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Allemagne : face à l’inflation, les grèves pour les salaires se multiplient

9 septembre 2022 Article Monde

Sur fond d’inflation, les nouveaux rounds de négociation rituels entre les directions syndicales et le patronat prennent une tournure plus « chaude » que d’habitude. Les revendications dépassent de loin les faibles augmentations habituelles, et on retrouve des secteurs peu habitués à la grève dans des conflits. Dockers, soignants, personnel de l’aviation, de nombreux secteurs ont su arracher des améliorations. Alors, en Allemagne, après un été combatif, poursuit-on vers un « automne chaud » ?

Les dockers et la Lufthansa mènent la voie

Les grèves marquantes ont été celles des dockers et du personnel de la Lufthansa, la grande compagnie aérienne du pays. Des conflits ne cessent de l’agiter – ou de clouer les avions au sol – depuis le début de l’été. En juillet, le personnel au sol avait fait grève en plein début de vacances, paralysant le trafic pour une journée et déclenchant un tollé de la part de tabloïds jouant sur la colère des vacanciers. Mais surtout en obtenant des augmentations conséquentes : entre 17 % et 26 %, d’ici les six prochains mois. Les pilotes ont pris la suite, avec leur syndicat de corporation, Association Cockpit, traditionnellement combatif dans leur défense catégorielle [1]. Le 2 septembre, leur grève a conduit à l’annulation de 800 vols en Allemagne, mais pas seulement. Ils revendiquaient une augmentation de 5 % minimum, indexée sur l’inflation. Finalement, une décision de justice a statué sur le fait que l’indexation « n’était pas sans poser des problèmes juridiques » [2] , et le syndicat a surenchéri en revendiquant une augmentation générale de 8,2 %… la décision ayant néanmoins été prise de n’organiser ni piquets ni rassemblements, prétextant les réactions houleuses, en juillet, de certains passagers lors des piquets du syndicat des services Ver.di. Le syndicat des agents de bord, UFO, a de son côté déclaré sa solidarité avec la grève, et prévoit des mouvements en automne.

Dans les ports, 12 000 dockers ont mené la plus grande lutte du secteur depuis 40 ans. Des grèves d’avertissement, suivies d’une paralysie générale de 48 heures en juillet, une manifestation de 5 000 personnes à Hambourg, émaillée de quelques échauffourées avec la police, une autre à Brème fin août, et quelques actions en commun lors de la grève dans les aéroports. Une décision de justice a cependant imposé une trêve, et l’accord provisoire reste en deçà des revendications de 14 % d’augmentation et de l’indexation des salaires sur l’inflation. L’accord a suscité un certain mécontentement, mais a été accepté malgré l’opposition des grévistes les plus combatifs.

Une grève peut en cacher d’autres

Avant ces grèves d’importance pour le pays, les conflits s’étaient multipliés en comparaison avec les années précédentes. En 2021, de longues grèves de soignants à Berlin, et une lutte des cheminots, avaient marqué l’actualité. Cet été a eu lieu une des plus longues grèves de l’histoire des hôpitaux, qui a duré onze semaines sur les six CHU de la plus grande région du pays, la NRW (Rhénanie du Nord-Westphalie, région de la Ruhr), et a finalement abouti à quelques améliorations, notamment en matière de charge de travail.

Dans d’autres secteurs, des grèves semblent s’annoncer. À la poste, la fin de « l’obligation de paix » arrive [3], et de premières grèves d’avertissement devraient suivre. Des médias agitent déjà la menace de grèves nuisant aux expéditions de colis de Noël. Chez les cheminots, le syndicat historiquement le moins combatif voit sa convention arriver à terme, et sera probablement obligé de montrer quelques dents pour satisfaire la colère qui s’exprime à la base, et par ailleurs résister à la concurrence syndicale. Dans la métallurgie aussi, un nouveau round s’ouvre en octobre, puis dans les services municipaux en fin d’année.

Les dernières grèves ont marqué l’actualité, et la détermination de secteurs qui n’avaient pas fait grève depuis longtemps peut devenir contagieuse. Malgré des accords souvent en dessous des espoirs, les grévistes ont le sentiment que leur lutte a arraché des améliorations. À voir quelle sera, dans les semaines et mois qui viennent, la politique des directions syndicales. Elles haussent actuellement le ton, en appellent à des grèves et à revendiquer davantage, mais n’ont pas pour autant lâché leurs vieilles habitudes de négocier et signer des accords totalement abscons pour les travailleurs, qui plus est à la baisse, branche par branche et corporation par corporation là où il faudrait aller vers un mouvement d’ensemble pour se faire craindre d’un patronat arrogant.

Dima Rüger


[1Quelques syndicats de « corporations » – des médecins, conducteurs de train ou pilotes par exemple – existent à côté du système allemand de syndicats uniques de branche. Ils ont quelque réputation, plus ou moins méritée, d’être plus combatifs que les grands syndicats de branche. Des informations supplémentaires dans notre article sur la grève des cheminots, menée par le syndicat corporatiste des conducteurs, la GDL : La Deutsche Bahn en Allemagne : guéguerre syndicale ou lutte de classe ?.

[2En Allemagne, le droit de grève n’est pas constitutionnel, et peu codifié. Il repose essentiellement sur des décisions de justice qui font jurisprudence.

[3En Allemagne, les syndicats négocient des « tarifs » ou contrats/conventions collectives applicables pour une durée de validité déterminée. Durant ce temps, une « obligation de paix » interdit de faire grève pour remettre en cause ce qui a été fixé dans le contrat (ou « tarif ») passé.

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