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Accueil > Les articles du site > Réunion publique du 21 mars 2021 : La Commune n’est pas morte (...)

Comment les Communards ont cherché à changer le monde

Mis en ligne le 25 mars 2021 Article Culture

Réunion publique du 21 mars 2021 sur la Commune de Paris — 5e partie (Accès au sommaire)


Les communards n’en ont pas conscience dès le début, mais c’est un pouvoir radicalement nouveau qu’ils sont en train de bâtir. C’est moins les mesures prises en tant que telles que la manière de les réaliser, de les penser mais plus encore l’implication des masses qui importe : comment les Communards ont cherché à changer le monde.

Agir dans l’urgence

Les Communards règlent en premier lieu et dans l’urgence des problèmes pratiques : Paris sort d’un siège de plusieurs mois et doit faire face au sabotage des bourgeois. Concrètement, il faut réinvestir les organes vitaux de la ville et répondre aux besoins alimentaires, de soins, de logements ou de la défense. On se procure le matériel nécessaire pour soigner les blessés dans les Églises, les hospices, les couvents. Jean Allemane, dans son livre Mémoires d’un Communard, raconte le déroulement d’une perquisition dans la maison des sœurs de la rue Saint-Jacques qu’il a menée avec l’aide du comité des femmes socialistes. Voici l’extrait de son récit portant sur cette anecdote :

Mis en garde par certaines manœuvres de ces bonnes dames, j’avais prié quelques citoyennes du Comité socialiste de m’accompagner et placé des gardes nationaux aux portes avec ordre de ne laisser sortir personne. Ces précautions prises, nous pénétrâmes dans l’établissement qui appartenait à la Ville mais que, comme tant d’autres, on avait depuis longtemps livré aux congréganistes, lesquels en avaient fait un ouvroir […] A l’entrée, nous trouvâmes une trentaine de jeunes personnes et quelques sœurs ; elles me parurent quelque peu inquiètes, presque apeurées. Je saluai et suivis la sœur économe, qui, déjà, gravissait les premières marches d’un escalier conduisant au dortoir, situé au premier étage. Au tournant de l’escalier je jetai un rapide regard sur la cour et je vis que les jeunes filles et les sœurs se dirigeaient hâtivement vers la sortie. Quoique soupçonnant une manœuvre délictueuse, je n’en fis rien paraître. Après le dortoir, ce fut le tour de l’atelier de couture, du réfectoire, de la pharmacie ; mais, comme je n’entendais aucun bruit et qu’un vague sourire errait sur les lèvres pâles de mon interlocutrice, je lui dis doucement : Ne pensez-vous pas, Madame, qu’il serait temps d’aller voir ce que sont devenues les jeunes filles ? Et je me dirigeai vers la cour. La sœur dut faire de même ; mais à peine étions-nous avancés de quelques pas que nous perçûmes un bruit de voix où se mêlaient des sanglots. Je me retournai vers la sœur économe : son visage était livide. Elle fit mine de vouloir revenir sur ses pas ; je la priai de n’en rien faire. Nous arrivâmes près de la porte principale, où se trouvaient deux vastes salles. Dans la salle du fond se voyait un entassement de linge de toute sorte ; de nombreuses orphelines, arrêtées et fouillées au passage par des citoyennes du Comité, pleuraient. La sœur économe, comprenant que je m’étais moqué de sa ruse, demeurait sans voix devant ce spectacle inattendu ; elle s’en fut, néanmoins, retrouver ses compagnes, confondues, rageant d’être prises en flagrant délit de vol.

Il faut agir rapidement, en installant par exemple des ambulances de fortune dans des bâtiments laissés vides. Tous les services, abandonnés ou sabotés doivent être remis en marche. C’est le cas de la poste qui a vu fuir tout son personnel dirigeant. En partant, les cadres ont dégradé les machines qui ont été mises à sac. Ils ont détruit ou volé les réserves de timbres. En trois jours, elle fonctionne pourtant à nouveau. L’assistance publique, les télégraphes, la voirie, jusqu’aux cimetières : la Commune reprend tout en main.

Au service du monde ouvrier

Malgré le conflit ouvert avec Versailles, la Commune enchaîne les mesures : l’abolition de la conscription (remplacée par le peuple en armes) ; l’interdiction du travail des enfants et la création d’une école laïque, gratuite et obligatoire pour les garçons et les filles (dix ans avant Jules Ferry).

