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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 131, juillet-août 2020

Après le succès du 16 juin, salariés de la santé, continuons le combat !

Plus de 200 rassemblements et manifestations dans tout le pays. Au moins 20 000 manifestants à Paris. Sans doute, 10 000 à Toulouse, Nantes ou Lyon avec beaucoup de blouses de différentes couleurs et pas mal de jeunes. Des gens venus des hôpitaux, mais aussi des centres de soins, des Ehpad et une forte représentation des structures de soins privés dans certaines villes. Les chiffres les plus impressionnants sont, très certainement, ceux des villes moyennes ou petites  : 2 500 manifestants à Cherbourg, 2 000 à Caen, 1 800 à Limoges, 400 personnes à Brive, 250 à Guéret, 200 à Tulle, 200 à Ussel, ou 150 à Saint-Junien.

«  Pas de retour à l’anormal  !  »

La pandémie et sa gestion ont eu des conséquences dramatiques [1]. Comme le disait une soignante de l’hôpital René-Muret à Sevran (Seine-Saint-Denis) spécialisé en gériatrie à la manifestation  : «  Combien sont morts du cancer faute de soins durant l’épidémie  ?  » Combien n’ont pas été réanimés ou transportés sur des dizaines des kilomètres  ? Combien de familles n’ont pas pu être associées aux décisions médicales concernant leurs proches  ? Dans le Nord-Est de la France et en région parisienne, beaucoup d’efforts ont été faits par les soignants qui ont vu leurs journées se rallonger, leurs plannings sauter, leur santé se dégrader à mesure que le virus circulait dans les hôpitaux [2]. Après cela, compliqué de revenir à l’anormal alors que la deuxième vague était en fait celle des patients écartés des soins [3].

À l’initiative d’équipes militantes à l’hôpital Robert-Debré à Paris, puis Purpan à Toulouse, Tenon (Paris 20e) et Saint-Denis (93), les rassemblements se sont multipliés. Ces hôpitaux parmi les plus mobilisés ces derniers mois entrainent les autres et de nouveaux s’y mettent  ; ces rassemblements essaimant un peu partout, ils deviennent compliqués à dénombrer. À Saint-Denis et dans d’autres hôpitaux, des travailleuses et travailleurs peu à l’aise avec les médecins ont donné de la voix. Tous s’y sont mis  : agents des services hospitaliers (ASH), aides-soignantes, infirmières, rééducateurs, administratifs, ambulanciers, techniciens, agents des cuisines. Des ASH n’en pouvant plus des CDD à répétition se sont mobilisées pour leur titularisation [4]. Bref, à des niveaux différents mais une effervescence propice à la mobilisation. De son côté, le gouvernement ouvrait un énième grand débat en convoquant les directions syndicales consentantes, «  le Ségur  », tout en faisant des annonces sur l’augmentation du temps de travail et des commentaires sur le statut de fonctionnaire.

Une journée dont on se souviendra

Comme souvent les manifestations du 16 juin n’étaient que la face émergée de l’iceberg, d’autant que cette fois, contrairement aux manifestations du 14 novembre dernier, les chefs de service n’ont pas, sauf exception, annulé les consultations. Les travailleuses et travailleurs assignés ont tout de même réussi à être présents lors des interventions par mégaphones. Le nombre de salariés se déclarant en grève était parfois inédit depuis des années, comme au CHRU de Besançon. C’est d’autant plus notable que les préparations syndicales de la grève et de la manifestation ont été au mieux variables au pire en dessous de tout. À Paris, la CGT ne voulait appeler qu’à un rassemblement, FO a fait son propre rassemblement le matin. Même Solidaires n’a déposé un préavis national que le 4 juin alors que la date de manifestation était discutée depuis la mi-mai. Quelques jours avant la manifestation, le collectif inter-hôpitaux (constitué à l’initiative de médecins à l’automne dernier) parlait d’organiser des lâchers de ballons devant les mairies et n’avait qu’un maigre cortège.

