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Bo Widerberg, cinéaste rebelle

29 septembre 2020 Article Culture

Photo : Bo Widerberg en 1990, photo de Jonn Leffmann, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/ind...


Bo Widerberg, cinéaste rebelle : tel est l’intitulé d’une rétrospective organisée par l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essai) consacrée à ce cinéaste suédois, décédé en 1997 et complètement tombé dans l’oubli, en France en tout cas !

Pourtant à l’époque de leur sortie, nombre de ses films ont connu un succès public et critique important, ont été distingués (sélectionnés aux oscars du meilleur film étranger ou autres compétitions) et récompensés (un prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967 pour Elvira Madigan  ; le Grand Prix spécial du jury à Cannes en 1970 pour Adalen 31  ; le Prix du jury à Cannes en 1971 pour Joe Hill).

Certains de ces films ont laissé un souvenir impérissable à ceux qui les ont vus, même s’ils n’ont pas retenu le nom du réalisateur. Ce n’est donc pas la qualité de ses films qui est en cause mais plutôt l’ombre écrasante de Bergman, qu’il critiquait, les mauvaises relations entretenues par Widerberg avec les studios, son caractère difficile… ou sa liberté ! Cette rétrospective est l’occasion de découvrir une œuvre singulière et originale, avec des films beaux mais très différents les uns des autres, engagés et profonds.

Un cinéaste d’origine modeste

Bo Widerberg est né en 1930 à Malmö, grande ville du sud de la Suède, ville ouvrière connue alors et entre autres pour son équipe de foot. Sa famille était plutôt pauvre : son père enchainait les boulots non qualifiés (chauffeur, vendeur ambulant) et sa mère était couturière dans une usine de manteaux. C’est elle qui faisait vivre la famille qui habitait dans une pièce et n’eut pas d’autre enfant que Bo. Il grandit avec une conscience des antagonismes de classe très nette : son milieu et sa ville, ouvriers et modestes, et à côté la ville voisine bourgeoise de Lund et son université.

Bo Widerberg arrête ses études après le collège et fait alors des petits boulots. Malgré sa formation sommaire, il se cultive grâce à son intérêt pour l’art, le cinéma et la musique. Mais surtout, il aime lire : il dévore les bouquins, nourrit une passion pour la littérature française, mais est aussi très attiré par les romans suédois qui parlent du prolétariat. Cela lui donne envie d’écrire et il s’y lance à l’occasion d’un concours organisé par une maison d’édition suédoise, du meilleur livre pour la jeunesse. Son roman, écrit très vite, obtient le 2e prix.

C’est le début de sa carrière d’écrivain et de journaliste. Il écrit notamment de nombreuses critiques de films, toutes regroupées dans une anthologie, Regards sur le cinéma suédois. Il s’y montre très admiratif de la Nouvelle Vague française (Godard, Truffaut, Demy, etc.) et de John Cassavetes (réalisateur américain aux films très libres et improvisés, en apparence du moins). Il est assez virulent contre le cinéma suédois, Bergman en tête, à qui il reproche d’être trop vertical, trop préoccupé de métaphysique et de ne s’intéresser qu’aux classes supérieures de la société et pas à la vie quotidienne, à la réalité contemporaine.

Une filmographie diversifiée et engagée

On raconte qu’un producteur suédois a envoyé à Widerberg (qui avait fait un court-métrage pour la télévision) de l’argent pour « filmer la vérité »… Le résultat fut son premier long-métrage Le Pêché suédois, en 1963. Tourné à Malmö dans des décors naturels de quartiers ouvriers (anciens et modernes), avec de jeunes acteurs à qui Widerberg demande d’improviser, le film est le portrait d’une jeune ouvrière, Britt. Elle est l’incarnation d’une jeunesse libre, rejetant l’hypocrisie, le conformisme social et le confort matériel égoïste.

Une jeunesse qui aspire à autre chose que la société de consommation des adultes mais ne sait pas à quoi.

Son deuxième film, toujours en 1963, Le quartier du corbeau, est la chronique d’un quartier ouvrier en 1936 (sur fond de menace du nazisme lors des élections) qui s’attache à Anders, un jeune homme de 18 ans, qui veut devenir écrivain pour échapper à une vie de misère et dénoncer les injustices. Un film aux nombreux éléments autobiographiques : le père absent, instable et alcoolique, la mère qui se sacrifie dans le travail, l’espoir d’une autre vie grâce à la culture. Un film au ton juste, à l’image très belle (c’est une des caractéristiques des films de Widerberg), qui a été un succès et a été sélectionné aux oscars pour le meilleur film étranger en 1965.

