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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 113, juin-juillet-août 2017 > Après la présidentielle

Crise de foi dans le monde des politiciens : la bourgeoisie n’en fera pas une jaunisse

Après la déculottade à la présidentielle des deux grands partis qui depuis un peu plus de 30 ans alternaient au pouvoir, leurs notables ne savent plus à quel saint se vouer pour assurer la pérennité de leur carrière politique. Entre ceux, issus des deux camps, qui courent derrière la victoire immédiate en prenant des postes de ministres ou en se faisant introniser « majorité présidentielle » pour les législatives, et ceux qui rêvent, en ayant avec leur clan un groupe suffisant de députés au parlement, soit de se rendre indispensables à Macron pour former sa nouvelle majorité, soit de créer un bloc d’opposition suffisant, les deux grands partis se délitent sérieusement.

Que deviendront-ils dans les mois prochains ? Se fractionneront-ils ? Changeront-ils d’étiquette pour sembler plus neufs ? Cambadélis en parle déjà pour le PS. Peu importe. C’est leur affaire.

Mais leur crise ne rend pas pour autant la bourgeoisie malade.

Un politicien de perdu, dix de retrouvés

Car, pour gérer ses affaires, la bourgeoisie ne manque pas de larbins, ni de cartes politiques de rechange pour faire tourner à son service la machine de l’État. À commencer, donc, par le jeune arriviste Macron. À continuer par cette prétendue « société civile », c’est-à-dire les représentants de groupes industriels et commerciaux dont certains se partagent même quelques portefeuilles de ministres, au lieu d’en rester à agir en coulisse.

Quant au Front national, jugé aujourd’hui par la grande bourgeoisie trop « irresponsable » à cause de sa démagogie populiste, il pourrait bien un de ces jours, faute d’avoir gagné la présidentielle, se retrouver – tout ou partie puisque lui aussi connaîtrait du rififi intérieur – associé à un gouvernement de coalition, comme d’autres partis d’extrême droite ces dernières années en Europe. Outre les concurrences personnelles dont nous ignorons les secrets, Marine Le Pen et Florian Philippot, entre autres à propos de l’euro, représentent peut-être deux options : une tentation de se montrer rapidement disponible à la gestion des affaires, une autre (en vue des élections futures) de rester sur la ligne d’opposition démagogique qui rapporte des voix.

Autre phénomène du jeu politicien, l’ex-ministre socialiste Mélenchon est aussi candidat à servir à nouveau. Le voilà qui, avec son bluff habituel, voudrait faire croire à ses électeurs qu’il peut décrocher assez de députés pour contraindre Macron à une « cohabitation » avec lui : «  Il faut montrer qu’il faut que ce jeune homme soit tempéré dans ses folies par la main avisée d’un sage qui connaît de quel côté est le bonheur du peuple  », et il prend pour modèle la cohabitation entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, quand lui-même était ministre, et qu’il présente comme « un des moments les plus positifs de la vie de l’économie française  ». Ouais... politique anti-ouvrière tellement brillante que Jospin l’a payée en se voyant doublé par Jean-Marie Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2002 !

Les fausses questions

Mais le petit chamboule-tout actuel suffit à voir se multiplier dans la presse les questionnements sur l’avenir de la « démocratie » française ou la « crise » de ses institutions.

Au point que l’extrême gauche elle-même semble se laisser impressionner par ce genre de commentaires. Ainsi dans L’Anticapitaliste, journal du NPA (du 18 mai), en introduction d’une double page consacrée, à juste titre, à la riposte nécessaire aux attaques que nous prépare Macron, on peut lire : « la représentation politique de la bourgeoisie est entrée en crise profonde avec l’éclatement du parti post-gaulliste, les Républicains [...] À l’opposé, la représentation politique des travailleurs est elle-même en pleine décomposition, avec l’aspiration par En marche ! sur son flanc droit, l’écroulement du PS au milieu, les dérives populistes et souverainistes de l’homme providentiel Mélenchon et l’irrésistible chute du PCF ». La décomposition d’une « représentation des travailleurs » assurée par le PS n’aurait pas de quoi nous chagriner. Pas plus que nous attriste « l’irrésistible chute du PCF » qui l’a bien cherchée en courant derrière Mitterrand dans les années 1970-80, puis en s’alignant depuis cinq ans derrière Mélenchon, après avoir de toute façon trahi la classe ouvrière depuis des dizaines d’années. La seule question est de savoir comment, et avec quelle ténacité, nous, l’extrême gauche, les communistes révolutionnaires, pouvons nous implanter dans la classe ouvrière, comme le PCF le fut jadis, pour proposer une tout autre politique.