Les salariés de la santé qui ont pu se réunir en groupe, par service, par profession, parfois par hôpitaux, souvent à l’initiative de militants d’extrême gauche, se sont rendu visibles. Au vu des tonalités des rassemblements et manifestations, ceux qui ont occupé la rue étaient très contents de le faire. À Nantes, tout le monde globalement se fichait de ce que les «  pontifs  » en chasubles syndicales racontaient, à Paris une minorité non négligeable de soignants sont restés sur les Invalides à l’issue de leur manifestation malgré les grenades lacrymogènes et les charges devenues presque habituelles.

Pas fini de ne pas finir

Une poussée venue d’en bas qui déborde dans la rue malgré les intimidations gouvernementales pourrait imposer au «  Ségur  » un premier plan d’urgence massif, d’embauches et d’augmentations de salaire généralisées, et des négociations avec tous les acteurs de terrain. Selon la presse un accord aurait été trouvé sur les salaires le 19 juin… Que le gouvernement lâche un peu à quelques-uns ou pas, rien n’est réglé. Tous les problèmes liés au sous-effectif demeurent  : les vacances, les plannings, les heures sup’, les soins à la chaîne, etc. «  Et un, et deux, et trois cents euros  !  », les salaires sont toujours dans les slogans et en fin de manif les trois cents deviennent cinq cents. Le matériel manque encore. Les mobilisations qui pouvaient s’organiser par profession, secteurs ou services depuis des années ont débouché sur des manifestations importantes d’hospitaliers rejoints par des dizaines de milliers de soutiens, des travailleurs d’autres secteurs, souvent mélangés à celles et ceux de la santé.

À Casanova (Saint-Denis) comme à Avicenne (Bobigny), Pitié-Salpêtrière ou Robert-Debré à Paris de nouveaux rassemblements se sont organisés dès le 18 juin. Le 20 juin, des militants du collectif inter-urgence, aidés par des militants d’Attac, recouvraient de peinture rouge le ministère de la Santé  : médaille du mépris pour le gouvernement  ! Les salariés de la santé en lutte pourraient constituer la motrice entrainant l’ensemble du monde du travail confronté aux attaques tous azimuts (suppressions de postes, licenciements, baisse des salaires…) comme la jeunesse déjà mobilisée face au racisme vers la confrontation avec un pouvoir honni depuis longtemps. En tout cas, c’est cette perspective que nous souhaitons défendre.

Chris Miclos, le 20 juin



À Saint-Denis : une mobilisation profonde

À l’initiative des militants de Sud et du Collectif des personnels hospitalier créé à l’automne, dans les deux hôpitaux du Centre hospitalier de Saint-Denis, cela faisait quatre semaines que l’ensemble des professions de l’hôpital exprimaient leur colère devant les grilles : « Hôpital en colère, y’en a marre de la galère ». Le mardi à l’hôpital Delafontaine, le jeudi à l’hôpital Casanova, des soutiens venus des alentours se sont joints et cela faisait du bien d’être rejoints.

– Embauche immédiate de tous les CDD, des embauches supplémentaires dans tous les services, évaluées par les agents de terrain, des augmentations de salaire pour toutes et tous au minimum de 300 euros nets par mois, de l’argent pour les emplois et les salaires !

200 personnes se sont rendues à Paris pour prendre la tête de la manif derrière leur banderole : « Blouses blanches, colère noire ! »

Mettre le gouvernement sur le grill  : la soirée du 19 juin

Le collectif des personnels hospitaliers de Saint-Denis conviait largement à une soirée festive et politique devant l’hôpital Delafontaine. De nombreux collègues organisent la soirée avec le soutien des militants des alentours, organisés en comité de soutien, en lien avec les hospitaliers  : diffusions de tracts, affichages, pétition, nouvelle cagnotte le soir… comme celle apportée par les supporters du Red Star, le club de foot de Saint-Ouen, qui ont collecté de l’argent durant l’épidémie permettant le financement de la soirée. Plusieurs centaines de personnes passent, notamment des salariés de l’hôpital qui sortent de leur service un moment avant de retourner au travail et de nombreux autres venus passer la soirée ensemble. Quelques hospitaliers de Paul-Guiraud, Robert-Debré, la Pitié-Salpêtrière, ou Tenon prennent la parole. Des acrobates du 93 déploient une grande banderole à quelques dizaines de mètres de hauteur  : «  Taxer le capital, financer l’hôpital  ». Font le reste  : la musique, le barbecue géré par des collègues, les plats préparés par la Cantine des femmes battantes (association de femmes sans-abri, sans travail et sans papiers qui permet notamment le démarrage d’une activité professionnelle)…



