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La casse de l’hôpital

Instituts de formation en soins infirmiers

À l’Ifsi, « on a pris acte qu’on allait devoir faire les choses par nous-mêmes »

Mis en ligne le 5 juillet 2022 Convergences Entreprises

Si, depuis la crise sanitaire, on sait combien sont éprouvantes les conditions de travail et de soin dans les établissements de santé, la situation des étudiants infirmiers est moins connue. Ceux-ci sont entrés dans la profession de manière consciente, déterminée et paradoxale, avec en tête l’idée de bien faire leur métier dans un contexte d’effondrement de l’hôpital public. Si le gouvernement se targuait l’an dernier d’avoir augmenté les places en Ifsi pour faire face au sous-effectif chronique dans les hôpitaux, la réalité montre qu’il existe une politique d’intimidation visant à faire taire toute contestation, à sélectionner les plus dociles et à encourager la démission des plus fragiles. Mais les réactions aux conditions d’études et de travail révèlent de nouvelles possibilités d’intervention militante. C’est ce que nous voyons avec Camille, d’un Ifsi de Bretagne, qui revient sur l’année que la promotion de première année vient de passer.

  • Si tu pouvais résumer en une phrase, les études d’infirmière ?

Camille : C’est beaucoup de pression, des injonctions morales, de l’infantilisation, des menaces de la direction pour ceux qui s’opposent à elle. La direction qui fait des « exemples » en pourrissant les étudiants les plus malléables. En gros, ils veulent sélectionner de futurs professionnels qui se plient à n’importe quelle exigence et caprices de la direction. Il faut voir que les études ne sont que le reflet des conditions de travail dans la santé, elles préparent à ce qui nous attend.

  • Tu peux revenir sur ta première impression à la rentrée ?

Dès la première semaine, la directrice a donné le ton, elle nous a mis en garde sur le fait de devoir faire attention à notre image, que ce soit dans l’établissement, ou à l’extérieur, car, à ses dires, nous représentons l’Ifsi même en dehors des murs. Qu’il était important d’avoir une tenue adaptée, d’éviter les jupes, crop tops, joggings, et les cheveux gras ! Que l’on doit faire attention à ce qu’on dit sur les réseaux, qu’il est interdit de se partager les cours sous peine de sanctions disciplinaires. Pendant trois jours, les mêmes redites. Ça m’avait déjà questionnée, je me demandais où j’étais arrivée.

  • Et au niveau des conditions matérielles d’étude ?

Pour les locaux, ce n’est pas toujours évident. Pas assez de tables, certains tentent d’écrire sur leur chaise. Une salle avec des poteaux au milieu qui cachent le tableau, des morceaux de plafond qui tombent, pas de salle de pause, deux toilettes pour 100 étudiants, sans savon ou papier. Le ménage n’était jamais fait, on nous a même demandé de le faire nous-même. Beaucoup de camarades de promo ont commencé à refuser d’y retourner. Le midi, rien n’était prévu : pas de salle suffisante, quatre micro-ondes pour 500 étudiants… On a commencé à se réunir pour exiger quelques changements. On s’est servi des « feuilles d’événement indésirable », [c’est la procédure pour les démarches qualité dans les établissements de santé], et même si ça reste insuffisant, on a eu quelques retours et obtenu deux micro-ondes supplémentaires.

  • Quand vous manquez de tout comme ça, comment ça se passe ? Vous avez réussi à vous débrouiller collectivement ?

Progressivement, on a pris acte collectivement qu’on allait devoir faire les choses par nous-mêmes. Il faut se battre pour tout en fait. Par exemple, au début de l’année, pour les stages, on nous a dit que l’établissement se chargeait de trouver des lieux de stage pour tout le monde. Puis, à deux semaines du début des stages, on nous a dit qu’il manquait encore dix places et qu’il n’y avait pas de solution, que certains allaient se retrouver sans stage. Donc on a fait le boulot à la place de l’école, en nous réunissant pour mettre nos réseaux en commun. Une semaine après, on avait tous nos affectations. Rebelote pour le troisième stage, il manquait vingt places.

