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Brésil : le retour de Lula ?

20 mars 2021 Article Monde

Le 8 mars dernier, la Cour suprême du Brésil a invalidé les décisions du tribunal qui avait jugé l’ancien président en 2018. Lula avait alors été condamné à douze ans de prison pour corruption et était devenu inéligible de fait.

Ce rebondissement judiciaire remet sur le devant de la scène Lula, l’ancien ouvrier, syndicaliste, dirigeant du Parti des travailleurs et président du Brésil entre 2003 et 2011. Avec, en ligne de mire, la prochaine élection présidentielle de 2022, qui pourrait voir s’affronter Bolsonaro et Lula comme principaux candidats.

Les dernières années du Parti des travailleurs au pouvoir

Au début des années 2010, la crise que traversait le pays, due en partie à la crise bancaire mondiale de 2008 et aussi aux nombreux investissements réalisés pour les infrastructures des Jeux olympiques de 2016 et de la Coupe du monde de football de 2014, avait largement frappé la population. Des milliers de personnes avaient alors protesté contre la politique du gouvernement dirigé par Dilma Rousseff qui avait succédé à Lula et membre également du Parti des travailleurs.

Au début de l’année 2014, une enquête pour corruption avait été ouverte par la police fédérale du Brésil qui mettait en cause plusieurs membres du gouvernement et Dilma Rousseff elle-même. Cette affaire, aussitôt nommée « scandale Petrobras », impliquait la société pétrolière publique et les membres du gouvernement qui auraient reçu des commissions de la part de l’entreprise en échange de surfacturations.

C’est le juge Sergio Moro qui fut à l’origine de la révélation de l’affaire.

Le zèle, tout nouveau, avec lequel Moro et la justice brésilienne traquaient la corruption endémique de la classe politique brésilienne, visant en particulier Lula, Dilma Rousseff et le Parti des travailleurs, n’était certainement pas mû par le seul amour de la justice. Les affaires judiciaires furent largement relayées par des médias lancés dans une campagne d’attaques contre le Parti des travailleurs, déjà largement discrédité dans la population.

Les anciens alliés politiques du Parti des travailleurs se retournèrent contre Dilma Rousseff, qui fut destituée dans une procédure d’impeachment en 2016. C’est son vice-président, Michel Temer, du parti de droite Mouvement démocratique brésilien, qui prit l’intérim jusqu’à l’élection de Bolsonaro en 2018.

C’est bien sûr toute une histoire, mais avant même la première élection de Lula, la politique du Parti des travailleurs a été de faire des alliances avec les partis de droite : Lula avait déjà comme vice-président Jose Alencar, un chef d’entreprise, politicien de droite.

Après une décennie de pouvoir, le Parti des travailleurs, qui avait été fondé par des syndicalistes combatifs à sa naissance en 1980, et qui avait pu paraître auprès des classes populaires comme un parti différent des partis bourgeois, était largement usé. Il menait une politique respectueuse des intérêts de la bourgeoisie, qui s’est traduite par des mesures contre la classe ouvrière – en particulier des réformes des retraites. Les affaires de corruption qui se sont multipliées ont été une sorte de coup de grâce.

On sait que c’est finalement Jair Bolsonaro, ancien militaire d’extrême droite, qui a tiré les fruits de cette fin sans gloire du Parti des travailleurs, en s’appuyant sur un large rejet de la classe politique qui a frappé tous les partis bourgeois traditionnels, et le PT avec.

Lula venait alors d’être condamné à une peine de douze ans de prison par un verdict dorénavant annulé, dont il a effectué près de deux ans. Il n’avait pas pu se présenter en 2018 face à Bolsonaro.

Tout laisse penser que le procès de Lula a été une procédure taillée sur mesure par Sergio Moro pour l’empêcher de se présenter aux élections. Il en avait été récompensé en étant nommé par Bolsonaro ministre de la Justice. Une procédure judiciaire le vise depuis à ce sujet, après des fuites d’enregistrements compromettants de conversations secrètes de Moro avec les procureurs.

Nouveau rebondissement dans l’affaire

L’annulation du procès de Lula que vient de décider la Cour suprême a été faite au nom d’un vice de forme, bien tardivement découvert ! Indirectement, Moro pourrait lui aussi bénéficier de cette annulation, car le procès étant annulé, l’enquête sur ses actions au cours de ce procès ne se justifierait plus.

La Cour suprême a-t-elle cherché à favoriser Moro, qui a démissionné du gouvernement et qui est pressenti pour se présenter contre Bolsonaro aux prochaines présidentielles ? En tout cas, ce verdict intervient alors que ses tensions avec Bolsonaro sont au plus fort, la Cour suprême étant publiquement prise pour cible par le président et ses partisans.

Suite à l’annulation, Lula devrait être jugé à nouveau, mais compte tenu des délais de procédure, il devrait pouvoir se présenter aux prochaines élections présidentielles, ce qui changerait la donne.

Avec une gestion catastrophique de la crise sanitaire (268 000 morts dus au Covid au Brésil) et avec un discours proche du complotisme, Bolsonaro s’est en effet mis à dos une bonne partie de ses électeurs. Et la droite comme les grands médias se désolidarisent de ce chien fou.

Dans son discours du 12 mars dernier, Lula s’est empressé de dire qu’il souhaitait rétablir la démocratie. Pour vaincre aux prochaines élections l’extrême droite de Jair Bolsonaro, le Parti des travailleurs réfléchit à mettre en place un large front, sur la base de l’opposition à Bolsonaro, ouvert aux partis de centre et de droite.

C’est à nouveau une politique de collaboration avec la bourgeoisie que s’apprête à mener le PT avec Lula. La même politique qui a apporté bien peu aux travailleurs et qui a permis à l’extrême droite de Bolsonaro d’arriver au pouvoir.

Il n’est pas dit que Lula pourra se présenter comme le candidat anti-Bolsonaro ni regrouper derrière lui la gauche, comme les milieux, voire partis, bourgeois qui se disent aujourd’hui démocrates. Dans les milieux populaires, Lula a gardé un certain crédit, bien plus que son parti toujours en perte de vitesse, du fait de ses lointaines origines militantes, de sa trajectoire et de quelques mesures de son mandat présidentiel qui ont bénéficié aux couches les plus pauvres de la population. Mais il est aussi largement détesté dans d’autres couches de la société brésilienne.

En tout cas, aussi grande soit la haine, fondée, contre Bolsonaro, les travailleurs ne devraient pas se laisser duper par ce retour sur scène de Lula. Eux-mêmes seulement ont les moyens d’agir pour leurs propres intérêts.

Alia Philippe

(Crédit photo : / Flickr/ Creative Commons/ https://bit.ly/2TxyFJ7)

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