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60 ans après les indépendances africaines, où en est-on ?

22 septembre 2020 Article Monde

Photo : conférence panafricaine d’Accra en 1958


Le 1er janvier 1960, le Cameroun est le premier pays de l’empire colonial français [1] à accéder à l’indépendance. Il inaugure ainsi la vague d’indépendances qui touche tous les pays jusqu’alors sous domination coloniale française : le Togo le 27 avril, puis Madagascar le 26 juin, le Dahomey – actuel Bénin – le 1er août, le Niger le 3 août, la Haute-Volta – actuel Burkina Faso – le 5 août, la Côte d’Ivoire le 7 août, le Tchad le 11 août, la Centrafrique le 13 août, le Congo-Brazzaville le 15 août, le Gabon le 17 août, le Sénégal le 20 août, le Mali le 22 septembre et la Mauritanie le 28 novembre. Oui, la république française et sa devise de liberté, égalité et fraternité étaient restées jusqu’à la deuxième moitié du vingtième siècle un fleuron de l’impérialisme colonialiste, auquel les gouvernements de gauche, en 1936, 1945 ou 1956, n’avaient pas touché ! En 1960, des indépendances ont donc été accordées en cascade mais certainement pas dans la précipitation. Car si une page se tourne bel et bien avec la fin de la colonisation, la domination que la France a jusqu’alors exercée de façon directe entend bien se poursuivre pour les intérêts – directs aussi ! – de sa grande bourgeoisie, qui n’a aucunement l’intention, pas plus aujourd’hui qu’hier, de laisser échapper à son contrôle les colossales richesses de l’Afrique.

En 1960, l’époque coloniale apparaît comme une situation du passé. Des indépendances ont déjà été prononcées, celles de l’Indonésie et de l’Inde (respectivement colonies néerlandaise et britannique) au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celle du Ghana en 1957, jusqu’alors sous domination britannique. Le contexte post-Seconde Guerre mondiale tourne vite à celui de la guerre froide, un monde bipolaire où l’affrontement USA/URSS domine. La France est un pays de seconde catégorie dans la concurrence mondiale et s’accroche d’autant plus à son empire colonial.

La poussée anticoloniale est forte du côté des peuples africains qui ont compté les morts par dizaines de milliers sur les champs de bataille européens durant le conflit mondial. Reflet de ce mouvement parmi les populations, les élites intellectuelles africaines s’organisent pour secouer le vieux fatras et afficher leur soif d’indépendance. En 1958, à Accra, capitale du Ghana, se tient la seconde conférence panafricaine qui regroupe plusieurs leaders de mouvements plus ou moins indépendantistes, qui réclament tous davantage d’égalité et le droit de peser sur l’avenir de leur pays. On y retrouve des militants connus comme Frantz Fanon, Patrice Lumumba, Sékou Touré ou encore Félix Moumié (président de l’Union des populations du Cameroun, voir plus loin).

À partir du milieu des années 50, tout le monde (y compris la plus grande partie de la classe dirigeante et du personnel politique des États coloniaux comme la France) pense que la planète s’achemine vers la fin de la colonisation. La question centrale est de savoir quel contenu donner à l’indépendance des futurs États africains. Autrement dit, à qui doivent appartenir les richesses qui jusqu’alors profitaient aux métropoles coloniales ? Certains leaders africains – parmi ceux cités plus haut – ont l’audace de répondre… aux Africains ! Aucun d’entre eux n’a pourtant la volonté nette de remettre en cause le capitalisme. Mais leurs prétentions limitées, nationales, entrent néanmoins en contradiction avec les intérêts des puissances impérialistes qui, si elles acceptent formellement les indépendances, n’ont aucunement l’intention de lâcher la main sur l’exploitation des ressources humaines et matérielles de l’Afrique.

Manœuvres d’un côté, bras de fer de l’autre, s’enclenchent

Pour les puissances coloniales, il s’agit de transformer les processus d’indépendance en de simples formalités sans douleur pour les profits capitalistes. À cette fin, l’impérialisme français va œuvrer et manœuvrer pour garder la main sur la domination politique et économique de son ancien empire colonial. Comme de son côté l’impérialisme belge manœuvre pour garder les richesses de son ex-empire du Congo (devenu l’actuelle République démocratique du Congo). Les deux colonialismes sont aussi rétrogrades que sanguinaires. Tous deux outrageusement soutenus par leurs « partis de gauche » – prétendus socialistes en tête !