Il y a eu aussi l’histoire des remboursements des frais kilométriques des stages. Ce n’est pas anodin quand on voit le prix de l’essence ! La directrice répondait à chaque demande : « on en reparle dans trois semaines ? » Mais on a fini par imposer nos factures et se faire rembourser. À chaque fois, ce sont des situations qui ont permis à la promo de se retrouver et d’être encore plus soudée.

  • Et cette ambiance, a-t-elle permis un peu d’éviter des démissions ?

Non, dès le premier stage il y a eu des abandons. En plus des stages, c’est l’ambiance qu’instaure la direction qui fait que nos camarades quittent la formation, demandent des reports d’études, ou veulent être mutés dans d’autres écoles. Depuis la rentrée, une dizaine de personnes sont déjà parties. C’est pareil dans toutes les promotions, chez les L2 (deuxième année), ils sont encore plus nombreux à quitter la formation.

  • Quand tu parles d’ambiance instaurée par la direction, tu peux nous en dire plus ?

Toute l’année a été ponctuée d’une série d’événements d’humiliation, de réprimandes et de répression. Mais prenons le dernier exemple, qui date de mi-juin. Avec la fatigue, la pression des partiels, le manque de sommeil, les stages et le fait de travailler le week-end pour payer la formation et remplir les placards, ça devient compliqué en cette fin d’année scolaire. Du coup, une élève a eu le malheur de s’endormir en cours deux petites minutes, et quand la directrice est passée dans le couloir et qu’elle l’a aperçue, elle a interrompu le cours et a convoqué sur le champ l’étudiante. La camarade est revenue en pleurs en cours une demi-heure après. Elle s’était fait rabaisser, humilier et réprimander. La directrice a osé lui dire que si elle n’arrivait pas à tenir le rythme, elle « n’arriverait à rien dans la vie ».

  • Et comment la promo a réagi face à tout ce que tu racontes ?

Ça a mis du temps pour qu’on réagisse vraiment parce qu’à chaque fois, il y avait la tentation de baisser la tête. Mais suite à la dernière intervention en cette fin d’année, nous nous sommes réunis un midi pour discuter tous ensemble et contrer les tentatives d’intimidation de la directrice. Nous avons rédigé une lettre collective pour afficher notre unité et mettre un stop à cette intimidation. Notre revendication est simple, nous voulons être traités avec respect.

Les murs ayant des oreilles, la directrice a convoqué les délégués et tenté de leur soutirer les éléments principaux qui y figuraient, avant même qu’on ne lui ait envoyé. Voyant qu’elle paniquait, on l’a fait patienter, profitant de l’inversion du rapport de force. En réalité, de notre côté dans la promo, c’était la course aux signatures. Nous avons eu environ la moitié de la promo, soit 41 étudiants, qui ont joint leur nom à la lettre. Déjà une petite victoire. Après l’avoir envoyée, la directrice a ravalé sa fierté et a adopté un tout autre ton. Pas d’infantilisation, pas de remarques déplacées, pas de menaces. Ce n’est pas grand-chose mais la promo a pu avoir le sentiment d’avoir gagné le premier bras de fer. Comme quoi, même pour les camarades restés sur la réserve, la contestation collective (même avec une simple lettre) est apparue pour ce qu’elle est : notre meilleure arme face à une direction abusive et méprisante.

D’ailleurs, si ceux qui contestaient au départ étaient très minoritaires – j’ai été tentée plusieurs fois par la démission –, à force de se regrouper, de discuter ensemble face à ces situations, on finit l’année bien plus soudés, et plus armés pour l’an prochain. Aujourd’hui, les promos de L2 et de L3 nous appellent « la promo kamikaze »… avec un mélange d’attraction et d’étrangeté. On a montré qu’on peut inverser le climat délétère propice aux démissions. C’est autant de pierres posées pour la suite, quand on intégrera la profession.

29 juin 2022, propos recueillis par James Léger

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