Même Lutte ouvrière en vient à voir le signe d’une « république bourgeoisie décatie » dans la tournure qu’a prise l’élection présidentielle cette année, signant « l’acte de décès de l’ancienne alternance qui fonctionnait en France depuis plus d’un demi-siècle » (Lutte de Classe de mai-juin 2017). Passons sur l’oubli du but que se fixait De Gaulle avec l’instauration de la Ve République : en finir avec la concurrence des partis pour assurer le pouvoir – sans alternance surtout ! –, du seul parti gaulliste. Et cela a marché pendant les 23 premières années de ce « demi-siècle ».

Alors ne glosons pas trop sur la « ruine » des grands partis de la bourgeoisie ou sur ce que serait, pour celle-ci, la meilleure forme de gestion de sa république, alternance à la mode française depuis 1981, ou alternance à l’américaine, mieux rodée mais qui n’en réserve pas moins quelques surprises... pour preuve l’élection de Trump alors que la grande bourgeoisie américaine semblait lui préférer Clinton. Si crise politique il y a, elle est dans nos rangs, du côté de la classe ouvrière et on pourrait même dire d’une extrême gauche qui n’affiche malheureusement pas le moindre souci d’avoir une politique commune qui pourrait renforcer ses rangs.

Revivifier le mouvement ouvrier

Car si Macron peut se sentir les mains libres pour poursuivre et durcir les mesures anti-ouvrières des gouvernements précédents, si une Marine Le Pen a pu doubler le score réalisé par son père au second tour de l’élection de 2002 (10,6 millions de voix contre 5,5 en 2002), et trouver, en plus de sa clientèle ordinaire de beaufs, une partie de son électorat dans le milieu ouvrier, c’est que la classe ouvrière a été désarçonnée par des années d’espoirs ou illusions trahis par la gauche, ainsi que par la politique de directions syndicales qui se vautrent dans le « dialogue social ». Même le mouvement du printemps dernier contre la loi travail, qui a apporté un bol d’air, a été étouffé en grande partie par de savantes tactiques syndicales, à commencer par celles de la CGT qui tout en se présentant comme à la pointe de la bataille, l’a étalée et dispersée, avant de sonner la retraite.

La construction d’un parti ouvrier qui soit vraiment celui de la classe ouvrière, celui des luttes, du renversement du système capitaliste ne se fera pas par des succès électoraux. Ceux de l’extrême gauche en 1995 puis 2002 (des scores à 5 %, puis à 10 % en 2002 en additionnant ceux de LO et LCR) ne pouvaient probablement qu’être fragiles tant que la classe ouvrière ne bousculait pas le rapport de forces par ses luttes et le renforcement de son organisation. La construction d’un parti se fera vraisemblablement par le succès de politiques justes dans des luttes, déclenchées indépendamment des révolutionnaires mais dans lesquelles ceux-ci devront intervenir et ne pas reculer devant la contestation des directions syndicales. Elle ne se fera pas non plus en cercle fermé, en craignant les confrontations, voire les tentatives d’actions communes entre courants, de peur d’y perdre son âme. Elle se fera encore moins en rêvant d’une résurrection de la « gauche » ou en s’alignant derrière la gauche réformiste, d’Hamon à Ensemble, en passant par Mélenchon ou le PC, sous prétexte de notre petitesse et au nom d’on ne sait quel front unique.

27 mai 2017, Olivier BELIN

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