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Algérie : Derrière la querelle Bouteflika-Benflis

lundi 12 janvier 2004

En ces derniers jours de l’année l’annulation par la justice des résultats du 8e congrès du FLN, tenu en mars 2003, est le dernier rebondissement en date d’une période d’activité politicienne fébrile et presque étonnante ! En tout cas pour l’Algérie qui n’avait guère connue jusque là une situation où plusieurs candidats aux élections présidentielles semblaient avoir des chances réelles de l’emporter.

Depuis un an la dictature des militaires aurait-elle faibli ?

La démocratie ?

Il y a eu d’abord l’annonce presque officielle que le président Abdelaziz Bouteflika comptait se présenter pour un nouveau mandat. Puis, première surprise, la candidature rivale de Ali Benflis, jusqu’alors premier ministre. Son congédiement par le président et son remplacement par Ahmed Ouyahia, chef du RND (parti lié à l’armée et que l’on a appelé parfois le FLN bis tellement il est difficile de distinguer politiquement les deux partis) semblait certes alors suivre de soi. Mais elle a déclenché une véritable guerre au sein de toutes les « organisations de masse » du régime. Et dans le FLN, contrôlé depuis ce 8e congrès par les pro-Benflis, la lutte s’est exacerbée, Bouteflika suscitant un mouvement pour le « redressement » du parti et la création d’un appareil rival. Chaque organisation satellite, chouhada (familles des anciens combattants), femmes, jeunes, UGTA (syndicat) s’est ainsi scindée entre pro-Benflis (le FLN officiel) et pro-Bouteflika (les « redresseurs » du FLN).

Le FLN, ancien parti unique, restant le principal parti lié à la hiérarchie militaire et administrative de l’Etat mais se présentant désormais comme un parti d’opposition, a vu son congrès extraordinaire qui devait officialiser la candidature Benflis interdit par Bouteflika (le congrès s’est tenu quand même, le 3 octobre et a plébiscité Benflis). Le président avait, il est vrai, un peu violé les règles de la justice. C’est du moins ce que lui ont reproché plusieurs hauts magistrats de la cour d’Alger, rompant une tradition bien établie de soutien inconditionnel au pouvoir en place. Puis des ministres du FLN ont quitté le gouvernement et tous ceux qui n’avaient pas pris parti pour Bouteflika en ont été renvoyés. La décision de la cour d’appel d’Alger, qui permet au gouvernement de bloquer le fonctionnement du FLN vient couronner l’offensive de Bouteflika. On attend la contre-offensive de Benflis.

Toujours les militaires

Il est sans doute difficile pour le FLN, ancien parti unique et toujours lié au pouvoir, de rentrer dans la peau d’un parti d’opposition. Les députés du FLN ne sont pas devenus du jour au lendemain des adversaires de la politique qu’ils menaient jusque là avec Bouteflika. En octobre encore, ils ont voté toutes les ordonnances du président (zones franches, commerce extérieur, concurrence, organisation, éducation, formation, monnaie, crédit, catastrophes naturelles).

En fait la classe dirigeante qui veut apparaître démocratique aux yeux des dirigeants occidentaux n’est pas forcément gênée par cette double candidature. L’élection sans opposition d’un Bouteflika serait plutôt apparue comme une désignation par la haute hiérarchie de l’armée. Le cafouillage actuel semble donc surtout le fait de Bouteflika qui défend sa carrière et ses intérêts particuliers. Pour leur part les généraux ont déclaré qu’ils n’interviendraient pas dans cette élection (ce qui sera certainement très relatif évidemment). Entre Bouteflika et Benflis, entre le RND et le FLN, ils n’ont effectivement rien à craindre. C’est blanche chéchia et chéchia blanche ! Quant au FFS, un des rares partis qui n’est pas l’émanation directe du pouvoir militaire, son dirigeant Aït Ahmed, vient de déclarer dans un message au comité central du FFS du 17 juillet 2003 qu’en Kabylie, le FFS « a réussi à transformer une mobilisation spontanée qui était au bord de l’émeute généralisée en manifestations quotidiennes pacifiques ». Rien à redouter non plus de ce côté !

