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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 120, juin-juillet-août 2018 > SNCF

SNCF

Comités de mobilisation, Inter-Gares... ou l’exigence, pour les révolutionnaires, de donner corps à la démocratie ouvrière

Mis en ligne le 14 juin 2018 Convergences Entreprises

La question de l’organisation démocratique des grévistes, syndiqués et non syndiqués, non seulement pour participer activement mais pour véritablement décider des orientations de leur mouvement, est primordiale pour les révolutionnaires. Il est indispensable de pousser toute grève au maximum de ses potentialités, pour lui permettre de gagner, de s’étendre si possible, en tout cas pour ne pas rester dans les limites qu’imposent les appareils syndicaux. En vidant les AG, la grève perlée décidée par les directions CFDT, CGT et UNSA a rendu la tâche encore plus difficile que d’habitude. Mais pas moins incontournable.

Les comités de mobilisation

Dès le 22 mars, première journée de manifestation appelée par les syndicats plus d’un mois après le rapport Spinetta, les noyaux militants de la grève de 2016 se sont retrouvés, dans un certain nombre de gares en région parisienne, pour former à nouveau les « comités de mobilisation » ou autres « bureaux d’organisation » de la grève qui avaient vu le jour lors de grèves antérieures [1]. Ces comités n’avaient pas réussi à diriger la grève contre la loi Travail et le décret-socle en 2016, restée entre les mains des directions syndicales ; mais ils avaient permis d’incarner une politique différente et d’entraîner dans la lutte un certain nombre de jeunes et de non syndiqués. « La grève appartient aux grévistes, syndiqués ou non syndiqués »  : la formule et la conviction sont ancrées bien au-delà des cercles de l’extrême gauche.

L’annonce de la grève perlée « inédite » donnait une raison supplémentaire pour structurer, même de façon très minoritaire au début, un milieu de grévistes contestataires. Et même si jusque-là une majorité de cheminots grévistes semblent avoir accepté cette « modalité » de l’Intersyndicale et se sont calés sur son calendrier, les militants de ces comités sont reconnus par leurs collègues comme les plus actifs dans la grève, porteurs de propositions pour tous les grévistes – pour la minorité en reconductible dont ils font partie, comme pour la majorité en perlée qu’ils cherchent à entraîner.

Ces comités se sont fait connaître, parfois élire dans leurs AG, en insistant dès le départ sur deux points : le retrait du pacte ferroviaire « sans négociation ni amendement » et la nécessité de préparer la reconductible. Si le premier a été facilement adopté et largement repris par les grévistes (mais pas par les directions syndicales), le second s’est avéré bien plus compliqué. Il est manifeste, de ce point de vue, que la direction de la grève reste complètement entre les mains des fédérations cheminotes.

Mais cela n’empêche pas que les militants de ces comités soient en permanence sur la brèche, eux-mêmes en grève reconductible car occupés tous les jours à tourner auprès de leurs collègues ou à chercher le lien avec les usagers ou les salariés d’autres secteurs. Paradoxalement, ces militants partisans – et pratiquants – de la reconductible, ne sont pas pour rien dans le succès de la grève, même perlée. Après deux mois de grève, les comités de mobilisation se maintiennent voire recrutent, restent actifs et sont le lieu de toutes les discussions.

Les rencontres Inter-Gares

Nulle part ces comités de mobilisation ne sont encore devenus de véritables comités de grève, reconnus comme une direction (et pas seulement comme un pôle « d’animation »), composés de membres élus et révocables par les AG. Difficile d’ailleurs d’imaginer la floraison de ce genre de structure dans le cadre du conflit actuel, sans un tournant vers une grève reconductible qui serait la condition à la tenue d’assemblées générales plus nombreuses. D’où l’impossibilité de convoquer une véritable coordination, composée de membres de ces comités mandatés par leurs AG, capables de représenter les grévistes à une échelle nationale et de diriger la grève. Certes, ce n’est pas 1986 où des révolutionnaires du courant Lutte ouvrière, suivis par d’autres, ont pu encourager des cheminots grévistes à aller jusqu’à une coordination nationale inter-catégories de leur mouvement, largement concurrente des bureaucraties syndicales.

La « situation », une excuse pour ne pas tenter de fédérer ?

Les difficultés propres à la grève actuelle auraient-elles signifié que les révolutionnaires n’avaient pas à tenter de bousculer les nombreuses barrières d’une entreprise éclatée comme la SNCF – barrières jalousement gardées par les appareils syndicaux ? Ou qu’il faudrait attendre d’avoir des comités de grève dans chaque AG avant de commencer à fédérer des grévistes à une échelle un peu plus large ? Au contraire, l’expérience de « l’AG des AG » en 2014 [2] en région parisienne et des premières rencontres Inter-Gares de 2016 [3] avait montré que le fait de tisser des liens entre gares d’une part relevait de la nécessité et du bon sens, d’autre part renforçait les efforts d’organisation au niveau local. Surtout à Paris où les grandes gares sont si proches géographiquement les unes des autres ! Mais à nouveau, les efforts pour mettre sur pied ces réunions Inter-Gares ont reposé sur une poignée de militants révolutionnaires. Et évidemment, moins ils sont nombreux à le tenter, moins fructueux en est le bilan... Cela suffirait-il pour dire que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle ?

