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Front national : merci la gauche !

mercredi 5 avril 2017

Quinze ans après le séisme de l’élection présidentielle de 2002 qui avait vu Jean-Marie Le Pen accéder au second tour, la situation s’est inversée. Ce serait aujourd’hui l’incapacité de Marine Le Pen à se qualifier qui serait une surprise. Décidément, la présence des socialistes au pouvoir donne systématiquement un sacré coup de fouet au parti d’extrême droite.

Sous le vernis, toujours la même extrême droite

Favori des sondages depuis des mois, vainqueur de toutes les élections locales depuis 2012, le Front national est plus que jamais au centre du jeu politique. Dédiabolisé ? En tout cas, comme un poisson dans l’eau dans ces élections, avec une candidate invitée au même titre que les autres dans les débats télévisés sans que personne n’y trouve à redire.

Comme des poissons dans l’eau, la clique dirigeante du parti d’extrême droite, dont le passé pas si lointain et encore bien vivace a été récemment rappelé par deux reportages en prime-time [1]. Un conseiller régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur tient une librairie négationniste où il vend « Mein Kampf » ? Il sera exfiltré du parti. Mais les deux grands argentiers, proches conseillers de Marine Le Pen n’ont pas rompu les liens avec leur jeunesse musclée au GUD [2] ? La candidate le revendique, en s’amusant du passé sulfureux de ténors de la droite républicaine au groupuscule Occident. Et puis les petites frappes néo-nazies se sont lancées dans le « business », ce qui leur vaut procès et mises en examen. Peut-être la meilleure preuve que le FN est devenu un parti bourgeois comme les autres.

Il n’est probablement pas un électeur potentiel de Marine Le Pen que ces « révélations » feront changer d’avis. Personne n’imagine que les cadres de l’appareil du FN sont passionnés par le point de croix. C’est d’ailleurs une vieille tradition de la droite française, et pas seulement du FN, que d’entretenir des liens avec des groupuscules armés. Le SAC gaulliste, les anciens de l’OAS, la clique des ex d’Occident… Sans remonter plus loin.

Le FN parvient depuis trente ans à améliorer ses résultats électoraux en cristallisant les colères contre les partis de gouvernement. Autant dire qu’après cinq ans de Sarkozy puis de Hollande, un boulevard s’ouvre à lui, au point que ses dirigeants rêvent tout haut d’accéder au gouvernement.

Le fantasme du « programme social » du FN

Le FN apparaît comme le parti de ceux qui n’ont jamais gouverné, « ceux qu’on n’a jamais essayé ». C’est cela, et certainement pas un « programme social » fantasmé, qui a permis une certaine percée du FN dans l’électorat populaire. Une percée à relativiser face à des médias prompts à qualifier le parti d’extrême droite de « premier parti ouvrier [3] », mais une percée réelle que les militants ouvriers doivent combattre pied à pied.

Non, Marine Le Pen, comme son père, ne promet rien de bon « aux petits, aux sans-grades [4] ». Sur les 144 mesures de son programme, seule une poignée concerne les conditions de vie des salariés, et encore elles impliquent toutes un financement par l’État ou les assurances sociales, sans jamais faire payer le patronat. On retiendra « l’abrogation de la loi travail », coup de chapeau tardif au rejet massif de cette mesure dans les classes populaires… qui ne fera pas oublier que pendant le mouvement du printemps, le FN trouvait d’abord que la loi El Khomri « n’allait pas assez loin », avant de dénoncer les travailleurs en lutte et de demander l’interdiction des manifestations.

Un parti bien bourgeois

Toutes les mesures du programme de Marine Le Pen pour l’emploi ou le pouvoir d’achat sont des mesures pro-patronales ou anti-immigrés. Allègements de charges pour les entreprises, grandes et petites, pérennisation du crédit d’impôt CICE – le pacte de compétitivité de Hollande. De l’autre côté, taxe sur l’embauche de salariés étrangers – dans le privé puisque la fonction publique pratique déjà honteusement la « préférence nationale » –, immigration zéro « légale ou illégale (sic)  », etc.

Cette extrême droite nationaliste et raciste qui se sent pousser des ailes suite à l’élection de Trump est sur son terrain lorsqu’elle revendique le protectionnisme économique et la sortie de l’euro [5].

