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Rapport CHARPIN : Des chiffres et des mensonges

mardi 1er juin 1999

Michel Rocard (dans son « livre blanc » publié en 1991) nous avait déjà prévenu : notre système de retraite est au bord de la catastrophe et c’est inéluctable si aucune mesure « courageuse » n’est prise rapidement. Lionel Jospin se prépare aujourd’hui à récidiver, en s’appuyant sur des experts ou prétendus tels chargés de nous prédire un avenir des plus sombres.

Le rapport Charpin (lui-même commissaire au plan) dresse un constat apparemment incontestable : à l’horizon 2040 (puisqu’il faut voir loin…), la masse salariale sur laquelle seront prélevées les cotisations devrait certes être multipliée par deux, mais les dépenses de retraite devraient de leur côté être multipliées par trois. Un tel écart ne pourra qu’entraîner un déficit impossible à gérer. Le déficit annuel de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse devrait être à la fin de cette période de l’ordre de 380 ou 406 milliards de francs selon les hypothèses retenues. Pour honorer les pensions de ses fonctionnaires, l’Etat devrait dépenser 281 milliards de francs supplémentaires.

Des statistiques en trompe l’œil

Une telle catastrophe – chiffrée au milliard près – devrait donc nous laisser sans voix.

Comme toujours en matière de statistiques, il y a l’art et la manière de les présenter. On peut certes affirmer que le coût des pensions des fonctionnaires devrait passer de 172 milliards de francs en 1998 à 453 milliards en 2040, mais il faut alors préciser que cela ne représente qu’une progression des dépenses de 2,3 % par an. De la même façon, les dépenses de retraite dans le privé devraient être multipliées par trois mais cela correspond à une progression annuelle de 2,8 %. Cela fait tout de suite moins spectaculaire.

Quant aux présupposés et à la façon dont ces statistiques ont été fabriquées, il y a aussi de quoi émettre quelques doutes.

Un rapport bien orienté

Pour évaluer le coût des retraites dans l’avenir, il faut bien partir d’un certain nombre d’hypothèses. Celles retenues par Charpin dans le domaine économique sont éloquentes.

Il faudrait ainsi admettre que dans les 40 années qui viennent, nous devrions continuer à supporter un chômage considérable considérable (de 9 ou 6 % selon les hypothèses retenues), des effectifs réduits dans la fonction publique (de 10 % environ ), une croissance de l’économie et de la productivité faible (de l’ordre de 1,25 % par an pour la productivité, soit la moitié du taux observé durant les années 1950-60), et naturellement un partage de la valeur ajoutée qui resterait défavorable aux salaires puisqu’il faut bien soigner les profits !

En guise d’expertise, ce rapport commandé par Jospin nous demande tout simplement d’entériner les régressions que nous avons déjà subies relatives aux retraites, avant d’en subir d’autres.

Que des luttes sociales importantes se développent, et que nous arrivions ainsi à imposer d’autres choix, comme celui par exemple de prendre sur les profits pour contraindre les patrons à embaucher et à augmenter les salaires, et il n’en faudrait pas davantage pour que les belles projections imaginées par les Charpin, Jospin et autres successeurs de Juppé soient irrémédiablement condamnées à une retraite anticipée !

Les « vieux » sur le banc des accusés

Une question reste pourtant en suspens : celle concernant les problèmes démographiques. Il semble difficile d’ignorer qu’il y aura de toute façon de moins en moins de jeunes et de plus en plus de vieux. Un épouvantail que Jospin – et bien d’autres avant lui – agite volontiers : « Chacun doit être convaincu du choc démographique qui est devant nous » (Le Monde daté du 7 janvier 1999).

De quoi s’agit-il ? Selon certaines prévisions, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans devrait augmenter de 10 millions en 2040, alors que celui des moins de 20 ans devrait diminuer de 1,2 millions. Avec la diminution de la natalité, l’allongement de l’espérance de vie et surtout l’arrivée massive à l’âge de la retraite de la génération du baby-boom à partir de 2005, le rapport entre le nombre de cotisants et de retraités devrait donc connaître une dégradation sensible. Selon les sources utilisées par le rapport Charpin, il y avait trois cotisants pour un retraité en 1970. Il devrait y en avoir moins de deux dès 2010 et 1,6 en 2040.