Le film suivant, Elvira Madigan, 1967, est en couleur et filmé en lumières naturelles lors de l’été 1966 en Scanie (région méridionale de la Suède) et au Danemark. Tiré d’une histoire vraie très connue en Suède, c’est un film sur l’amour fou… tragique. Forcément ! En 1889, un lieutenant de l’armée suédoise, noble, Sixten Sparre, déserte et quitte femme et enfants pour s’enfuir avec une artiste de cirque, Elvira Madigan. Pia Degermark, qui eut le prix d’interprétation féminine à Cannes en 1967, avait 16 ans et n’avait jamais tourné mais Widerberg l’a repérée sur une photo de bal (issue d’une famille d’aristocrates fortunés, elle dansait avec le prince héritier, actuel roi de Suède) et l’a choisie, fidèle à son goût pour les amateurs et l’improvisation.

Les deux films suivants sont les films « politiques » de Widerberg, par leurs sujets et le traitement qui en est fait. Ils ont été tous les deux récompensés à Cannes en 1969 et 1971.

Adalen 31 est à la fois une fresque historique et politique sur une des plus importantes grèves qu’ait connue la Suède en 1931 et une chronique romantique de l’adolescence. Le fils d’un docker tombe amoureux de la fille d’un directeur d’usine alors qu’une grève a démarré depuis 93 jours et que les patrons font appel à des jaunes pour faire le travail des grévistes. L’armée arrive alors en ville pour faire respecter l’ordre. Voici ce qu’en a dit Widerberg à l’époque, en 1969 : « J’ai choisi l’histoire d’Adalen parce que, à mon avis, elle relate le plus dur conflit social qu’ait connu la Suède, qui se termina en effet en une effroyable tuerie […] Mais le film n’a pas été fait dans l’unique but de montrer et de faire comprendre ce qui s’est passé, il constitue une sorte d’avertissement, tant pour la Suède que pour d’autres pays du monde. Le film a été tourné sur les lieux mêmes. Les figurants, dans leur majorité, sont des gens qui ont réellement vécu le drame. Si bien que lorsque je réglais les chutes des corps durant la fusillade, certains venaient me trouver pour m’indiquer l’emplacement exact.  »

Le film, engagé, est d’une grande beauté visuelle, inspiré par les impressionnistes.

Deux ans plus tard, Widerberg continue dans cette veine (qui le classera parmi les réalisateurs « gauchistes ») avec Joe Hill, road-movie social sur un jeune immigrant suédois aux États-Unis en 1902, qui, confronté à la misère et à l’exploitation, devient un leader des IWW (Industrial Workers of the World). Un film magnifique qui vient rappeler le courage et la ténacité de ces premiers syndicalistes ouvriers américains face à la pauvreté, l’oppression et l’injustice de classe imposée par l’appareil d’État. Un film toujours d’actualité !

La carrière de Widerberg a ensuite connu des hauts et des bas

Il s’est mis à dos une bonne partie des professionnels du cinéma suédois (producteurs notamment). Très impulsif, voire capricieux, il ne respectait pas ses contrats, détestait planifier quoi que ce soit et pouvait abandonner un film quand il n’avait plus envie de le faire, pour le reprendre plus tard… Il brosse d’ailleurs un autoportrait sans complaisance dans Amour 65 (où son personnage principal est un réalisateur). Mais il connaît un gros succès public avec un film policier Un flic sur le toit, en 1976. Il s’agit d’une adaptation d’un des romans des deux grands précurseurs du « polar suédois » Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Un film d’action cette fois, à gros budget mais aussi une critique de la police (d’une partie de ses membres) et du contrôle de celle-ci dans les « démocraties » occidentales.

Quant au dernier film de Widerberg, La beauté des choses, il sort en 1995 et c’est un retour réussi sur la scène internationale, un vrai succès critique et public, qui remporte l’Ours d’argent à Berlin en 1996, tout en étant nominé pour les Oscars. Une histoire d’amour entre un lycéen et sa prof, accompagnée d’une relation amicale entre le jeune et le mari de la prof, représentant de commerce alcoolique et fantasque sur fond de Deuxième Guerre mondiale en Suède.

Widerberg, à nouveau, a alors plein de projets, mais il meurt prématurément le 1er mai 1997.

Une œuvre libre, sensuelle, engagée, avec des thèmes qui reviennent (la dénonciation des injustices et de la misère, l’importance de la culture comme vecteur d’émancipation, les émois de l’adolescence, le refus du conformisme) qu’il ne faut pas hésiter à aller découvrir !

Liliane Lafargue

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