîtriser, si possible, celles-ci.

Un autre fait de la politique américaine en Irak, qui éclaire la situation d’aujourd’hui, c’est cette fuite en avant de la politique américaine qui a fait basculer le pays dans une véritable guerre civile, de 2005 à 2008 : 3 000 morts par mois, et 4 millions d’Irakiens déplacés (sur une population de 25 millions). Fin 2006, le nombre de soldats américains tués était estimé à 3 000, le nombre d’Irakiens victimes de violences « communautaires » à 655 000 [5]. C’est à ce moment-là que se sont exilées vers la Syrie ces bandes armées, devenues depuis Daech.

Un bilan auquel il faut rajouter, après le retrait des troupes américaines en décembre 2011, les victimes de la répression exercée par le gouvernement irakien mis en place par les USA, notamment lors des manifestations des années 2011-2012 en Irak, dans la foulée des révolutions arabes de Tunisie et Égypte. Une répression pas moins violente que celle exercée par Bachar al-Assad contre les manifestations de la même période en Syrie.

Le retour conquérant au foyer

Alors, quoi d’étonnant qu’après avoir prospéré en Syrie, et y avoir fait des adeptes, grâce notamment aux mannes des puissances régionales alliées des occidentaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie), les troupes djihadistes, renommées désormais État islamique (Daech), n’aient pas eu grand peine à conquérir, en 2014, une partie nord de l’Irak. Leur première cible a été la ville de Falloujah, gagnée sans coup férir, d’autant qu’elle avait souffert en 2004 de dures exactions américaines, puis avait subi à nouveau la répression des manifestations de 2012 et 2013 – par la nouvelle armée irakienne, cette fois.

Les armes (surtout américaines et russes), Daech les a trouvées en masse dans les entrepôts et casernes militaires de toutes les villes qui ont été prises, tant elles avaient irrigué l’Irak après l’invasion de 2003 - débandade et corruption de la nouvelle armée irakienne aidant [6]. La prise de Mossoul a aussi permis à l’État islamique une relative mais réelle autonomie financière par rapport à ses généreux sponsors de la période précédente en Syrie : l’équivalent de 323 millions d’euros en lingots d’or et en dollars dans la banque de Mossoul, et l’accès au pétrole de la région vendu sans problèmes aux pays voisins, notamment la Turquie.

Seule la révolte des opprimés peut éradiquer Daech

Les frappes américaines ont chassé Daech d’une bonne partie des gisements de pétrole irakien. Daech a donc dû augmenter les impôts sur les populations qu’il contrôle, comme déjà un véritable État. L’intensification d’une guerre regroupant cette fois les deux camps d’hier, d’Obama à Poutine, de Hollande à son homologue iranien Hassan Rohani, et ralliant l’ennemi d’hier Assad lui-même, en viendra-t-elle à bout ? Rien n’est moins sûr. Elle pourrait bien, au contraire, accroître le prestige de Daech auprès des civils qui sont sous les bombes de la coalition, ou ceux qui dans le monde en sont solidaires. Et quand bien même elle écraserait les troupes de Daech, ce ne serait qu’en apportant de nouvelles recrues à des clones de pareille entreprise. ■

27 novembre 2015, Raphaël PRESTON et Léo BASERLI


[1Chiffres : The international center for study of radicalisation and political violence (ICSR), « L’autoroute de l’internationale djihadiste », Philippe Rekacewicz, in Courrier International, « Daech, la menace planétaire », Hors-série, Oct-Nov-Déc 2015, p. 21

[2Voir à ce sujet Convergences Révolutionnaires n° 96, novembre-décembre 2014.

[3Liz Sly, « Le fantôme de Saddam », The Washington Post, 4 avril 2015, in Courrier International, Daech, la menace planétaire », Hors-série, Oct-Nov-Déc 2015, p. 9-10

[4Les appartenances religieuses en Irak seraient de 60 % de chiites pour 40 % de sunnites, dont les Kurdes qui ont, de leur coté une certaine autonomie et leur gouvernement.

[5Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté, tome II, partie V, chap. 24, éd. « Folio » Gallimard, 2012, p. 1028.

[6Patrick Cockburn, dans son livre « Le retour de djihadistes », explique que 41,6 milliards de dollars ont été dépensés en trois ans (2011-2014) pour créer cette armée de 350 000 hommes : « Ses uniformes et son matériel ont été abandonnés le long des routes vers le Kurdistan et vers le salut. La fuite a commencé par celle des officiers, dont certains se sont mis en tenue civile en abandonnant leurs hommes », ajoute-t-il en décrivant la prise de Mossoul par les djihadistes.

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