Un Rassemblement démocratique africain (RDA) est créé en 1946 pour rassembler dans une volonté commune – est-il dit – l’ensemble des partis et leaders africains des possessions coloniales françaises. Ayant des liens avec le Parti communiste français, au groupe parlementaire duquel s’apparentent ses députés, ce RDA est dirigé par l’Ivoirien Houphouët-Boigny, grand propriétaire et président du Syndicat agricole africain, qui s’affirme presque dès le début de sa carrière politique comme l’un des meilleurs défenseurs des intérêts impérialistes de la France en Afrique. Pour lui faire rompre toute attache avec le PCF, François Mitterrand, ministre de la France d’Outre-mer n’y va pas de main morte : « Je l’ai traité un peu durement », explique-t-il, « je l’ai prévenu que j’allais doubler les garnisons en Afrique et que je le tiendrais pour responsable d’éventuels troubles. Je lui ai expliqué que les revendications humaines, sociales et économiques auraient mon plein appui si elles étaient justifiées. Mais que je n’admettrais pas qu’elles prennent un caractère politique ». Houphouët-Boigny accepte rapidement de faire du RDA une coquille vide qui ne sert qu’à propulser à la tête des futurs États des politiciens corrompus ou des dictateurs implacables, mais présumés capables de défendre les intérêts économiques et politiques de la France. Il fut même, du coup, promu ministre dans deux gouvernements français successifs de février 1956 à septembre 1957. Tout comme son homologue, le futur président du Sénégal, Léopold Senghor, fut lui aussi deux fois ministre en France.

Mais ce n’était pas si simple ! Il ne suffisait pas de penser trouver des hommes liges à placer à la tête de nouveaux États. La marche vers les indépendances africaines ne s’est pas résumée à des négociations de couloir ou à des tractations de salon entre dirigeants africains et puissances impérialistes pour tromper les peuples. La période qui se rouvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (et s’était déjà largement ouverte au lendemain de la Première, date de naissance des mouvements d’émancipation coloniale, un peu partout dans le monde), est celle d’une vague de mobilisation d’une ampleur extraordinaire des populations elles-mêmes pour obtenir la justice sociale et la dignité humaine et politique. Et si nombreux sont les leaders et organisations africaines qui ont joué le jeu de l’impérialisme, d’autres aussi nombreux s’y sont refusés et ont pris la tête de révoltes populaires qui ont donné un tout autre contenu à l’indépendance.

La guerre du Cameroun, aux origines de la Françafrique

L’Union des populations du Cameroun (UPC) est fondée le 10 avril 1948 par une douzaine de militants syndicaux et d’intellectuels ayant fait leurs armes dans les conflits sociaux des années précédentes. Elle se fixe pour but de « grouper et unir les habitants du Territoire en vue de permettre […] l’émancipation des populations exploitées par les trusts coloniaux […] ». Ce petit groupe militant deviendra le principal parti, regroupant plusieurs dizaines de milliers de membres et en influençant bien d’autres, luttant pour l’indépendance nationale du Cameroun en opposition frontale aux intérêts de l’impérialisme. Si le contexte de la guerre froide pousse la propagande française à lui coller l’étiquette de « communiste », l’UPC s’en défend, se considérant simplement comme un parti nationaliste, luttant pour donner un contenu concret à l’indépendance, la souhaitant – certes un peu abstraitement – comme favorable aux populations jusque-là durement exploitées et opprimées.

En mai 1955, les premières manifestations éclatent contre la domination française. L’UPC en prend la tête et devient alors la cible à abattre. En 1958, son principal et charismatique leader, Ruben Um Nyobe, meurt sous les balles des troupes coloniales françaises. En 1960, c’est au tour de Félix Moumié d’être empoisonné par les services de renseignements français lors de son exil en Suisse. En 1971, plus de dix ans après l’octroi de l’indépendance, Ernest Ouandié, le dernier des leaders de l’UPC est condamné à la peine de mort au Cameroun et exécuté à la suite d’un procès caricatural. Ces morts des leaders de l’UPC ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

