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Corse : la colère de la jeunesse et les calculs des nationalistes

28 mars 2022 Article Politique

(Photo : Ajaccio, 16 mars 2022, Gérald Darmanin et Gilles Simeoni)

Les braises sont encore chaudes en Corse. La participation vendredi dernier aux différentes cérémonies en mémoire d’Yvan Colonna, mort des suites de l’agression qu’il a subie dans la prison d’Arles, atteste qu’au-delà du seul recueillement, la colère demeure forte. En réponse à la provocation de CRS qui, dans leur caserne de Furiani, au sud de Bastia, ont chanté la Marseillaise pendant les obsèques, de nouvelles manifestations ont eu lieu.

Yvan Colonna est devenu, d’une certaine manière, le symbole de l’injustice subie par la population de Corse. Pourtant, nombreux sont les jeunes, parmi ceux qui ont manifesté ces dernières semaines, à être nés après 1998, année du meurtre du préfet Érignac dont Yvan Colonna a été reconnu coupable par la justice (il l’a toujours nié) et pour lequel il était condamné à la perpétuité. Mais ces jeunes connaissent l’injustice de vivre sur une île, laissée-pour-compte par le développement, où la vie est plus chère alors que les salaires sont plus bas et le chômage plus fréquent.

Pas étonnant que le sentiment d’être délaissé prévale, et que cette jeunesse ait la rage contre l’État français, préférant brandir la culture de son île, sa langue. Et on comprend sa colère face à l’assassinat en prison d’un détenu considéré comme victime de la répression du mouvement nationaliste corse d’il y a vingt ans. Les autorités n’avaient jamais voulu qu’il soit transféré en Corse, pour qu’au moins sa famille puisse passer le voir. Et quand le gouvernement lui en a finalement octroyé le droit, pour étouffer l’incendie, Colonna était déjà sur son lit de mort !

Les jeunes descendent dans la rue, les notables se font aguicher par Darmanin

Tout le monde a bien dû noter que, sur ce point, les manifestations de la jeunesse ont obtenu en quelques jours ce que les dirigeants nationalistes n’avaient pas obtenus en vingt ans, à savoir le transfert sur l’île des détenus d’origine corse. Les deux co-condamnés de Colonna devraient être transférés mi-avril.

Et c’est surtout sur le plan des intérêts et des objectifs qu’il faut mesurer la distance entre cette jeunesse qui a tenu le haut du pavé pendant plus de deux semaines, manifestant à 10 000 tant à Corte le dimanche 6 mars qu’à Bastia sept jours plus tard, et les dirigeants nationalistes qui se sont mis en tête des cortèges pour appeler au calme dès que fut lâché par Darmanin le mot-miracle, la très sacrée « autonomie », synonyme pour eux de prébendes supplémentaires.

Tous les notables n’ont pas plié les gaules de la même façon, concurrence oblige. Femu a Corsica (« Faisons la Corse »), le parti de Simeoni, président du conseil exécutif territorial de l’île et disposant de la majorité à l’assemblée de Corse, a pris les devants alors que Darmanin n’était pas encore monté dans l’avion du retour. Corsica Libera (« Corse libre ») et le Parti de la nation corse ont appelé à poursuivre la mobilisation, sans pour autant appeler à une nouvelle manifestation. Et tout ce petit monde s’est retrouvé le 25 mars autour du cercueil pour « appeler au calme ».

Un malaise qui est aussi social

La Corse est bien dans une situation particulière. Le PIB par habitant y est de 27 000 euros, contre 35 000 en moyenne en France, et l’industrie représente à peine plus de 5 % du PIB, contre plus de 10 % au niveau national. Elle est depuis quelques dizaines d’années une destination touristique en vogue. Les dépenses des touristes, majoritairement des Français continentaux aisés, représentent un tiers du PIB de l’île. Plus d’un emploi sur dix est dans le tourisme (contre 4 % au niveau national) et ces emplois sont souvent peu qualifiés et surtout saisonniers. C’est au sud de l’île, là où se concentrent les vacanciers l’été, que se concentrent aussi les jeunes sans travail le reste de l’année (un moins de 29 ans sur trois se trouve dans cette situation).

Et si le tourisme porte tant bien que mal d’autres branches de l’économie (transport, commerce et construction), reste que le développement de l’île est par là limité, d’autant plus que la pègre se paie au passage. Il n’en faut pas plus aux nationalistes, dont beaucoup d’ailleurs profitent de la manne touristique et sont parfois liés au « milieu », pour cibler « la France », « Paris » ou « les étrangers » et faire croire que tout irait mieux en Corse si elle était plus autonome ou indépendante !

Mais toute l’économie de l’île repose sur ses liens avec le continent. Aujourd’hui, 44 % des habitants n’y sont pas nés et la plus grande ville corse est… Marseille ! Le budget de la collectivité territoriale de Corse dépend en bonne partie des dotations de l’État, et ainsi de suite.

L’autonomie n’ouvre aucun horizon pour la jeunesse corse

L’autonomie revendiquée par les notables corses est en fait une manière de tourner les règles du jeu à leur avantage. Quel programme comptent-ils appliquer grâce à cette autonomie que Darmanin se propose de négocier avec eux, si tant est que la promesse passe le cap du rétablissement du calme et de l’élection présidentielle ?

Contre les riches continentaux qui achètent des résidences secondaires sur l’île et qui font gonfler les prix de l’immobilier, les nationalistes réclament un « statut du résident » qui conditionnerait la possibilité d’accéder à la propriété au fait d’être corse ou de vivre en Corse depuis assez longtemps. Et qui profiterait surtout aux fortunes corses de l’immobilier et du tourisme !

Contre les continentaux qui occupent certains emplois, dans l’administration ou dans l’hôtellerie, mais surtout contre les immigrés maghrébins ou du sud de l’Europe qui travaillent dans la construction, le commerce ou l’agriculture et qui font les travaux les plus durs, il faudrait « corciser les emplois », c’est-à-dire les réserver aux seuls Corses. Ce n’est pas ça qui va donner aux travailleurs de l’île des emplois variés et bien payés ! Mais cela alimente à peu de frais le racisme…

Qu’auraient à y gagner les jeunes Corses, pas ceux qui veulent remplacer les Simeoni et consorts dans le business de l’autonomie, mais ceux qui se préparent à une vie de galère d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée ?

Bastien Thomas

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