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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 48, novembre-décembre 2006

Allemagne (BSH Berlin) : la routine syndicale bousculée

Mis en ligne le 27 novembre 2006 Convergences Monde

La grève de quatre semaines, du 25 septembre au 21 octobre, dans une entreprise de production de machines à laver de 618 salariés à Berlin-Spandau, appartenant au groupe Bosch-Siemens (BSH Bosch Siemens Hausgeräte  [1]), à défaut d’avoir été victorieuse, a illustré les difficultés (certaines surmontées, d’autres pas) auxquelles les travailleurs sont aujourd’hui confrontés. Dans le pays, les entreprises, les unes après les autres, licencient et suppriment des emplois. Les luttes contre les licenciements et les fermetures d’entreprise, si leur nombre a notoirement grandi dans l’année écoulée, sont souvent restées isolées et perdues. La grève chez BSH a rompu avec cette routine.

Une sortie de l’isolement

La direction n’en était pas à sa première menace de fermeture et délocalisation. Dès qu’elle a remis la question sur le tapis, cet été, les travailleurs (pour beaucoup des ouvriers de production originaires de Turquie) ont décidé d’engager la lutte. Et la grève a démarré, dirigée par le syndicat. Les grévistes organisèrent en particulier une « marche de solidarité » en direction d’autres entreprises touchées : d’autres sites du groupe Bosch (à Nauen dans l’ex-Allemagne de l’Est, à Dillingen), les sièges des maisons-mères de Bosch et Siemens, des sites de la « concurrence » (AEG/Electrolux à Nuremberg, Miele à Gütersloh) et d’autres sites métallurgiques (EKO-Stahl à Eisenhüttenstadt, à l’Est).

Dans de nombreuses usines, des mouvements de solidarité eurent lieu lors de la venue de ceux de BSH, sous forme d’assemblées sur le temps de travail. La « marche » devait converger le 19 octobre devant le siège de Siemens à Münich. Le coude à coude ouvrier fut suffisamment marquant pour que la direction, sous pression, tente de couper court à la contagion en cherchant un compromis... avec la bureaucratie syndicale.

La bureaucratie syndicale à la rescousse du patron

Elle s’est appuyée pour ce faire sur le Comité d’entreprise  [2] et la direction de l’IG Metall. Lors de discussions secrètes organisées avec les représentants de ces derniers dans la nuit du 18 octobre, un compromis a été passé, prévoyant le licenciement de 216 salariés de l’entreprise, un allongement du temps de travail à 40 heures par semaine et une baisse de salaire de l’ordre de 20 %, pour les 400 travailleurs restant. Soit un « cadeau » de 8,5 millions d’euros par an pour le trust BSH, qui a pourtant réalisé un bénéfice de 500 millions d’euros avant impôts en 2005.

L’entreprise devrait certes encore tourner jusqu’en 2010, mais BSH ne s’engage pas plus loin. Aucune clause contrôlable non plus concernant les indemnisations. Qui plus est, l’IG Metall s’engageait « à abandonner aussitôt toute action de protestation ou manifestation contre BSH à l’extérieur de Berlin ». Exit le rassemblement de Münich qui devait avoir lieu le lendemain !

L’envie de poursuivre, mais pas de moyens à la hauteur

L’annonce de ce compromis pourri a donné la rage aux grévistes et aux travailleurs dont ils avaient obtenu le soutien. Par vote à main levée, il a été rejeté par les grévistes à plusieurs reprises, unanimement, en assemblée générale de ceux-ci. Mais le syndicat s’est appuyé sur la loi pour organiser un « référendum » à bulletins secrets  [3]. Le rejet du compromis et la poursuite de la grève ont été votés à 67 %. Las, il en fallait légalement 75 % ! Miracle, ou tour de passe-passe de la démocratie bourgeoise allemande ! La direction de l’IG Metall déclara donc la grève terminée à partir du jour même, 20 octobre, à minuit.

Les grévistes ont d’abord décidé de poursuivre leur lutte. « L’IG Metall, c’est nous », ont dit certains. Pendant quelques heures, les bureaucrates de l’IG Metall ont perdu le contrôle de la situation. Mais ils ont finalement eu raison des grévistes en les menaçant de tous les maux en cas de poursuite d’une grève non soutenue par le syndicat, donc illégale, en particulier d’aboutir à des conditions pires encore que celles qu’il avait signées.

Tout fut bon pour saboter la grève, y compris l’organisation d’une prétendue « fête de fin de grève », préparée à la va-vite mais à laquelle des hommes politiques « de gauche », le maire social-démocrate de Berlin, Klaus Wowereit, et le dirigeant du PDS, Gregor Gysi, apportèrent leur concours ! Ladite fête resta sur l’estomac d’un bon nombre de grévistes. Le coup au moral fut plutôt dur et peu de grévistes de BSH, le lendemain samedi 21 octobre qui était jour de manifestations syndicales régionales à l’appel de la DGB, eurent le cœur de défiler à Berlin.

Des leçons à tirer

Le conflit chez BSH a montré qu’une proportion importante de travailleurs - chez Bosch ils représentaient même les deux tiers ! - n’est pas prête à accepter les compromis et les renoncements des appareils syndicaux, ni à gober les mensonges patronaux selon lesquels il faudrait licencier, allonger le temps de travail, réduire les salaires.

L’autre conclusion qu’on peut tirer, qui concerne les travailleurs et le milieu militant, dont les syndicalistes combatifs, c’est que la conduite et la poursuite d’une grève implique absolument de se préparer à la possible trahison de l’appareil syndical, c’est-à-dire à forger une direction de la grève, élue par et parmi les grévistes, et révocable par eux.

La prétendue démocratie syndicale dont se félicitent les dirigeants des appareils syndicaux, c’est en réalité les règles imposées par la bourgeoisie pour encadrer et brider les mouvements. À cette démocratie à la sauce bourgeoise, les travailleurs doivent se préparer à opposer leur propre démocratie, ouvrière : aux travailleurs en lutte et à eux seuls de décider eux-mêmes de leurs actions.

Berlin, le 15 novembre 2006

Sabine MÜLLER


[1Bosch Siemens appareils ménagers.

[2Betriebsrat, ou comité élu par les travailleurs (pas obligatoirement constitué de militants syndicaux - mais c’est le cas chez BSH), habilité en Allemagne à négocier et signer avec le patron des plans de licenciements, entre autres prérogatives.

[3Procédure légale pour commencer comme pour terminer une grève, à ceci près qu’il faut 75 % de partisans pour démarrer une grève, et qu’à l’inverse il suffit de 25 % de partisans de la reprise pour que la grève devienne illégale.

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