De 1955 à 1970, le Cameroun connaît une guerre civile opposant les troupes coloniales, puis des troupes camerounaises agissant pour le compte de la France, à l’UPC et ses maquis. La guerre fait des dizaines de milliers de morts et l’impérialisme français déploie les mêmes méthodes atroces et barbares pour écraser toute résistance : déportation de population, parcage dans des zones spéciales, bombardements au napalm, décapitation de combattants nationalistes en public, etc. Il s’agit d’une guerre menée directement pour le compte de la France et dont l’enjeu est simple : empêcher qu’une voie alternative ne se trace face aux « indépendances négociées » que l’impérialisme français met en œuvre. La dictature de plomb de Ahmadou Ahidjo qui devient le premier président camerounais le premier janvier 1960, est le relais direct de la France. Le nouveau régime n’est qu’une façade « démocratique » servant à masquer le maintien de la domination française. La dictature de Paul Biya qui s’exerce toujours au Cameroun est la poursuite directe de ce régime issu de l’indépendance… ou plutôt de la lutte pour l’indépendance massacrée !

L’écrasement de l’UPC au prix du sang permet à la France de développer ce qu’elle nomme la « politique de coopération ». Le 13 novembre 1960, au terme de la ribambelle d’indépendances proclamées, pas moins de douze accords bilatéraux et conventions, marchandages tous secrets, sont passés entre la France et le nouvel État indépendant du Cameroun. Tous écrits par l’ex-puissance coloniale, ces accords encadrent strictement la souveraineté camerounaise et garantissent le maintien d’une domination économique et militaire, donc politique, sur le nouveau pays. C’est par ce biais que le Cameroun est maintenu dans la zone du franc CFA et n’a aucune indépendance monétaire ; par ce biais qu’une mission militaire française peut stationner au Cameroun en permanence ou encore que les « matières premières stratégiques » du Cameroun sont décrétées relever de la défense et du maintien de l’ordre, permettant donc à la France d’intervenir militairement pour les « protéger »…

En 1960, le Cameroun est le premier pays à sortir de l’espace colonial français dans le cadre de la politique des « indépendances négociées ». Sa situation et son évolution ont donc un caractère expérimental pour le reste des indépendances. Il fallait faire un modèle de ce pays marqué par une puissante mobilisation populaire – réprimée. Il sert ainsi de laboratoire pour étendre cette « politique de coopération » à tous les État africains qui voient le jour les mois et années suivantes. Chacun d’eux se voit proposer – et des dirigeants signent sans rechigner – le même modèle d’accords bilatéraux, copié/collé de ceux que la France a fait signer au Cameroun. Le « modèle camerounais » est exporté à l’ensemble de l’espace colonial français : la Françafrique est née.

Soixante ans plus tard, l’impérialisme domine toujours

En 2020, soixante ans après ces indépendances, les États africains créés à l’époque ont bien leurs frontières, leurs institutions, leurs corps de fonctionnaires et leurs représentants à l’ONU ou dans d’autres instances internationales. Mais dans ces républiques pourtant relativement jeunes, la vie politique a des airs de déjà-vu et se résument aujourd’hui bien souvent au bal des politiciens qui se chamaillent à coups de belles promesses à chaque élection. Encore que dans un certain nombre de pays, la classe dirigeante (largement appuyée par la France démocratique !) n’ait pas ressenti même le besoin de mettre en scène une quelconque alternance et que le pouvoir s’y soit transmis allégrement de père en fils, les scores électoraux ne servant qu’à peinturlurer la façade de dictatures féroces.

En somme, les indépendances africaines ont donné lieu à la formation de nouveaux États, certes affranchis de la vieille mise en tutelle coloniale directe, mais d’États bourgeois avec à leur tête une classe dirigeante noire locale qui administre ses affaires en lien étroit avec celles de l’impérialisme français, toujours bien présent de cette façon. Les dirigeants politiques locaux, à la tête des États ou aspirant à s’y trouver, par la voie « démocratique » ou par le recours à la force, cherchent surtout à se faire leur place au soleil pour leur propre compte, rivalisant souvent à administrer mieux que les autres les affaires de la bourgeoisie impérialiste. Bien qu’ayant changé de forme, la domination impérialiste sur l’Afrique continue de s’exercer. Le principe est simple et c’est encore Loïk Le Floch-Prigent (ex-PDG de Elf-Total) qui en parle le mieux : « À partir du moment où il y a du pétrole, il faut une certaine stabilité. C’est-à-dire qu’on ne peut pas imaginer avoir des coups d’États tous les trois mois » [2].

