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Gare Saint-Lazare (Paris)

Chemin de fer, moral d’acier… ou feuilles mortes ?

jeudi 8 décembre 2016

Début novembre, un document d’un chef fichant tous les agents travaillant dans le service dit du départ des trains, tombe dans les mains de la CGT, après avoir fuité quelques jours auparavant. « Gréviste » ou non, « syndiqué » ou non, « leader » ou « suiveur »… voire « racaille » ! La direction y affiche ses critères d’appréciation des cheminots. Un vrai manuel au cas pas cas, pour tester la résistance des uns et des autres… pour faire passer des « réorganisations » (traduire par suppressions de postes) qui tombent en cascade. Quant aux appréciations sur le travail, elles détonnent. Un agent est par exemple décrit comme « chiant niveau sécu »« parce qu’il est calé » ! C’est vrai que respecter les règles de sécurité à la SNCF fait perdre du temps ! La CGT demande des explications au plus haut niveau hiérarchique de Saint-Lazare, celui de la Région et sort un tract quelques jours plus tard avec quelques passages choisis, en préservant l’anonymat.

Ces « appréciations » ne laissent personne indifférent. Partout, tous les services de la gare en parlent et évidemment plus encore les principaux concernés. La direction choisit de rejeter toute la faute sur le petit chef (mis en congé forcé dès la sortie du tract), de même que c’est le plus petit niveau de direction qui est chargé d’assumer seul le face à face avec les agents. « Nous sommes désolés », « une enquête est en cours pour sanctionner l’encadrant », mais, rassurez-vous, « ces fiches n’ont jamais servi ». À d’autres ! Personne n’y croit et tout le monde le fait savoir. Bien des agents du chantier ont envie de faire quelque chose, de ne pas laisser la direction se défiler sur une telle chose.

Colère sans préavis !

Rendez-vous est donné le midi du lundi 21 novembre, au changement de service. Ceux qui arrivent pour prendre le boulot annoncent d’emblée qu’ils n’ont pas l’intention de le faire tant qu’on ne leur aura pas donné accès aux fameuses annotations et tant qu’on n’entendra pas leurs revendications. Pour cela, ils demandent à avoir très rapidement avec la direction une discussion ouverte à tous les agents. Aussitôt des collègues du service voisin, le Centre opérationnel de l’escale (COE, là où les infos sont dispatchées aux agents sur le terrain), décident de débrayer aussi. L’encadrement se presse. Un « droit d’alerte » avait été posé un peu plus tôt par les délégués CHSCT, et c’est donc un chef assez haut placé qui se présente sur le chantier, en tant que président du Comité d’hygiène. Après avoir dit qu’il ferait son nécessaire pour donner un planning pour que chacun puisse voir les annotations, il déclare avoir mené son enquête et conclut que tout le monde doit reprendre le travail.

Sauf que ni le planning ni les modalités proposées ne conviennent. La direction refuse l’idée d’une discussion largement ouverte, concède tout juste un « groupe de travail » de cinq agents une semaine plus tard. La tentative d’intimidation passe mal et tout le monde est déterminé à tenir bon : personne ne reprend donc le travail.

Pendant ce temps, des chefs descendent de tous les étages pour aller donner le départ des trains (des procédures d’une certaine complexité)… Tant bien que mal et plutôt mal, en réalité. Les stat’ de ponctualité dont les chefs nous rabâchent d’habitude les oreilles s’effondrent (passent de 80 % à 15 % ou 20 %), sous l’effet de leur propre talent. C’est pas un métier facile…

Oui, nous sommes tous des leaders !

Nous décidons d’aller faire le tour de tous les services pour expliquer la situation et proposer, pourquoi pas, de se joindre à nous. Dans les locaux des conducteurs, des contrôleurs, des agents d’accueil ou encore de la manœuvre, partout les réactions d’encouragement sont nombreuses, même si les collègues ne débrayent pas à leur tour.

La direction de son côté s’obstine et réapporte… ses « mises en demeure » de reprendre le travail. C’est pris comme une provocation. Qui déclenche aussitôt un nouveau tour des services, où cette fois d’autres acceptent de nous rejoindre dans notre local pour marquer le coup et discuter des suites ensemble.

La journée est déjà bien avancée. Avant l’arrivée de l’équipe de nuit, un dirigeant tente une dernière approche… sans plus de succès. C’est donc à toute l’équipe de nuit du départ des trains et du COE qu’il vient remettre sa petite pile de mises en demeure. Le débrayage tient bon.

Le lendemain, mardi 22 novembre, l’équipe de matinée imite celle de la veille et de la nuit, encore une fois accompagnée par des collègues du même service voisin. Un tract est fait, puis distribué sur tous les services de la gare, qui rétorque à la direction, en conclusion, « nous sommes tous des leaders » ! Mêmes réactions d’encouragements, et le cercle s’élargit de ceux qui parlent de nous imiter.

Nouvelle étape où le directeur d’établissement (DET, un grade supérieur !) nous fait l’honneur de sa présence, accompagné d’un alter ego. Le DET se cachait depuis plus d’une semaine… mais là, il doit bien descendre de ses étages. Sa seule et unique préoccupation est de nous faire reprendre le travail. Il « comprend », mais il faut laisser les « enquêteurs » de la direction faire leur travail. Ils sont où, au juste, ces enquêteurs ? Il ne sait pas trop, personne ne les a vus, mais puisqu’on vous dit qu’ils enquêtent ! La fermeté est affichée mais le comparse qui avait amené avec lui la pile de « mises en demeure » repart avec ça sous le bras, comme les cheminots en colère le lui demandent.

C’est juste après son départ qu’arrive une équipe d’agents « mobiles » (qui travaillent sur plusieurs gares à la fois), dépêchés sur place d’urgence pour envoyer les trains à notre place. Dès qu’on leur explique pourquoi ils ont été appelés, ils décident de faire demi-tour. Nouvelle tentative ratée de la direction. Nouvelle marque de solidarité entre nous.

En préparant la suite…

Au quartier général de notre colère, on décide finalement d’accepter la date du « groupe de travail » à condition que ledit groupe soit élargi à toutes et tous les collègues qui le souhaitent. La direction cède tout de suite. Et tout le monde se dit déjà prêt à préparer cette réunion, à lister les revendications, à faire à nouveau le tour de tous les services…

Le travail ne reprendra véritablement qu’à partir de la fin d’après-midi, une fois que les collègues de l’équipe de soirée auront pu voir leurs annotations. La direction avait eu le temps de supprimer tous les trains de Cormeilles et une bonne partie de ceux de Cergy pour ne pas surcharger des chefs déjà bien coulés sur le terrain… elle avait même eu le temps de se trouver une fausse excuse : les feuilles mortes. Cause des perturbations annoncée par la sono en gare ! Et signe que les temps sont aussi aux coups de colère, le lendemain même, c’était au tour des conducteurs de « poser leur sac », c’est-à-dire d’arrêter le travail sans respecter les règles de préavis.

Cette succession de réactions, qui en appelle d’autres, est la meilleure réponse à cette direction qui joue les gros bras pour tenter de faire accepter sa politique. Mais la pire crainte que pourrait avoir nos dirigeants, c’est bien que ces réactions se fassent ensemble. Gageons que la prochaine fois, tous les services soumis au même étau managérial, répondront d’une seule voix : tous leaders, tous grévistes !

26 novembre 2016, Louis MARIUS

Mots-clés Entreprises , Fichage , SNCF
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