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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 71, octobre 2010 > Luttes contre les licenciements et les suppressions d’effectifs

Luttes contre les licenciements et les suppressions d’effectifs

Chez Lejaby (Rhône-Alpes) : les ouvrières face aux gros bonnets de la confection

Mis en ligne le 23 octobre 2010 Convergences Entreprises

Lyon, jeudi 23 septembre 2010 : dans le cortège de quelque 40 000 manifestants contre la casse des retraites, une banderole se fait remarquer : « Lejaby doit vivre, non à la délocalisation ». Derrière elle, trois ouvrières de l’usine de Bourg-en-Bresse du fabricant de lingerie. Sur son passage, applaudissements, témoignages de soutien en tous genres et un nombre incalculable de photographies.

C’est que, depuis tout juste une semaine alors, les ouvrières de trois sites de Lejaby (Bourg-en-Bresse et Bellegarde dans l’Ain et Le Teil en Ardèche) se relaient pour occuper le siège social de l’entreprise à Rillieux-la-Pape en proche banlieue lyonnaise. Avec l’annonce de la fermeture de ces trois usines, ce sont 197 emplois (sur les 650 que Lejaby compte en France) que le patron entend supprimer. Depuis que ces ouvrières ont décidé l’occupation le jeudi 16 septembre, l’écho de leur lutte ne fait que s’amplifier. La solidarité ouvrière ne se dément pas : plusieurs délégations de syndicalistes sont venues les voir, de l’usine voisine d’Anoflex (filiale de Continental), de Sanofi ou de la SNCF, et beaucoup de monde vient tous les jours à leur piquet témoigner leur solidarité matérielle et morale. C’est cela – le fait qu’elles sont devenues un symbole de la lutte contre les licenciements – qui s’exprime encore dans le cortège... à leur propre étonnement : « On a été vraiment surprises de ce soutien, on s’est rendu compte-là qu’on représentait quelque chose pour les gens », se souviendra Julia, ouvrière à Bourg depuis 9 ans.

Du désespoir à la colère

Le 31 mars dernier, la direction de Lejaby annonce sa décision de fermer trois usines de la région Rhône-Alpes et de procéder à 197 licenciements. Un précédent plan, en 2003, avait déjà entraîné plus de 200 licenciements alors que, depuis 2001, pas une ouvrière n’a été embauchée par l’entreprise. Ces derniers mois, l’inquiétude était montée à Bourg avec des périodes répétées de chômage partiel. Anissa, 18 ans d’usine à Bourg, se rappelle l’annonce de la fermeture des trois usines : « La réaction tout de suite, ça a été des filles qui pleuraient, certaines faisaient des malaises, il y a même eu des ambulances qui sont venues dans la cour... C’était catastrophique ». Mais, bientôt, l’ambiance change. On découvre aussi que le propriétaire de l’entreprise, l’autrichien Palmers, en même temps qu’il lance son « plan social », attaque l’Américain Warnaco à qui il a acheté l’entreprise en 2008, estimant avoir été alors mal informé sur l’« état de santé » financier de la société et demande l’annulation de cette vente. Le Comité d’Entreprise attaque alors Lejaby pour annuler le plan social. Le désespoir laisse la place à la colère, puis à l’envie de se battre. Le 16 septembre, les ouvrières décident de venir au siège de Rillieux où se tient la réunion du Comité central d’entreprise... et d’y rester. « Ça a été vraiment au pied levé, raconte Anissa, et ça a démarré au quart de tour ».

Deux semaines de bras de fer

L’ensemble des syndicats (CGT et CFDT) des trois sites participe au mouvement. Immédiatement, l’occupation s’organise. Un roulement est institué : une bonne cinquantaine d’ouvrières tiennent les piquets de jour et au moins une vingtaine de nuit. Tous les aspects de la vie matérielle sont pris en charge collectivement. À Rillieux, il n’y a plus de production depuis le plan de 2003 mais il reste, outre les bureaux de la direction, des bureaux d’étude et, surtout, les entrepôts. Durant quinze jours, pas un camion n’entrera ou ne sortira.

La direction, aveuglée par son mépris, ne réagit pas durant les premiers jours. Le mercredi 22 elle consent à l’ouverture de négociations.

Ces ouvrières, dont c’est souvent le premier mouvement de grève, sont confrontées à tous les problèmes d’une telle lutte. D’abord celui des revendications : se battre pour conserver les emplois ou pour une prime de départ ? La discussion traverse les grévistes. Dans les faits, le sentiment qu’il est impossible d’obtenir le retrait du plan tend à s’imposer. Concernant le montant de prime extra-légale demandée, c’est initialement celui de 70 000 € net par personne qui reçoit l’assentiment général. Mais, sous la pression du discours patronal (« nos poches sont vides ») et aussi des désaccords entre syndicats des différents sites, c’est finalement la revendication de 20 000 € net que la délégation syndicale présente aux négociations du 22 – sans que l’ensemble des grévistes ait eu l’occasion de le discuter ou décider.