Les deux premières réunions de l’Inter-Gares, dont nos camarades ont pris l’initiative, n’ont regroupé qu’une vingtaine de grévistes mais n’ont pas découragé les membres des comités de mobilisation qui y tenaient. La troisième a réuni plus de 45 cheminots dans l’université de Tolbiac occupée. Le 23 avril, l’Inter-Gares a dépassé la centaine de participants. À ce jour, dix Inter-Gares se sont réunies, la plus nombreuse s’est tenue le 22 mai à la gare du Nord, hors calendrier de la perlée, en présence de 300 grévistes.

Un débat au sein de l’Inter-Gares

Cette Inter-Gares a sensiblement grossi, même si elle est évidemment très loin d’être représentative du mouvement dans son ensemble, et encore plus loin de pouvoir en disputer la direction à l’Intersyndicale fédérale. Mais qui n’en est pas conscient ? Si elle regroupe des non-syndiqués et des militants FO ou CGT, la majorité des participants sont à Sud – et pour cause, puisque c’est le seul syndicat qui se soit prononcé peu ou prou en faveur de la reconductible. Ce déséquilibre n’est un problème que dans la mesure où un certain courant de Sud-Rail semble plus intéressé à la dénonciation de ses « concurrents » de la CGT qu’à la construction d’outils pour l’organisation démocratique des grévistes.

L’Inter-Gares a adopté des motions adressées à l’ensemble des grévistes, pour défendre le retrait pur et simple du pacte ferroviaire et la nécessité de faire vivre au mieux une véritable grève. Mais celle-ci a, ces derniers temps, adopté d’autres motions qui s’adressaient exclusivement à l’Interfédérale pour l’appeler à « bouger le calendrier » et à proposer « un nouveau plan de bataille pour donner un second souffle au mouvement ». À vrai dire, les deux types de motions étaient adoptées, les enjeux du débat n’étant pas toujours saisis... ni vitaux dans le contexte, il faut le dire. Mais comment imaginer que ce genre d’interpellation puisse avoir le moindre effet sur la politique verrouillée de l’Interfédérale, vue la faible influence de l’Inter-Gares ? La principale direction visée, celle de la CGT, n’a bien sûr pas daigné répondre – et pourquoi le ferait-elle étant donné le rapport de forces ? En fait, l’influence de certains courants de Sud-Rail n’était pas loin derrière. Le 1er juin, une quinzaine de jours après que ces motions adressées à l’Intersyndicale ont été proposées, à l’Inter-Gares comme ici ou là dans des assemblées locales, la fédération Sud-Rail faisait circuler sa propre motion « d’interpellation » pour demander de nouvelles modalités de grève à la CGT, la CFDT et à l’Unsa – les partenaires avec lesquels elle se réunit pourtant régulièrement depuis maintenant trois mois en Interfédérale et avec lesquels elle est censée discuter. Cette posture pétitionnaire, dans le contexte, à un moment où les modalités de la grève commencent à susciter l’impatience des grévistes, ressemble surtout à une façon pour Sud-Rail de se démarquer de l’Intersyndicale, un peu mais pas trop. En tout cas, ce genre de manœuvre à trois bandes ne peut que repousser la majorité de grévistes qui suivent la CGT et à qui il faudrait pourtant s’adresser pour les entraîner. Car la grève, ce sont elles et eux aussi, en nombre !

Pour revenir à l’Inter-Gares de la région parisienne, à laquelle quelques camarades de province se sont ralliés, cette discussion en son sein sur la nécessité ou non d’interpeller les directions syndicales est surtout, à ce stade, le reflet de sa faiblesse. Par elle-même, elle n’a pas la force de proposer des perspectives à l’ensemble des cheminots (ce qui serait une condition pour une « interpellation » efficace). D’où la recherche de raccourcis illusoires, d’autant plus contre-productifs qu’ils sont motivés par une impatience qui vire au défaitisme.

Pour nous, le constat impose au contraire de tout faire pour que cette Inter-Gares, et tous les cadres d’auto-organisation des grévistes, même s’ils sont bien peu nombreux, prennent confiance en eux-mêmes, se renforcent et recrutent en proposant des perspectives pour le mouvement dans son ensemble et des moyens de les mettre en œuvre, même à l’échelle locale d’une gare ou d’un chantier. Des tentatives dans ce sens ont porté leurs fruits puisque l’Inter-Gares a inspiré la formation de plusieurs comités de mobilisation en province. L’Inter-Gares a aussi appelé et réussi à entraîner une minorité non négligeable de cheminots dans la grève le 22 mai, journée de grève des fonctionnaires qui n’était pas dans le calendrier syndical cheminot des 2 jours sur 5.

Quels que soient leurs insuffisances et leurs défauts, innombrables, ces comités et ces rencontres Inter-Gares méritent d’exister et d’être défendus. La grève n’est pas terminée et il faut les renforcer. Il est dommageable que l’extrême gauche de ce pays, qui par principe revendique l’exigence d’« auto-organisation » et de démocratie ouvrière contre la politique d’appareils syndicaux inféodés à l’État, même quand ils ont eux-mêmes déclenché une grève (en lui fixant des modalités conformes à leurs intérêts !), puise trop souvent dans « la situation » des excuses pour ne pas chercher à lutter désespérément pour cette démocratie ouvrière ; ou quand elle existe, ne serait-ce qu’à l’état embryonnaire, tente de la réorienter vers un appel à l’aide... des bureaucraties.

2 juin 2018, Raphaël PRESTON


[1Voir Convergences Révolutionnaires n°106.

[2Voir « À Saint-Lazare, à Paris, une sacrée expérience engrangée ! » dans Convergences révolutionnaires n°95.

[3Voir Convergences Révolutionnaires n°106.

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Numéro 120, juin-juillet-août 2018

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