En fait, le FN tient à montrer patte blanche face aux investisseurs. Le Monde daté du 20 mars relate ainsi les entrevues nombreuses et assumées de Bernard Monot, le « stratégiste économique » du FN avec des fonds d’investissements anglo-saxons comme BlackRock, premier gestionnaire d’actifs dans le monde, UBS ou Barclays. Il leur annonce la couleur : « Je suis un homme de marchés. Nous voulons négocier, pas spolier. Notre souhait est de rassurer les marchés financiers. »

Les fameux marchés n’ont pas l’air d’être trop craintifs. La bourse, qui en France bat des records historiques, avait aussi salué l’élection de Trump, bien qu’après quelques hésitations. Le programme du FN a en effet de quoi les rassurer, comme programme de combat pour un gouvernement autoritaire au service du patronat. L’élection éventuelle de Marine Le Pen resterait pour la bourgeoisie un saut dans l’inconnu, mais dont elle peut espérer tirer parti et profit.

Barrer la route au FN… avec ceux qui reprennent son programme ?

Nous n’en sommes pas là. Mais déjà le FN polarise l’élection sans même avoir besoin de trop se mettre en avant. La droite, dans une mauvaise passe due aux affaires, mais aussi bien en peine de se différencier de Hollande qui a appliqué son programme sur tous les sujets qui comptent, est lancée dans une course-poursuite avec le FN. En témoignent les hypocrites clauses Molière passées dans les régions, ou les inquiétants soutiens catholiques intégristes de François Fillon.

Le Parti socialiste, avec le gouvernement Hollande-Valls, avait déjà bien assumé sa mue sécuritaire et anti-immigrés. La déchéance de nationalité a été le symbole de cette assimilation progressive des propositions de l’extrême droite – même si cette pilule symbolique était trop dure à avaler. Et ceux qui ont mis en œuvre cette politique osent aujourd’hui sans rire faire la morale républicaine et appeler à barrer la route au FN, en votant Macron dès le premier tour et pour n’importe qui, même Fillon, au second…

Même la gauche dite radicale – puisque c’est le label que les journalistes décernent aujourd’hui à Mélenchon – a changé de discours. D’abord en reprenant à son compte le nationalisme sur le terrain économique, puis en récusant les mots d’ordre agités hier : plus question de liberté de circulation ou de régularisation des sans-papiers. Au contraire, on nous ressert les plats du « produisons français » ou de l’impossibilité d’accueillir « toute la misère du monde. » Il ne s’agit pas de comparer les électeurs de la France insoumise à ceux du FN. Mais les glissements de son candidat sur ce terrain doivent les mettre en garde, car ils sont représentatifs du type de force politique que Mélenchon cherche à construire.

Combattre les idées de l’extrême droite

Il n’y a pas de raccourci électoral pour combattre l’influence du FN. Toute récupération de ses thématiques renforce sa crédibilité. Et toutes les prétendues stratégies de vote « utile » ou de « front républicain », nourrissent sa propagande en lui permettant de se positionner frauduleusement comme ennemi du système.

Les scores électoraux du FN dans les classes populaires se nourrissent de la violence des attaques patronales, de la servilité de la gauche à les mettre en œuvre, et de l’absence de perspectives de lutte de classe pour y résister. Le vrai combat contre le FN consiste à réimplanter ces idées de lutte de classe et dénoncer ceux qui s’y opposent ou la dévoient, qu’ils soient d’extrême droite, de droite ou de gauche.

25 mars 2017, Raphaël PRESTON


[1Envoyé spécial du 16 mars : « Front National, les hommes de l’ombre » sur France 2 et « La face cachée du FN », reportage du 15 mars sur C8.

[2Groupe union défense, un groupuscule néo-nazi violent actif dans les années 80 et 90 à l’université parisienne d’Assas.

[3Voir les articles sur le FN dans Convergences révolutionnaires no 93 et 94.

[4Le Pen en février 2007.

[5Voir l’article sur le protectionnisme dans ce numéro et le dossier sur l’Union européenne dans le numéro 110.

Mots-clés Front national , Marine Le Pen , Politique
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