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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 127, juin-juillet-août 2019

Contre les licenciements et les fermetures d’entreprise

L’annonce par General Electric du licenciement de 1 000 salariés sur 4 000 que compte l’usine Alstom de Belfort met une nouvelle fois à l’ordre du jour la question de la lutte contre les licenciements et les fermetures d’entreprises.

Actuellement, outre les travailleurs de Belfort, ceux de Ford, d’Ascoval, d’Auchan, de la Société générale sont sous le coup d’annonces de licenciements. Pour des raisons différentes, plusieurs de ces entreprises ont une notoriété permettant que la presse et les grands médias relayent l’action des travailleurs.

Le fait qu’une entreprise en lutte soit sous les feux des projecteurs ne donne pas en soi des moyens de lutter, pas plus que de gagner. En revanche, cela donne une certaine crédibilité pour s’adresser à d’autres. Or, des travailleurs concernés par les licenciements collectifs ou les fermetures d’entreprise, il y en a beaucoup, connus seulement localement et dont les tentatives éventuelles de lutte sont passées sous silence. Ce qui pourrait donner une dimension tout à fait concrète au « Tous ensemble ! » clamé dans les manifestations... et jamais mis à l’ordre du jour des confédérations syndicales.

Une lutte perdue d’avance ?

C’est ce qu’on voudrait nous faire croire. Tout dépend évidemment des objectifs que se donne la lutte.

La « mondialisation » a pour dimension essentielle la rapidité avec laquelle les capitalistes peuvent mettre en concurrence les travailleurs du monde entier, fermer une entreprise ici et en rouvrir une autre ailleurs. On peut donc se dire que, si un patron a décidé de partir, pour le faire rester, ou même seulement payer, il faudra le contraindre. La véritable question est donc : qui peut contraindre un patron à rester ou payer ? Ou, plutôt, quelle situation le peut ?

Compter sur l’État ?

Les organisations syndicales se tournent immédiatement vers le gouvernement, réclamant qu’il oppose au patron qui veut fuir les moyens dont dispose l’État. Aucun patron n’est « de bonne volonté ». L’« humain », l’« intérêt général » qui reviennent si souvent dans les demandes syndicales – et, parfois, dans celles des représentants politiques – sont des notions qui n’ont rien à voir : « It’s business ! » est la seule réponse, les fameuses lois du marché.

Pour mémoire, Bruno Le Maire n’a même pas réussi à joindre le patron de Ford... au téléphone ! Ce genre de situation avait fait dire à Lionel Jospin, alors Premier ministre en 1997, que « l’État ne peut pas tout ! », alors qu’il venait de manger son chapeau par rapport à l’une de ses promesses de campagne, celle de ne pas fermer l’usine Renault de Vilvorde, en Belgique.

Ceux qui auraient peur de tout perdre

Les patrons n’ont pas peur des États dont les gouvernants sont à leur service. Mais ils ont peur de tout perdre ! En tout cas de perdre beaucoup. C’est là que, objectivement, une lutte commune de tous les travailleurs menacés de perdre leur emploi pourrait susciter cette crainte salutaire. D’autant que des dizaines de milliers de travailleurs mobilisés et n’ayant rien à perdre pourraient constituer un levier puissant pour soulever le reste de la classe ouvrière et basculer sur un tout autre type de lutte, offensif, se donnant comme objectif de remettre les pendules à l’heure pour le monde du travail, ne serait-ce qu’en récupérant tout ce qui a été enlevé aux travailleurs ces deux dernières décennies.

Utopique ? Pas si sûr. Qu’on songe plutôt à la peur panique qui s’est emparée du gouvernement français et des grands patrons après les manifestations des Gilets jaunes du 1er décembre dernier : le climat dans le pays était électrique et, si un secteur de la classe ouvrière était parti en lutte, la grève aurait très bien pu s’étendre. Il n’y a apparemment pas que nous qui l’avons pensé : Macron s’était dépêché de réunir les grands patrons pour leur demander de désamorcer la bombe sociale en payant pour ne pas voir. Ce furent les fameuses primes défiscalisées. Parallèlement, il s’assurait le soutien des confédérations syndicales et, tout particulièrement, de la CGT qui choisit ostensiblement le camp du pouvoir et publia alors son communiqué ignominieux dénonçant non pas la violence de la répression, mais celle des manifestants.

Quelles chances de victoire ?