À la Pitié-Salpêtrière (Paris 13e)  : les initiatives viennent d’en bas

Les dirigeants CGT et le Collectif inter-hôpitaux (très présent sur l’hôpital) ont fait les morts durant l’épidémie puis ont, gentiment et avec révérence, chacun leur tour accueilli Macron venu faire sa com’ le 15 mai dans l’hôpital… Des salariés l’ont heureusement interpellé. Pontes, bureaucrates et gouvernement n’en sont pas ressortis indemnes. Autant dire qu’après avoir raconté qu’il fallait attendre la fin de l’urgence sanitaire pour contester, organiser la mobilisation après l’épidémie n’était pas franchement dans les préoccupations syndicales et médicales.

Pourtant, via le bouche-à-oreille (en fait les WhatsApp) et l’initiative de salariés de la base, trois rassemblements se sont organisés dans l’hôpital, trois jeudis de suite. Cent salariés au premier, bien moins au second mais qu’à cela ne tienne, une soixantaine la troisième fois. Le responsable CGT s’est illustré dans le rassemblement du jeudi 11 juin en appelant à diffuser des tracts pour appeler au 16  : «  Dès la semaine prochaine  !  » C’est-à-dire la veille de la manifestation… Ce même 11 juin, devant la porte de l’hôpital le cortège se divise vite en deux. Deux groupes, deux ambiances… Le groupe des infirmières, kinés et assistantes sociales. Et en face celui des militants de la CGT, pas très nombreux, mais rejoints par quelques syndicalistes de FO.

Au final, presque aucun tract syndical ou affiche siglée collée dans l’hôpital pour appeler au 16 juin. Ce sont pourtant 150 blouses blanches qui se retrouvent dans le parc de l’hôpital le 16 juin. Le cortège grossit à la sortie du métro et 200 personnes de l’hôpital se groupent. La plupart des hospitaliers défilent entre eux loin des médecins et des syndicalistes faisant bande à part : « À l’hôpital y’a trop de travail, à l’extérieur y’a trop de chômeurs ! »

Le 18 juin, aucun syndicaliste ni drapeau, aucun médecin, mais finalement tout de même une quarantaine d’hospitaliers participent même rapidement à une quatrième manifestation dans l’hôpital.


À Strasbourg : les étoiles dans les yeux

L’air était électrique le 16 juin. Chacun a sorti son matériel de service pour apparaître comme soignant dans la foule, tenues blanches, bleues, vertes, charlottes, sarraus. On prépare des cartons et des manches pour faire des pancartes, dans l’attente de retrouver les collègues. On ne sait pas s’il y aura du monde, on appréhende parce que pour beaucoup c’est la première manifestation. Le monde est arrivé d’un coup, après le service de 14 heures, une marée blanche se répand place Kléber. Après deux heures en cortège, on se dit que les applaudissements de 20 heures nous ont effectivement rejoints, on est satisfaits et on attend avec impatience la prochaine.


[1Lire sur le point de vue soignant à Strasbourg, Face à la catastrophe sanitaire : des idées d’hospitaliers sur les moyens de la conjurer, 6 avril.

Lire sur la pénurie à Lyon, Le règne de la pénurie, 18 avril.

[2Notre article du 18 avril : Désarroi, orage et combat

[4 Lire le reportage consacré à Saint-Denis de Caroline Choq-Chodorge pour Mediapart publié le 12 juin : L’hôpital public bouillonne, ses précaires aussi

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