Aussitôt dit, aussitôt fait. Au Cameroun, qui n’a connu que deux présidents en tout et pour tout depuis son indépendance, Total exploite le pétrole de 1977 à 2010. Au Gabon, le pétrole est découvert en 1956. Depuis 1967, la France y a installé la famille Bongo. Le père, Omar Bongo, ancien sous-officier de l’armée de l’air française, est président du pays durant 41 ans avant que son fils, Ali Bongo, actuel président, ne prenne sa suite en 2009 jusqu’à aujourd’hui. Une longue stabilité politique, obtenue grâce au soutien de la France, qui va jusqu’à intervenir militairement en 1992 pour protéger les installations de Total et ses profits pétroliers faramineux. Le Gabon servira aussi de base arrière pour des interventions militaires françaises visant à déstabiliser la région pour ses intérêts impérialistes, comme lors de la guerre civile au Biafra pour l’accès au pétrole du Nigeria. Au Congo-Brazzaville, Total finira par contrôler de fait 60 % du secteur pétrolier grâce au soutien sans faille que l’État français apporte au dictateur Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis des dizaines d’années. Les exemples de ce type sont légions, illustrant la vaste arène que les pays africains représentent pour les appétits des groupes capitalistes français (ex-Péchiney pour l’aluminium, Areva pour l’uranium, Bolloré pour les installations portuaires et la logistique, Bouygues pour les vastes chantiers de construction, dont de mosquées, etc.). Intérêts sonnants et trébuchants qui sont à l’origine de ces guerres et épisodes tragiques des soixante dernières années, depuis que les États africains sont devenus prétendument indépendants.

Quant aux conditions de travail et de vie des populations africaines, autant dire que les indépendances n’y ont rien changé ou presque. Les aspirations que les peuples avaient placées dans les luttes d’indépendance nationale étaient loin de se résumer à un nationalisme étriqué. Il s’agissait d’obtenir la souveraineté, mais aussi la justice sociale, la dignité de vivre correctement et de mettre fin à des années de domination et d’exploitation brutale – de racisme viscéral aussi, de la part de prétendus représentants de la « civilisation occidentale ». Nombreux furent les partis et leaders indépendantistes qui se donnèrent une étiquette socialiste ou même communiste pour capter ces aspirations. Mais il ne s’agissait en aucun cas de donner un contenu politique différent aux luttes d’indépendance nationale qui aurait permis que ce soient les exploités, les travailleurs et les classes populaires en général qui bénéficient des changements à l’œuvre et qui en soient les acteurs. Pour cela, il aurait fallu tracer une autre perspective politique, qui, loin de se contenter d’un nationalisme même radical, aurait visé à remettre en cause le système d’exploitation capitaliste et le lot d’oppressions qu’il charriait. Il aurait aussi fallu que les partis et syndicats de gauche, en France par exemple, ne soient pas gangrenés par le stalinisme ou la social-démocratie, et qu’ils épaulent leurs « frères et sœurs » ex-colonisés dans leurs luttes. Dont des luttes syndicales d’ampleur comme celle du chemin de fer du Sénégal-Mali relatée par Sembene Ousmane (Les Bouts de bois de dieu). Mais il n’y a pas eu d’aide, si ce n’est individuelle. Les grands partis de gauche ont fait corps avec les intérêts impérialistes et colonialistes.

Chaos social et politique, infernal pour les populations locales, l’exemple de l’actuelle sale guerre française au Mali

L’exemple de la guerre du Cameroun que nous avons relaté ici est significatif. L’impérialisme français n’a reculé devant rien pour garder la main sur son pré-carré africain. Les méthodes employées à l’époque font écho à celles que la France utilise aujourd’hui dans la guerre qu’elle mène au Mali. L’opération Serval, déclenchée en 2013 (devenue Barkhane en 2014), devait stopper l’avancée de groupes djihadistes vers le sud et la capitale Bamako. Sept ans plus tard, la situation est certainement pire. La zone contrôlée ou menacée par les djihadistes s’est agrandie, les massacres multipliés…

Pour la population, la vie a empiré. La pauvreté et la misère, terreau du développement de groupes radicaux se réclamant de l’islam politique, ont continué d’être son lot quotidien. D’où une colère face au pouvoir qui s’est exprimée dans des manifestations. Le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a finalement été renversé par un coup d’État militaire en août dernier. Il était jusque-là le protégé de l’État français, grand ami de François Hollande (IBK a même été vice-président de l’Internationale socialiste !). Il n’a dirigé le pays que pour s’enrichir personnellement et pour légitimer toute la politique militaire de la France au Mali. Sa chute met dans un bel embarras les sphères gouvernementales de l’ex-puissance colonisatrice qui va devoir faire avec et poursuivre ses manœuvres et pressions pour sauvegarder ses intérêts économiques et géopolitiques dans la vaste région du Sahel.

