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Chili : PinoKast est battu mais tout reste à faire

22 décembre 2021 Article Monde

(Photo : Gabriel Boric en novembre 2021, source : Mediabanco Agencia, https://www.flickr.com/photos/media...)

Avec près de 56 % des voix, Gabriel Boric à la tête de la coalition de gauche a battu le candidat pinochétiste José Antonio Kast, gagnant dans dix régions sur seize, en obtenant le plus important nombre de suffrages d’un président depuis la fin de la dictature. Il a même réussi en partie à augmenter la participation, en particulier dans la jeunesse, mais l’abstention est restée élevée (46 %). Les scènes de liesse ont été nombreuses et massives dans la capitale Santiago et en province, sans toutefois être une explosion de joie majoritaire dans les milieux populaires. La page de la dictature est provisoirement tournée, et on ne boude pas le plaisir de voir l’extrême droite battue, mais l’écart entre les illusions d’une partie de ses électeurs et la politique à venir de Boric va être une source de tensions tant les chocs sociaux à venir s’annoncent importants.

Une victoire issue d’un quiproquo

L’entre deux tours a été tendu sur le plan symbolique, et a vu le recentrage des discours des deux candidats sur les thèmes de fond comme la stabilité économique, la sécurité et l’apaisement politique – en contraste avec la polarisation sociale manifeste et l’effondrement de secteurs entiers dans une précarité généralisée. La victoire de Boric repose sur un quiproquo qui ne sera pas sans conséquences. La différence entre les deux camps est au bout du compte d’un million de voix. Fort de son crédit d’ancien leader étudiant, il a su jouer sur la carte du moindre mal en s’adressant en permanence aux secteurs centristes de l’ancienne Concertation (alliance entre démocrates chrétiens et socialistes), en délaissant des pans entiers des revendications populaires de l’Octobre 2019, y compris en promettant de refuser l’amnistie aux émeutiers, en se tenant à distance du processus constituant en cours. Si bien des secteurs de son électorat saluent sa victoire et la voie équilibrée et raisonnable de ses tièdes promesses électorales, le piège le plus important n’est pas tant celui d’une absence avérée de volonté de lutter contre l’économie de marché que celui de démobiliser les travailleurs et les secteurs populaires. Et là, le rôle de contention du Parti communiste, partie prenante de la coalition, sera décisif malgré ses reculs dans la jeunesse et la principale centrale syndicale la CUT. Les collectifs féministes et mapuches, pour l’instant moins intégrés, tempèrent leur enthousiasme et se préparent aux jeux des pressions pour élargir l’agenda du nouveau président qui prendra ses fonctions début mars. Une bonne partie de la jeunesse qui se rendait en métro aux rassemblements de la victoire de la gauche à Santiago a sans doute moins d’illusions, elle chantait avec ironie : « Todo bien, todo gratis » (Tout va bien, tout sera gratuit).

Réorganisation du capitalisme et chocs sociaux à venir

Mais pour le partisan de la voie institutionnelle d’une sorte de Nouvelle Majorité 2.0, les obstacles seront nombreux. Pour parvenir à une majorité parlementaire il lui faudra 78 députés. La somme des 37 du Front large, des 37 du Nouveau pacte social, 3 Humanistes, 2 écologistes font bien 79, mais l’obtention d’un accord avec les cinq derniers semble laborieuse. La droite réduite à 68 députés pourra néanmoins user d’un pouvoir de blocage non négligeable via le Sénat. Mais c’est sur le terrain social que le test sera le plus cinglant, au vu des illusions sur le député du bout du monde (Punta Arenas). D’un côté, une partie de son programme électoral est dépendant des cours du cuivre alors qu’il veut sortir, dit-il, du modèle extractiviste, et de l’autre il n’a pas de solution concrète pour sortir de la surexploitation de la force de travail (une récente étude montrait que sur huit heures travaillées, trois seulement revenaient sous forme de salaire au Chili). La légalité ne suffira pas à faire plier le patronat de choc formé à l’école des Chicago Boys et aux solutions casquées. Le vent de la révolte est retombé, mais en repoussant l’extrême droite, on devine un potentiel prometteur, à condition de sortir enfin des solutions institutionnelles.

Tristan Katz

(Article paru dans l’Anticapitaliste no596)

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