Pressions patronales

Les ouvrières de Lejaby ont face à elles un patron de combat en mission, embauché tout spécialement pour conduire le plan après avoir accompli le même genre de sale besogne chez Eminence. À partir du mercredi 22 au soir, des vigiles sont embauchés afin d’empêcher l’accès des journalistes. Ce même jour, les ouvrières apprennent que cinq d’entre elles sont assignées à comparaître devant le tribunal, la direction exigeant la levée du blocage. L’audience est fixée au lundi 27 septembre. Pour la grande majorité des grévistes, ce blocage représente leur principale force. Elles envisagent difficilement la possibilité de poursuivre la lutte si elles sont contraintes de le lever. Pourtant, à mesure que l’échéance de ce 27 septembre se rapproche et alors que, dans les négociations, le patron refuse de monter au-delà des 12 500 euros brut de prime extra-légale, l’idée fait son chemin qu’il faudra peut-être se tourner vers l’extérieur, se faire voir, et aller voir les autres – idée renforcée par la manifestation constante du soutien de la population, comme des travailleuses du site de Rillieux même.

Petit coup de théâtre

Contre l’attente de tous, l’audience du 27 septembre se conclut par le renvoi de la décision au jeudi suivant. Ce sursis est accueilli comme une victoire, la possibilité de maintenir le blocage quelques jours supplémentaires [1]. Les événements s’accélèrent alors.

L’écho, le soutien manifesté dans la population et parmi les travailleurs commence à poser un problème politique au-delà du seul cas de Lejaby. Ce qui n’a pas échappé au gouvernement. D’où la tirade du ministre Estrosi à l’Assemblée, saluant sans rire « l’action des femmes salariées qui mènent avec beaucoup de courage un formidable combat ». Et « Escrosi » (comme l’avaient surnommé en leur temps les travailleurs en lutte de New Fabris) d’ajouter : « Cette situation est pour le gouvernement totalement inacceptable ». Cela au moins est probablement vrai. Mais ce qu’il y a d’inacceptable pour lui, c’est de voir une telle lutte se poursuivre, et risquer de donner des idées à d’autres.

Marchandages gouvernementaux

Du coup, les représentants de la préfecture, par la médiation du directeur régional du travail, obtiennent que la direction lâche un peu. Oh, juste le strict minimum qui, combiné à la fatigue de deux semaines de mouvement, permette d’obtenir la fin du conflit. Résultat : une prime extra-légale de 15 000 € brut pour toutes, plus 600 € par an d’ancienneté pour les cinq premières années, et 500 € par an pour les suivantes. La direction concède, en outre, le paiement intégral des jours de grève.

Le vote

Cette proposition est soumise au vote des grévistes le mercredi 27 septembre et reçoit l’assentiment de 118 votantes sur 147, entraînant dans la foulée la levée du blocage. Le résultat obtenu, s’il représente le double de ce que le patron proposait initialement, est bien loin de ce que les ouvrières de Lejaby réclamaient. Bien loin, surtout, de ce qui serait nécessaire pour vivre le temps de retrouver un emploi dans un secteur industriel largement sinistré. Le vote a été très majoritaire non pas parce que la proposition est satisfaisante, mais de crainte d’une levée forcée du blocage pour le lendemain. Pour le noyau le plus actif du mouvement, qui a pour l’essentiel voté contre la proposition, le dénouement est amer. Elles sont conscientes que le patron, quoi qu’il en dise, a largement les moyens de donner davantage. Comme le résume Julia quelques minutes après le vote : « Ils auraient pu donner beaucoup plus, alors on se dit, « tout ça pour ça » ; mais on a montré que des femmes peuvent se battre et qu’on n’est pas soumises à leur loi du fric ».

D’autant que le soutien manifeste de la part des travailleurs de la région montre que ces luttes contre les licenciements concernent l’ensemble du monde du travail, et que la réponse nécessaire reste une véritable lutte d’ensemble pour interdire les licenciements... et flanquer aux patrons la déculottée qu’ils méritent.

Yves LEFORT


[1Finalement, ce n’est qu’après la lutte, le 30 septembre, que la décision sera rendue : le tribunal déboute la direction, offrant symboliquement une petite victoire morale aux grévistes et renforçant le sentiment du bien-fondé de leur lutte.

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