Les chances de victoire pour empêcher des licenciements ou une fermeture ne peuvent venir que du danger tangible d’extension de la lutte à l’ensemble du monde du travail, et donc sur un terrain offensif et non plus défensif. La lutte contre les licenciements pose donc d’emblée la question de la réaction collective de la classe ouvrière qui, seule, peut donner au problème une dimension politique et avancer des solutions comme l’interdiction des licenciements. Elle pose donc d’emblée aussi la question de l’intervention militante pour tenter de proposer une telle politique aux travailleurs.

Comment créer un rapport de force favorable

« Réalistes », les travailleurs d’une entreprise menacée de fermeture aspirent avant tout à obtenir le plus possible dans le cadre du « plan social ». Mais, même ainsi, obtenir des indemnités allant au-delà du « légal » – de plus en plus restreint d’ailleurs – nécessite de créer un rapport de forces dépassant le cadre de l’entreprise. Pas seulement les manifestations de colère, aussi violentes soient-elles, comme les menaces de tout faire sauter dans l’entreprise, comme cela s’était produit à Sodimatex en 2010, ou à GM&S plus récemment.

Il faut que les patrons craignent l’extension et, encore une fois, payent pour ne pas voir. Fin 1978, les travailleurs de la sidérurgie, en Lorraine à Longwy et dans le Nord à Denain, à qui on avait demandé de se résoudre en silence, au nom de la fameuse « rançon du progrès », à l’« inévitable » fermeture de leurs entreprises, ont pris d’assaut commissariats et chambres patronales, instaurant dans ces deux villes ouvrières un climat d’émeutes durable mais, surtout, menaçant de s’étendre, la situation dans le reste du pays étant assez explosive. Raymond Barre, le Premier ministre de l’époque, s’était gardé de dénoncer les violences des manifestants mais s’était au contraire engagé à la télé, dès le lendemain, à indemniser les travailleurs de la sidérurgie bien au-delà de ce qui était prévu jusque-là.

Même la seule volonté d’obtenir le plus possible nécessite une lutte qui dépasse le cadre local.

Dépasser les limites des luttes syndicales

C’est là que l’on voit très vite les limites fixées par les organisations syndicales qui, toutes, réclament du gouvernement qu’il garantisse le maintien des emplois. Ces derniers jours encore, à Alstom Belfort, un syndicaliste – certes de la CFE-CGC – disait attendre de Bruno Le Maire qu’il défende les salariés.

Il n’est évidemment pas question de reprocher aux syndicalistes, ou à quiconque, de prendre langue avec les autorités, quelles qu’elles soient. C’est évidemment un moment nécessaire : la lutte contre les licenciements ne se transformant pas par magie en révolution sociale, il faut bien parvenir à un accord avec ceux qui sont aux commandes, et cela ne peut qu’être un compromis. Mais il s’agit de poser des revendications précises et non demander « de l’aide » en général, laissant ainsi entendre que ministres ou patrons pourraient le faire sans y être contraints.

Évidemment, les travailleurs d’une entreprise en lutte contre des licenciements ou sa fermeture ne peuvent pas attendre que le reste des travailleurs entre en lutte. Mais poursuivre un objectif général – comme l’interdiction des licenciements, par exemple – nécessitant une lutte d’ensemble du monde du travail n’est pas incompatible avec des objectifs limités visant à faire payer le maximum aux patrons. C’est même complémentaire.

L’intervention des révolutionnaires ne peut en rester à proposer une lutte se contentant des logiques locales voulues dans l’instant par les travailleurs, quand bien même c’est indispensable. Il faut, en même temps, tout tenter, le possible comme l’improbable, pour étendre la lutte et lui permettre d’acquérir ainsi un caractère politique. Pas par de la propagande générale du style « un jour viendra », mais par une organisation minutieuse, en nouant des liens systématiques, en coordonnant des actions concrètes dans le but de s’adresser aux autres, de bâtir ce « tous ensemble ».

Le succès n’est jamais garanti. Et cette démarche est difficile à mettre en œuvre auprès des travailleurs, du moins jusqu’à ce qu’elle rencontre quelque succès. Mais la lutte d’ensemble des travailleurs ne peut pas être une simple agitation propagandiste. C’est un objectif à traiter avec préparation sur le tas, minutie, liens à établir avec les travailleurs des autres entreprises concernées, en fonction du climat social du moment, de la notoriété et des échos médiatiques de telle ou telle lutte. La convergence des luttes, cela se prépare aussi !

3 juin 2019, Jean-Jacques Franquier

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