Des choix à faire

Mais si le choix d’un futur président de la République est un souci mineur, la classe dirigeante algérienne et les militaires se trouvent aujourd’hui devant d’autres problèmes plus ardus. Quelle place faire aux dirigeants islamistes dans le pouvoir politique ? Comment faire accepter à la population la privatisation des principales richesses du pays ? Comment choisir entre les deux impérialismes candidats à parrainer l’Algérie, la France et les Etats-Unis ? Autant de choix à faire et donc d’occasions de division, alors que n’existe dans cette classe dirigeante ni tradition ni procédure démocratique pour trancher des problèmes, ni en son sein, ni devant le pays tout entier. D’où les inquiétudes devant les risques de nouveaux affrontements armés ou coups de force.

L’affaire Khalifa, du nom d’un héritier fortuné qui a affiché ses millions, sa banque, sa compagnie d’aviation et sa future chaîne de télé, garde bien des zones d’ombre.. En tout cas, terminée par un krach dans lequel s’est englouti l’argent de nombre de sommités algériennes mais aussi celui de caisses de retraites ou de petits épargnants, sans compter les salariés licenciés ou qui risquent de l’être, elle a montré que la population algérienne réagit fort vivement devant l’étalage des fortunes et le pillage des biens de l’Etat.

Les militants islamistes repentis tiennent de nouveau le haut du pavé. Leurs dirigeants (Abassi Madani et Ali Belhadj) ont été libérés, même s’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres hommes politiques. En tout cas là non plus, le pouvoir qui prétendait passer l’éponge sur tous les crimes de la guerre civile, ceux des islamistes mais aussi ceux pas moins ignobles des militaires, n’a pas dupé la population.

Face à Bouteflika, le candidat de Chirac, son chef d’état major, le général Mohamed Lamari apparaît proche des Américains, signant par exemple en septembre 2003 un accord pour une station d’écoute étatsunienne à Tamanrasset, participant à des manœuvres communes avec la 6e flotte en Méditerranée et envoyant les officiers algériens se former aux USA. A qui donc l’Algérie va-t-elle faire allégeance ?

Des combats à mener

Loin des problèmes de la classe dirigeante, la classe ouvrière frappée par le chômage et la misère a mille raisons d’entrer en lutte. Les cheminots ont ouvert la voie. Les ouvriers de l’usine de véhicules industriels de Rouiba ont pris la suite. Dès la rentrée scolaire, les enseignants ont démarré une grève qui d’Alger s’est étendue à une bonne partie du pays. Une coordination des enseignants des lycées d’Alger, la CLA, a d’abord donné du fil à retordre au pouvoir, habitué à jouer tranquillement avec l’UGTA. S’est joint ensuite au mouvement un syndicat autonome, le CNAPEST. Les syndicats autonomes tolérés mais pas reconnus, le gouvernement a d’abord refusé de négocier avec un autre interlocuteur que l’UGTA même si celle-ci combattait de fait la grève. Finalement le pouvoir a accepté une augmentation de salaire de 5000 dinars à condition que les enseignants reprennent d’abord le travail puis il a menacé les grévistes de licenciement. La grève s’est maintenue malgré arrestations et menaces de radiations puis s’est effilochée. Mais les enseignants menacent de repartir en grève si le licenciement de 17 leaders est maintenu.

Pour le moment, la Kabylie s’est calmée sous les coups de la répression et du fait du manque de perspectives et des division de ses leaders. Les révoltes ont toujours lieu dans le pays mais de façon locale et épisodique.

Délestages d’électricité, chômage, misère, épidémies de choléra ou de conjonctivite et bien d’autres malheurs frappent les plus démunis. Ceux qui ont subi inondations et tremblements de terre attendent l’hiver dans des conditions toujours précaires. Et tout cela alors que les annonces de rentrées d’argent liées au gaz et au pétrole sont au plus haut ! Il n’y a vraiment qu’une seule chose que cette classe dirigeante corrompue n’aura pas volé : la révolution sociale !

2 janvier 2004,

R.P.

Mots-clés Algérie , Monde