La situation actuelle du Mali vient rappeler à quel point la domination impérialiste sur les pays africains continue d’être l’un des obstacles majeurs à l’émancipation des populations africaines et de l’humanité en général. La classe ouvrière d’Afrique, nouvelle, jeune et combative face à la dureté des conditions d’exploitation, s’est renforcée depuis les indépendances. Le chapitre des luttes d’émancipation nationale appartient aujourd’hui à l’histoire. Une histoire riche en leçons et qui ouvre un chapitre nouveau sur lequel il nous faudra revenir dans ces colonnes, celui des révolutions africaines… prolétariennes !

Vladimir Akali


Quelques lectures pour aller plus loin…

Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971 de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa. Un livre qui est une somme de 1 000 pages, véritable enquête qui plonge dans la guerre du Cameroun ayant conduit à son indépendance et à l’émergence de la Françafrique. Le livre met en lumière un épisode méconnu (pas le seul !) de l’histoire sombre de l’impérialisme français et rend justice au combat de l’UPC et aux milliers de morts que cette guerre a engendrés. Très instructif pour comprendre cette page de l’histoire qui résonne encore jusqu’à aujourd’hui. À lire sans hésiter.

La guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa. La synthèse en 200 pages du livre précédent, écrite par les auteurs eux-mêmes, donc sans risque de déformation. Forcément moins complète mais néanmoins très riche et plus facilement accessible du fait de sa taille plus réduite.

Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation de Mongo Beti. Célèbre auteur camerounais, Mongo Beti, décédé depuis, relate sous une plume acérée la guerre du Cameroun en évoquant ses figures et acteurs principaux dans un style très vivant. On pourra apprécier la fin du livre et sa dénonciation, tout à fait fondée et sarcastique à souhait, de la gauche française et de son silence dès qu’il s’agissait des intérêts français en Afrique.

Parmi les romans, on pourra lire sans retenue tous ceux de Mongo Beti lui-même comme Remember Ruben qui retrace le combat de Ruben Um Nyobe, leader de l’UPC jusqu’à son assassinat en 1958. Plus court mais dans le style saillant qu’on lui connaît, Éric Vuillard a écrit Congo qui s’ouvre sur la conférence de Berlin de 1884 où les grandes puissances coloniales se concertèrent pour se partager l’Afrique. Autre auteur connu, Emmanuel Dongala a écrit Le feu des origines qui retrace les aventures d’un personnage nommé Mandala Mankunku sous la colonisation. Une belle fresque écrite finement qui ouvre sur le combat et les bouleversements qu’ont connus les populations africaines. Enfin on pourra lire aussi L’âge d’or n’est pas pour demain de Ayi Kwei Armah. L’auteur met en scène, dans une très belle écriture, un cheminot après la décolonisation du Ghana et montre toute l’amertume et le ressentiment de la population face à une indépendance n’ayant quasiment rien changé à son sort, si ce n’est pour quelques notables politiques n’hésitant pas à se dire « socialistes » et à se donner une image populaire.


[1Le statut administratif du Cameroun n’est pas directement celui d’une colonie française. Colonie allemande jusqu’à la Première Guerre mondiale, le Kamerun est ensuite divisé en deux parties distinctes par la SDN qui confie respectivement au Royaume-Uni et à la France un mandat pour les administrer. La partie française du Cameroun n’est donc pas légalement une colonie française mais sa situation réelle est tout comme, au point qu’on peut dire sans abuser qu’il fait partie de l’empire colonial français.

[2Contenu d’un entretien accordé par Le Floch-Prigent à Patrick Benquet pour son documentaire « Françafrique » sorti en 2010. Cet entretien est cité dans le livre de Alain Deneault, De quoi Total est-elle la somme ?, 2017, éd. Rue de l’Échiquier.

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