La Commission du travail et de l’échange, véritable ministère du Travail de la Commune, dirigée par Léo Frankel avec les organisations ouvrières, prend en charge les questions liées à l’organisation du travail, à un moment où la plupart des patrons ont fui à Versailles. Il s’agit d’abord de contrôler qu’un salaire minimum est versé aux travailleurs par les patrons dans le cas de commandes d’État et de confier une majorité de ces commandes à des organisations ouvrières. La journée de travail dans les deux ateliers réquisitionnés pour produire l’armement est limitée à 10 heures, tandis que leur encadrement est élu. Les ateliers abandonnés par leurs propriétaires sont réquisitionnés et doivent être remis, après indemnisation de leurs propriétaires, à des coopératives ouvrières. Parmi les plus célèbres mesures de la Commune : la suppression du travail de nuit pour les boulangers ; l’interdiction des retenues sur salaire (qui auparavant fournissaient aux employeurs un moyen commode pour contrôler leurs salariés et rogner leur paie) ; la remise des loyers de l’hiver 1871 pour les plus pauvres ; la remise des biens placés au mont-de-piété, et le principe de la suppression de celui-ci, remplacé par un service de secours financiers en cas de chômage.

La Commune proclame aussi la séparation de l’Église et de l’État et la réquisition des biens de l’Église. L’enseignement est désormais dispensé par des instituteurs laïques et non plus par les prêtres. Les lieux de culte deviennent des clubs de discussions ou encore des orphelinats ou des hôpitaux.

La séparation de l’Église et de l’État (retrait des crucifix des salles de classe) vue par les Communards

La Commune prend aussi des mesures d’ordre symbolique : le peintre Courbet, élu en charge de la culture, fait ouvrir gratuitement tous les musées. On défend l’idée de la culture accessible à tous, autogérée et non plus réservée à une élite.

Les travailleurs parisiens au pouvoir posent les premières pierres d’une nouvelle société : dans le Journal Action, le communard Lissagaray déclare : « Ce qu’il faut, c’est assurer à l’ouvrier la possession de son travail ». La Commune n’a pas eu réellement le temps de bouleverser l’organisation du travail en un temps où la lutte contre les Versaillais occupait une grande partie du temps et des préoccupations. Les mesures prises n’en sont que plus représentatives du monde qu’ils voulaient bâtir. La réquisition par les travailleurs des ateliers abandonnés, ce sont les prémices d’une société débarrassée de l’exploitation, la perspective politique du socialisme. Le mot d’ordre de la Délégation communale du 1er arrondissement exprime clairement cette aspiration :

Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant.

Les femmes en première ligne

Léodile Champseix, une journaliste féministe plus connue sous le nom d’André Léo, membre de l’AIT et de la section des Batignolles, rédige un appel aux « Travailleurs des campagnes » qui commence ainsi :

Frère, on te trompe. Nos intérêts sont les mêmes. Ce que je demande, tu le veux aussi. (…) écoute bien ceci, travailleur des campagnes, pauvre journalier, petit propriétaire que ronge l’usure, bordier, métayer, fermier, vous tous qui semez, récoltez, suez pour que le plus clair de vos produits aille à quelqu’un qui ne fait rien, ce que Paris veut, en fin de compte, c’est LA TERRE AU PAYSAN, L’OUTIL A L’OUVRIER, LE TRAVAIL POUR TOUS.

C’est donc bien à tort que le rôle des femmes dans la Commune est souvent réduit à quelques grands noms comme ceux de Louise Michel (qui s’est impliquée dans toutes les activités, de l’éducation laïque pour tous à l’édification et la défense des barricades) et Elizabeth Dmitriev (cette militante marxiste qui fonde à 20 ans l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, organisation dont l’historien Jacques Rougerie dit « C’est de Fédération syndicale des ouvrières de Paris qu’il faudrait parler », tant Dmitriev et ses camarades organisent en réalité les travailleuses).

Les Communardes sont ainsi rendues invisibles ou réduites à des stéréotypes fantasmés et sexualisés (traitées d’hystériques, de « vierges rouges », de pétroleuses incendiaires, au comportement irrationnel et dangereux). En réalité, des milliers de femmes ont joué un rôle de premier plan dans la Commune de Paris. Au cinquantième jour de la Commune, la commission exécutive de l’Union des femmes déclare :

Les femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême – aux barricades, sur les remparts de Paris –, donner leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du peuple !

Ces femmes constituent des clubs politiques et populaires, des comités de vigilance, ralliant les brigades militaires, soulageant et nourrissant les blessés, publiant les journaux, développant les écoles mixtes, organisant des soupes populaires… Il s’agit le plus souvent de femmes ouvrières travaillant dans les usines textiles. On peut prendre l’exemple de Marie Rogissart qui organise les femmes pour arrêter les réfractaires qui refusaient de défendre la Commune ou Marie Lemonnier, apprêteuse de neuf, qui sert comme ambulancière sur le champ de bataille puis érige des barricades. Ces femmes participent parfois même avec les enfants, sans attendre l’autorisation de leurs camarades masculins, à la lutte armée.

Cette lutte armée ne connaît en effet quasiment pas d’interruption pendant les 72 jours de la Commune.

Léodile Champseix plus connue sous le nom d’André Léo


Suite : Seuls au monde ?

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