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DOSSIER : Protectionnisme « Made in France » : fausse solution, vraie arnaque

Au fil de l’histoire : Protectionnisme et libre-échange, deux facettes d’une même politique

Mis en ligne le 25 mars 2012 Convergences Politique

Protectionnisme ou libre-échange ? La bourgeoisie n’a pas de principe. Elle est autant capable d’user de l’un ou l’autre successivement ou simultanément selon ses intérêts. L’histoire du capitalisme va plutôt dans le sens de l’internationalisation des échanges, mais tous les pays industrialisés ont commencé par protéger leur industrie, ne devenant partisans du libre-échange que pour passer à l’offensive. L’orientation dans un sens ou dans l’autre dépend avant tout des rapports de force entre bourgeoisies, jamais des intérêts des travailleurs.

De l’essor industriel à l’impérialisme : l’exemple anglais

Au XVIIIe siècle, l’Angleterre était très protectionniste. Il s’agissait d’interdire l’accès aux tissus indiens, afin de protéger les jeunes filatures anglaises. Lorsque les manufactures se sont mécanisées, utilisant la force des machines à vapeur, la productivité permit de concurrencer les bas salaires des petits producteurs indiens. Le patronat anglais devint alors le chantre du libre-échange. Tellement épris de cette « liberté », qu’il l’imposa militairement à ses colonies, et à l’Inde en particulier. En quelques années, le textile indien, bien que réputé pour sa qualité, fut ruiné par la concurrence anglaise, laissant des milliers d’artisans au chômage.

La défense du libre-échange s’était faite au nom des classes populaires, tout comme aujourd’hui d’autres parlent de protectionnisme en jurant agir pour l’emploi. Marx ironisa alors sur ces patrons qui, en luttant contre la taxation des céréales étrangères, prétendaient abaisser le prix du pain et sauver les ouvriers de la famine... mais réduisaient d’autant les salaires [1]. Dès cette époque, le patronat n’avait d’yeux que pour son profit.

L’exemple américain

La question du libre-échange fut également cruciale aux États-Unis au milieu du XIXe siècle. Au Nord, l’industrie naissante voulait se développer sur le marché intérieur en se protégeant de la concurrence européenne. Mais, au Sud, les propriétaires terriens exportaient vers l’Europe à la faveur des libertés commerciales. C’est par la guerre civile, avec ses 620 000 morts que le Nord imposa au Sud des droits de douane sur les produits industriels.

À l’aide des tarifs douaniers et des aides de l’État, les chemins de fer, les raffineries, l’électricité, les banques, puis l’automobile connurent un véritable essor et se concentrèrent entre les mains de magnats, tels Rockefeller, J.P. Morgan ou Ford. Bien sûr, le développement économique ne fut pas linéaire. Sans que le système protectionniste n’y puisse rien, les phases de croissance succédaient aux crises, que les patrons faisaient payer durement aux travailleurs. La classe ouvrière américaine connut ses premières grandes grèves, contre lesquels le patronat envoyait ses milices privées. Bien sûr, l’État ne proposa aucune « protection » contre les assassinats de grévistes !

Très vite, la bourgeoisie américaine devint expansionniste. En 1898, les États-Unis arrachèrent à l’Espagne Porto Rico, Guam et les Philippines. En 1903, ils s’approprièrent la zone du canal de Panama, dont ils achevèrent la construction. En 1917, ils intervinrent dans la Première Guerre mondiale. Pour autant, la politique protectionniste continua.

Dans les années 1920, les capitalistes américains devinrent de moins en moins favorables au protectionnisme... car les États européens relevaient en retour leurs propres droits de douane. En 1928, Henry Ford dénonça les tarifs douaniers, expliquant que l’industrie automobile n’avait plus besoin de protection, car elle dominait le marché intérieur, et qu’elle avait besoin de s’élargir au marché international. Comme ses ancêtres anglais, Ford prétendait défendre le pouvoir d’achat des ouvriers. Il se faisait surtout l’écho des nouveaux besoins du capital américain : arrivé à maturité, il ne demandait qu’à se répandre sur le monde.

Mais surgit la crise de 1929 et la réponse du gouvernement resta protectionniste. Pour le coup, celui-ci ne protégea personne : ni les capitalistes, ni les travailleurs. La loi Hawley-Smoot de 1930, rehaussant les droits de douane, contraignit les autres États à faire de même. Les importations d’Europe chutèrent de 70 %... mais les exportations suivirent et l’effondrement des échanges internationaux précipita la crise. Le protectionnisme ne « sauva » aucun emploi et le chômage s’envola de 9 % en 1929 à 25 % en 1932.

Le protectionnisme contre les travailleurs

Quel que soit le système, protectionniste ou libéral, il n’a jamais résolu les problèmes du chômage et des bas salaires. En admettant qu’un contrôle accru des frontières puisse aujourd’hui créer quelques emplois, ce qui déjà est un mensonge, il provoquerait surtout une inflation énorme : par l’augmentation des prix des produits importés et, par ricochet, de tous les prix. Quand les travailleurs parviennent à joindre les deux bouts, c’est parce qu’ils peuvent se rabattre sur les produits bon marché venus de Chine ou d’ailleurs. Les travailleurs ne choisissent pas entre LIDL et le boucher du quartier, les patrons le leur imposent en versant des salaires au rabais. Lorsqu’en 1993, les chambres de commerce et d’industrie lançaient le slogan « Nos emplettes font nos emplois » que certains reprennent aujourd’hui, elles éludaient que nos salaires font nos emplettes !

Mais le protectionnisme à l’ancienne n’a plus de sens, tant les capitalismes français, américains, grecs ou chinois sont interdépendants. Plus aucune bourgeoisie n’est tournée vers son seul marché intérieur. Le « capitalisme dans un seul pays » est une escroquerie à laquelle les travailleurs ne doivent pas se laisser prendre.

La démagogie chauvine gouvernementale ne propose d’ailleurs pas de contrôler les flux de marchandises et de capitaux (seulement celui des personnes). Quand Sarkozy, entre autres, affirme « protéger » l’industrie française, il dénonce le « coût du travail », c’est-à-dire les salaires, la sécurité sociale, les allocations chômage, etc. En témoigne la récente TVA sociale, qui se voudrait « anti-délocalisation » en faisant payer aux travailleurs les baisses de cotisations patronales. Comme si les baisses d’impôts et exonérations accordées depuis trente ans avaient créé un seul emploi ! Ou encore, il s’agit de remplir les poches des actionnaires à coups de subventions, comme l’a promis Sarkozy aux patrons de la sidérurgie [2].

Après trente ans de « libéralisme », agiter les drapeaux tricolores n’apporte aucune solution, seulement de nouvelles attaques contre les travailleurs. Mieux vaut sortir les drapeaux rouges et se joindre aux luttes de la classe ouvrière mondiale contre ce capitalisme qui lui fait payer la crise au prix fort !

Maurice SPIRZ


[1Karl Marx, 1848, Discours sur la question du libre-échange.

[2Dans son discours de Villepinte, le 11 mars 2012, Sarkozy a promis que « si un secteur comme la sidérurgie devait être menacé de disparaître pour des raisons conjoncturelles, alors je n’hésiterais pas à investir des moyens publics ».

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Numéro 80, mars-avril 2012

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