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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 81, mai-juin 2012

Chine : d’où viennent les milliards de bénéfices d’Apple ?

Mis en ligne le 19 mai 2012 Convergences Monde

Au 1er trimestre 2012, le géant informatique californien a empoché un bénéfice de 11,6 milliards de dollars en vendant les millions d’ordinateurs, iPhones et autres iPads de ses sous-traitants. Cette pluie de dollars qui arrose les actionnaires prend sa source dans les méthodes d’exploitation des usines chinoises de Foxconn, son principal fournisseur : embrigadement des travailleurs soumis à un régime quasi militaire, conditions de travail épuisantes, salaires très faibles, sécurité négligée.

Foxconn est une entreprise taïwanaise qui sous-traite environ 30 % des produits Apple ; elle travaille aussi pour d’autres firmes comme Nokia, Sony, Dell, Microsoft, etc. Plus d’un million de salariés sont employés dans ses usines de plusieurs grandes villes chinoises (dont Shenzhen, Chengdu ou Zhengzhou).

Une usine « pretty nice »

En 2010, onze salariés d’une usine Foxconn de Shenzhen se sont suicidés en plongeant dans le vide du haut de leurs dortoirs. Ce qui n’a pas empêché Steve Jobs, l’ancien PDG décédé d’Apple, venu sur place après la tragédie, de trouver l’établissement « pretty nice » (plutôt chouette). De son côté Terry Gou, le magnat de Foxconn, faisait installer des filets de sécurité aux fenêtres et menaçait les familles des futurs suicidés de ne plus toucher de dédommagement. Les salaires ont été relevés depuis, mais restent toujours très bas, et les conditions de travail perdurent. Du salaire de base, il faut déduire les frais de nourriture (infecte), l’hébergement (dortoirs surpeuplés, sur le site), l’assurance et les taxes diverses.

« Travaille dur aujourd’hui pour ne pas avoir à travailler dur pour trouver un job », peut-on lire sur les murs de l’usine. Résultat : des journées de douze heures passées à travailler dans une lumière aveuglante six ou sept jours par semaine. Les longues stations debout qui font enfler les jambes et donnent des crampes. L’interdiction de se parler. Les brimades des chefs, les humiliations et les « punitions » : une minute de retard, et c’est l’obligation de rédiger une lettre de confession, de recopier des citations tirées des œuvres du PDG ou le risque de se voir infliger une amende. Une erreur ou un défaut sur une pièce et l’employé peut être forcé de recopier la procédure d’opération standard ou voir son salaire amputé. Dans une usine Foxconn de Shenzhen, les chefs, en guise de punition, obligent les ouvriers à faire des pompes. Si l’objectif de production n’est pas atteint dans les temps, les salariés doivent travailler plus longtemps et gratuitement pour atteindre l’objectif. Avant le lancement d’un nouveau modèle, journée continue de sept ou huit heures en sautant un repas. Etc.

On n’envoie plus les jeunes se rééduquer à la campagne… mais chez Foxconn

Pourtant, ces usines high-tech font rêver les jeunes villageois voulant échapper à l’horizon limité de leur village avec le risque du chômage ou une embauche dans une petite entreprise locale aux conditions moyenâgeuses. Pour attirer les grandes firmes, le gouvernement et les autorités locales font assaut de bienveillance : cession gratuite de terrains, aménagement des sites avec l’argent de l’État, mise à disposition d’autocars publics pour acheminer les ouvriers, campagnes de recrutement de main-d’œuvre, assorties de belles promesses, publicités avantageuses (T-shirts avec le slogan : « I love Foxconn »), enrôlement forcé d’étudiants d’écoles professionnelles envoyés pour trois ou six mois trimer comme stagiaires sous-payés et corvéables à merci : c’est ainsi qu’en 2010, le gouvernement de la province du Henan a contraint 100 000 élèves à aller travailler comme étudiants-stagiaires dans les usines Foxconn.

60 heures par semaine

Sous la pression des accusations répétées de plusieurs ONG, Apple a enfin accepté que la FLA (Fair Labor Association [1] : les industriels y occupent la moitié des sièges du conseil d’administration !) mène une enquête dans plusieurs usines Foxconn. Dans les trois usines visitées et après avoir recueilli les témoignages de plus de 35 000 ouvriers, le rapport publié fin mars est édifiant : plus de 50 violations du droit du travail ont été relevées. La loi chinoise limite à 40 heures plus 9 heures supplémentaires la durée maximum de la semaine de travail. Or la FLA, que l’on ne saurait taxer d’être gauchiste, chiffre à 56 heures la durée de travail hebdomadaire constatée et près de la moitié des travailleurs interrogés déclarent avoir travaillé en moyenne 60 heures, parfois pendant 11 jours d’affilée, donc sans le jour de repos hebdomadaire légal. Le rapport de l’ONG Students & Scholars Against Corporate Misbehaviour [2] (SACOM), dont l’indépendance n’est pas contestée, est encore plus éloquent : dans trois usines Foxconn de Zhengzhou, la plupart des employés contactés ont déclaré avoir effectué de 50 à 80 heures supplémentaires mensuelles, beaucoup plus que les 36 heures légales autorisées par la loi. Là aussi, bienveillance des autorités chinoises envers les patrons délinquants.

Un solvant neurotoxique interdit en Europe

Les règles de sécurité et la santé des salariés ne sont pas une priorité pour les sous-traitants d’Apple. Il y a deux ans, 137 ouvriers de l’usine Wintek de la ville de Suzhou, un autre sous-traitant d’Apple, ont été gravement intoxiqués après avoir poli des écrans d’iPhones au n-hexane, solvant neurotoxique très dangereux, interdit en Europe. Après un séjour de huit mois à l’hôpital, l’un d’entre eux, Jia Jingchuan, 27 ans, n’a toujours pas retrouvé ses sensations dans les mains et les jambes ; avec sa lettre de licenciement, le patron de Wintek lui a demandé de signer un accord dégageant l’entreprise de toute responsabilité au cas où sa santé s’aggraverait. Le solvant incriminé a depuis été remplacé par de l’alcool, mais ce patron voyou a détruit la santé de ses employés. En 2011, une explosion dans une usine Foxconn à Chengdu, due à de la poussière d’aluminium, a tué 7 personnes et en a blessé 77 autres. Un système de ventilation efficace aurait pu empêcher l’accident. Apple avait été averti de ce danger, bien connu des industriels aux États-Unis. Mais la firme de Cupertino a délibérément regardé ailleurs.

Vagues de grèves

L’année dernière avait vu éclater de nombreuses grèves et, au début de cette année, au moins six provinces chinoises ont été secouées par des vagues de grèves pour de meilleurs salaires et contre les horaires de travail excessifs. Ces mouvements indiquent que les travailleurs chinois prennent confiance en leurs propres forces. Malgré la dictature et la répression, ils sont capables de mener des luttes collectives contre leurs exploiteurs et le gouvernement qui les soutient. Un gage pour l’avenir.

8 mai 2012

Charles BOSCO


Sources

  • Série d’articles du New York Times des 25 et 26 janvier 2012 sous le titre “In China, Human Costs Are Built Into an iPad”
  • Rapport de la SACOM (Students & Scholars Against Corporate Misbehaviour) du 24 septembre 2011.
  • Article de Libération du 3 juin 2010.
  • Site novethic du 31 janvier 2012.

[1Association pour le travail équitable

[2Étudiants et intellectuels contre les méfaits des grandes entreprises

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