Un chiffre qu’il convient immédiatement de relativiser. D’abord parce que cette évolution n’est pas entièrement nouvelle : de 1973 à 1996, le nombre de retraités bénéficiaires du régime général d’assurance vieillesse a augmenté de 4 % par an, alors que les effectifs de cotisants ont été presque stationnaires (+ 0,3 % par an). Sans que le système ait jusqu’à présent explosé… Ensuite parce que ces projections ne sont valables que dans la mesure où on suppose que la fécondité et le solde migratoire resteront au niveau actuel. Il est vrai qu’avec un avenir aussi sombre, les bébés virtuels et les futurs immigrés auront de quoi hésiter…

A supposer que ce genre de calcul soit le seul pertinent, et à supposer que l’on veuille bien rester sagement dans le cadre du système capitaliste avec ce qu’il suppose de gâchis et d’injustice, il n’y pas de quoi crier au casse cou. Le rapport entre le nombre de cotisants et celui des retraités risque de se dégrader davantage ? Il suffit pour compenser que la productivité des actifs-cotisants progresse d’au moins autant. Sur 40 ans, il faudrait que la productivité progresse de 1,4 % par an en moyenne (à condition que tous les gains de productivité soient entièrement redistribués en faveur des retraites). Ce n’est pas énorme : depuis le début du 20° siècle, la productivité a augmenté en moyenne de 2 % par an, avec des périodes de forte croissance économique mais aussi de crises et de guerres. En restant à 2 %, il y aurait donc encore de la marge pour augmenter le pouvoir d’achat des salariés et diminuer le temps de travail…sans même toucher à la part de richesses accaparée par les capitalistes !

La montagne accouche d’une souris

Au milieu de toutes ces statistiques, et de toutes ces projections basées sur un grand nombre d’hypothèses plus ou moins vérifiables, quel chiffre retenir ?

D’après Charpin, la part des retraites dans le PIB devrait finalement augmenter de 11,6 % à 15,7 ou 16,6 % selon les scénarios retenus. La belle affaire dans une société où l’espérance de vie s’est considérablement allongée ! Serons-nous incapables de supporter un tel « choc » ?

On l’a vu, une progression très moyenne de la productivité comme des richesses produites [1] devraient suffire pour faire face à ces nouvelles dépenses, même dans le cas où en suivant les hypothèses les plus pessimistes, le rapport entre le nombre d’actifs-cotisants et celui des retraités devrait se dégrader sensiblement. Car si 16,6 % c’est plus que 11,6 %, ces taux s’appliquent à un PIB qui aura doublé sur la période. Aujourd’hui, sur 100 de richesses produites dans l’année, 11,6 servent aux pensions. En 2040, d’après les hypothèses du rapport, sur 200 de richesses produites, 33,2 F seront utilisées pour les pensions. Ce qui laisse quand même 164,8 pour les actifs, contre 88,4 aujourd’hui. Franchement, la situation des actifs en 2040 sera bien meilleure que celle d’aujourd’hui, si l’on s’en tenait aux données du rapport !

De plus, il convient de rappeler que le nombre d’actifs continuera à augmenter jusqu’en 2015 [2] et qu’il suffira d’ouvrir un peu les frontières à l’immigration pour que ce chiffre ne diminue pas par la suite. N’en déplaise à tous ces politiciens réactionnaires (et ils ne sont pas qu’à droite !) qui trouvent qu’on ne fait pas assez de gosses mais qu’il y a trop d’immigrés !

Une question de partage des richesses

Cela dit, il y aurait quelque chose de faux à vouloir absolument argumenter sur la base des chiffres avancés par le rapport Charpin, du moins si on en restait là. Ce serait admettre par avance que nous serions condamnés à rester sagement dans le cadre du système capitaliste, un système qui est à la fois profondément inégalitaire et irrationnel.

Toutes les projections imaginées par Charpin reposent sur l’idée que le chômage existe et qu’il n’y a pas grand chose à faire, et que les profits des capitalistes doivent être maintenus à leur plus haut niveau.

