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Colombie

L’accord de paix avec les Farc : quelles perspectives ?

jeudi 8 décembre 2016

Le 2 octobre 2016, l’accord de paix conclu par le gouvernement colombien après six ans de négociations avec les Farc était rejeté par une courte majorité de 50,2 % de non contre 49,8 % de oui. Mais l’échec de ce référendum était aussitôt suivi de nouvelles négociations et d’un remaniement de l’accord.

La guérilla des Farc – Forces armées révolutionnaires de Colombie – est née dans les années soixante, à la suite d’un coup d’État militaire et d’une guerre civile qui fit entre 100 000 et 300 000 morts. Cette guerre civile fut suivie d’une répression féroce contre le mouvement paysan qui avait réussi à s’emparer de régions entières. C’est la destruction par l’armée de ces zones autonomes qui donna naissance à la guérilla, sous la conduite de militants du Parti communiste colombien, avec pour objectif une réforme agraire mettant fin à la domination de propriétaires terriens se comportant comme des seigneurs féodaux.

Après vingt ans de combats, l’armée ne réussit pas à venir à bout de la guérilla, car celle-ci disposait d’une véritable base sociale dans la paysannerie et opérait dans des régions accidentées couvertes d’une jungle difficile d’accès. De leur côté, les dirigeants de la guérilla comprirent qu’ils ne parviendraient pas non plus à vaincre l’armée et à prendre le pouvoir. De premiers pourparlers suivis d’un accord de paix eurent lieu en 1984. Au terme de ces accords, la guérilla se transforma en mouvement légal : l’Union patriotique. Mais les bandes armées des grands propriétaires et des narcotrafiquants se livrèrent alors à une véritable extermination des cadres de l’UP, avec la complaisance de l’armée. Entre 1984 et 1994, des milliers de militants furent assassinés, dont neuf députés. La répression frappa d’ailleurs indistinctement les membres des Farc et tous ceux qui dérangeaient le pouvoir : syndicalistes, journalistes, politiciens. Selon Amnesty International, 12 000 syndicalistes furent assassinés entre 1986 et 2012. Les Farc reprirent donc le maquis et le combat.

Une guerre sans merci, mais sans victoire décisive

Le prédécesseur de l’actuel président Juan Manuel Santos, Álvaro Uribe, élu en 2002 et réélu en 2006, engagea une campagne particulièrement violente contre les Farc. Il déplaça près de trois millions de paysans pour tenter de couper les guérilleros de leur base sociale et n’hésita pas à bombarder des camps des Farc installés sur les territoires du Venezuela et de l’Équateur, provoquant des crises diplomatiques. Cette guerre sans merci parvint semble-t-il à affaiblir la guérilla, en tuant notamment plusieurs de ses chefs, mais pas à l’écraser. En 2010, Santos, qui fut pourtant lui-même ministre de la Défense nationale d’Uribe, donc pleinement responsable de cette politique, engageait des pourparlers avec les Farc à La Havane. C’est au terme de ces longues négociations qu’un projet d’accord était signé et soumis par référendum aux électeurs colombiens.

Ce projet d’accord prévoyait pour l’essentiel le désarmement des Farc et leur transformation en un parti légal disposant d’un minimum de cinq sièges de députés, une réforme agraire et la fin de la culture de la coca dans les zones tenues par les Farc, avec la promesse pour les paysans de sources alternatives de revenus, de crédits et de services sociaux. Une amnistie générale protégerait les combattants des Farc, seuls des « crimes graves » seraient sanctionnés.

L’ex-président Uribe et une grande partie des médias ont mené une campagne acharnée contre cet accord présenté comme trop favorable aux Farc. L’Église catholique, très influente, l’a combattu elle aussi en prenant pour prétexte un paragraphe préconisant l’égalité des sexes, orientations sexuelles et ethnies, prétendant qu’il mettait la famille en danger. Les forces les plus réactionnaires, la droite, l’Église et l’ex-président Uribe ont avant tout voulu mettre Santos en échec et montrer que rien ne pouvait se faire sans eux. Mais ils semblent prêts à se satisfaire de cette humiliation de l’homme qui a reçu le prix Nobel de la paix. Le nouvel accord ne prévoit pour l’essentiel que des peines plus sévères pour les combattants qui se seraient rendus coupables de crimes et l’abandon du principe d’une juridiction d’arbitrage constituée de magistrats non colombiens. En le faisant ratifier par le Parlement, et non plus par référendum, ils évitent un nouveau et long débat national. En parallèle, d’autres négociations sont engagées avec l’ELN (Armée de libération nationale), autre guérilla née en 1964, qui se revendique du guevarisme et compte entre 1 500 et 2 000 combattants.

Une guerre localisée qui ne concerne plus la majeure partie de la population

La Colombie est passée en quelques décennies d’une économie agraire à une urbanisation généralisée : sur 48 millions d’habitants, plus de 75 % vivent aujourd’hui dans des zones urbaines. Bogota, la capitale, compte à elle seule huit millions d’habitants, Medellín et Cali 2,5 millions chacune. Le pays a connu une très forte croissance économique, en particulier grâce à ses richesses minières (charbon, nickel, or), à ses hydrocarbures et à la partie moderne de son agriculture, qui en fait le quatrième de l’Amérique latine par son PIB. Cette croissance a été terriblement inégalitaire, puisque 20 % de la population possède plus de 60 % des richesses, mais elle a néanmoins permis le développement d’une importante petite bourgeoisie. Dans ce contexte, les Farc se sont marginalisées : que pèsent ses 6 000 combattants à côté d’une classe ouvrière urbaine et périurbaine qui compte aujourd’hui entre dix et quinze millions de salariés [1] ? Même si les Farc ont des relais en milieu urbain et des sympathisants parmi les travailleurs et les étudiants, une grande partie de la population urbaine ne se sent pas concernée par cet interminable conflit qui n’a pas d’impact direct sur sa vie quotidienne.

Ces guérillas ont trouvé leur légitimité dans la défense de paysans exploités et réprimés férocement, et on ne peut les mettre sur le même pied que les bandes de narcotrafiquants, les milices paramilitaires des propriétaires et l’armée colombienne. Mais, même si elles se revendiquaient du socialisme, elles ont constitué des appareils militaro-étatiques extérieurs à la majorité de la population laborieuse à qui elles ne pouvaient offrir de perspectives. La classe ouvrière colombienne a pourtant fait la preuve de sa combativité malgré la répression qu’elle subit elle aussi au cours de nombreuses grèves, manifestations et révoltes comme celle, massive, d’août-septembre 2013 qui a réuni mineurs, ouvriers, enseignants, personnels médicaux, étudiants et transporteurs sur leurs propres revendications. L’heure est à la construction d’un parti capable de représenter ses intérêts et de proposer une alternative à la société colombienne. En dépit de leur courage et de leurs sacrifices, les Farc appartiennent au passé. Reste à savoir si parmi leurs militants, qui se réclament du communisme et de la révolution, certains auront la volonté de participer à la construction de l’indispensable parti ouvrier. On ne peut que le souhaiter, mais cela exigerait une rupture avec des conceptions politiques marquées par l’héritage stalinien et nationaliste du PC colombien.

19 novembre 2016, G. R.


[1La Colombie compte 20 millions de personnes actives. 18,7 % est employé dans l’industrie et 58,5 % dans les services, moins de 10 % dans l’agriculture.

Mots-clés Colombie , Monde