Ce voile qui cache les vrais problèmes
Mis en ligne le 6 mars 2004 Convergences Politique
La loi concernant le port des signes religieux ostensibles à l’école a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Elle a recueilli une large approbation, le Parti socialiste ayant joint ses voix à celles des chiraquiens, moyennant deux amendements, adjoignant au texte l’obligation d’une convocation préalable avant toute sanction et l’obligation de bilan après un an d’application.
La loi ne règle rien
Telle qu’elle se présente, à condition qu’elle ne soit pas trop modifiée et malgré ses ambiguités et ses faux semblants (officiellement il s’agit de défendre la laïcité et pas du tout la place des filles dans la société), cette loi pourrait servir d’appui à ceux qui se préoccupent d’établir un contre-feu face à la pression des islamistes pour obliger les jeunes filles issues de l’immigration à porter le voile et ainsi, en quelque sorte, à admettre l’infériorité de la femme. La loi répond aux vœux de ceux qui, en particulier dans le milieu enseignant et parmi les jeunes filles et jeunes femmes directement visées, souhaitaient pouvoir s’appuyer sur un nouveau texte et n’admettaient pas qu’au plus haut niveau du pouvoir politique les responsables puissent s’en laver les mains.
Reste que, nouvelle loi ou pas, non seulement tout n’est pas réglé mais tout commence. S’il ne se trouve pas des individus, en nombre, prêts à se battre et même s’organiser pour imposer l’égalité entre les hommes et les femmes (et dès l’école entre les filles et les garçons), il serait totalement illusoire de compter sur les autorités, même « républicaines », pour cela. Exactement comme il en est des textes (même les meilleurs, même ceux qui ne comportent pas de contre-partie, et ils sont rares) censés protéger les travailleurs des exactions patronales : sans luttes sur le terrain ils ne restent souvent que chiffons de papier.
L’offensive réactionnaire islamiste
Il serait encore plus illusoire, sans doute, de croire que l’offensive des islamistes radicaux va être arrêtée. Leurs manifestations de ces dernières semaines n’ont pas été massives. Les centaines de jeunes filles voilées descendues dans la rue, volontairement ou non, ne représentent qu’une petite minorité de la population qu’ils ciblent. Mais c’était bien une étape dans la bataille qu’ils mènent pour accroître leur emprise et exercer leur pression sur la population d’origine immigrée. Le nombre croissant de femmes voilées dans la rue ces derniers années témoigne de leur offensive. Comme en témoigne aussi, dans le milieu ouvrier masculin cette fois, leur contrôle dans certaines entreprises de la pratique du ramadan ou de l’assiduité à la prière.
Car au-delà de la religion, les « barbus » ont bien d’autres ambitions, très politiques, les exemples de l’Iran ou de l’Algérie, entre autres, sont là pour nous le rappeler. Et en France même il ne leur serait certainement pas nécessaire d’avoir le pouvoir dans le pays pour l’exercer - et par des méthodes en rien démocratiques - sur la fraction de la population musulmane. Encadrer celle-ci est leur but ouvert. La religion est leur prétexte pour y parvenir. Et, même si cela semble paradoxal aujourd’hui, ils pourraient aussi pour cela bénéficier de la complicité, active ou passive, des classes dirigeantes (chrétiennes ou athées) et du gouvernement (de droite ou de gauche). A quels compromis celui-ci n’est-il pas prêt contre la garantie que l’ordre (y compris très musclé) serait maintenu dans une population qu’il estime trop turbulente sinon dangereuse (en particulier la jeunesse) ? Les diverses tentatives de Raffarin et Sarkozy pour négocier avec les autorités religieuses de la communauté musulmane en sont une indication. Aujourd’hui nos gouvernants préfèrent avoir les modérés comme interlocuteurs. Mais si demain les « radicaux » prouvent que ce sont bien eux qui tiennent le haut du pavé…
Depuis longtemps il y a des facteurs objectifs qui favorisent le « communautarisme ». C’est bien parce que toute une partie de la population issue de l’immigration se trouve économiquement défavorisée, en butte à la discrimination, à la limite de l’exclusion, victime de la « ghettoïsation » des cités, qu’un nombre croissant de jeunes cherchent refuge du côté de la religion. Mais il y a maintenant des forces politiques qui sont là pour les exploiter. Elles spéculent sur une détérioration des relations entre les plus pauvres, les incitant à se séparer, sinon se haïr et se déchirer plutôt que d’affronter ensemble leurs exploiteurs communs, les vrais responsables de leur misère grandissante. De ce point de vue là lepénistes, islamistes radicaux et ultras du sionisme, malgré leurs féroces oppositions entre eux, partagent bien les mêmes objectifs politiques qui sont propres à toutes les extrêmes droites fascisantes. Chacun joue sa « partition » et tous contribuent à une division sur laquelle ils prospèrent et qui en définitive ne profite qu’aux classes dirigeantes et possédantes.
Les errements de l’extrême gauche
C’est parce qu’il est nécessaire de livrer un combat à tous ces ennemis des travailleurs et des pauvres qu’il faut, même dans un combat douteux comme celui du voile à l’école, savoir choisir son camp. Il est particulièrement regrettable que certains au sein de la gauche et même de l’extrême-gauche (Mrap, Parti communiste, Verts, JCR, Speb…) comme de directions syndicales (FSU ou Sud), ainsi que parmi des personnalités de « l’altermondialisme », José Bové par exemple, aient cru bon de batailler pour défendre la liberté de porter le voile à l’école, allant même parfois jusqu’à manifester avec les islamistes.
Bien sûr, il est dommage que des jeunes filles, du fait de leur volonté de porter le voile à l’école, puissent s’en trouver exclues. Le problème n’aura évidemment pas disparu si du coup soit elles restent à l’écart de tout enseignement, soit elles sont intégrées dans des écoles confessionnelles (mais il pourrait l’être en partie si l’école publique était réellement obligatoire et toutes les subventions aux écoles privées immédiatement abolies, en particulier à l’enseignement catholique).
Bien sûr, le battage fait autour de la nouvelle loi peut aussi servir des politiciens qui se moquent bien de savoir si elle va ou pas favoriser le « communautarisme », mais sont prêts pour leurs intérêts propres, en particulier électoraux, à jouer ouvertement ou en sourdine du racisme, de la xénophobie ou de l’islamophobie. Là encore les préjugés ne pourront être balayés ou surmontés que par une véritables mobilisation des travailleurs et des pauvres pour leurs objectifs communs, toutes origines confondues. Mais laisser les islamistes imposer le port du voile à de plus en plus de jeunes filles, de moins en moins consentantes d’ailleurs au fur et à mesure que cela se fera au-delà du milieu militant islamiste, n’aidera pas à aller dans cette direction.
Et tout au contraire se retrouver à manifester avec un Mohamed Latrèche, réactionnaire et antisémite, ou même aux côtés d’un Tariq Ramadan, ce drôle « d’altermondialiste » qui se refuse à condamner clairement la pratique de la lapidation des femmes, est au pire montrer un bel opportunisme, au moins pire manquer totalement de lucidité. Surtout quand on prétend par ailleurs combattre l’extrême-droite, le racisme, l’oppression des femmes et la xénophobie.
28 février 2004
Louis GUILBERT