S’il y a un problème incontournable, c’est pourtant bien celui du partage des richesses. Quelle sera la part des richesses appropriées par le Capital et celle qui le sera par le Travail (les travailleurs et leur famille, en activité ou non) ? La réponse est comme chacun le sait une question de rapport de force. Elle est politique. Et dans ce domaine, aucune statistique économique ou démographique ne pourra nous aider à trouver l’ébauche d’une solution.

D’autant que ces statistiques sont parfaitement illusoires. De quoi sera fait l’avenir dans 40 ans ? On peut d’autant moins y répondre que nous n’en savons rien pour les mois qui viennent. Aurons nous droit à un coup de Trafalgar à la bourse, un an ou deux ans après le début de la crise asiatique ? A un nouveau rebondissement dans la crise des Balkans ? Une crise sociale généralisée, une situation révolutionnaire remettant en cause les bases du système ? Personne n’est en mesure de le dire. Mais une chose est sûre : dans ce cas, nous n’aurons plus grand chose à faire des savantes prédictions de Charpin.

Alors raison de plus poup ne rien céder et nous préparer à des batailles autrement plus vitales que celle des chiffres pour changer toute la société !

Raoul GLABER


Le prétendu « Choc démographique »

D’un point de vue démographique (en laissant de côté les incertitudes liées à la crise économique et les injustices inhérentes au système), l’évolution prévisible n’est pas catastrophique, loin s’en faut.

Quel est le problème ? Il est de savoir si dans l’avenir, la population active sera en mesure ou non de créer suffisamment de richesses pour permettre à toute la société de vivre. Toute la société, c’est à dire aussi bien les actifs (ayant ou non un emploi) que l’ensemble des inactifs (les jeunes scolarisés aussi bien que les vieux retraités). De ce point de vue, la comparaison entre le nombre d’actifs-cotisants et le nombre de retraités n’est donc pas la plus pertinente. Il vaut bien mieux comparer l’ensemble des actifs à l’ensemble des inactifs.

Or on peut remarquer que dans un passé proche, le rapport entre la population active et la population totale s’était déjà sensiblement dégradée, puisque la part des actifs dans la population totale était de 47,7 % en 1946 et de 42,9 % en 1962. Il y avait une raison à cela : une forte augmentation du nombre de jeunes (la génération du « baby boom »). Or les jeunes coûtent cher eux aussi ! A l’ensemble de la société (les écoles, les logements…) comme pour chaque famille (la nourriture, l’habillement etc).

Depuis, la part des actifs dans la population totale s’est stabilisée : 41,9 % en 1968 et 43,9 % en 1996. La génération du « baby boom » est arrivée progressivement sur le marché du travail et le taux d’activité des femmes a sensiblement progressé (46 % en 1968, 60 % aujourd’hui). Il y eu aussi l’apport de l’immigration et cela a permis de compenser l’augmentation déjà sensible du nombre de retraités.

Dans l’avenir, la part des actifs devrait diminuer et représenter sans doute moins de 40% de la population totale en 2040. Le poids des retraites comme des retraités devrait augmenter. Mais la part des richesses consacrées à l’entretien des nouvelles générations devrait diminuer un peu puisqu’elles seront un peu moins nombreuses. Un des problèmes sera donc de transférer une partie des dépenses consacrés à l’éducation des enfants (qui restent partiellement privées dans le cadre de la société actuelle) vers les dépenses consacrées aux retraités(qui sont déjà presque intégralement socialisées).

Dans le cadre d’une société socialiste qui serait capable tout à la fois d’augmenter régulièrement la quantité globale de richesses disponibles et d’en assurer une répartition plus harmonieuse – y compris en socialisant un certain nombre de dépenses qui incombent actuellement aux familles – cela ne devrait pas être trop compliqué à réaliser…

R.Gl.


[1Une croissance du PIB de 1,7% par an sur 40 ans entraîne son doublement…

[2Il y avait 26,3 millions d’actifs en 1995. Il devrait y en avoir 27,6 millions en 2015, et 26,1 millions en 2040.

Mots-clés Retraites , Société