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Survivre avec les minimas sociaux

dimanche 1er août 1999

Retrouver du travail : l’illusion des mesures gouvernementales

La nouvelle disposition permettant de cumuler, sous certaines conditions, un revenu d’activité avec quatre minima sociaux, l’ASS, l’AI, le RMI et l’API, de façon dégressive au cours de douze mois, a suscité les réserves de l’APEIS et des réactions mitigées des associations humanitaires (Secours catholique ou la Fédération nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale). Quant aux intéressé(e)s, ils ne se sont pas rués sur ce dispositif, d’abord parce que le chômage n’a pas pour autant décru, et que les modalités de calcul du cumul sont aussi décevantes qu’indéchiffrables.

Ce décret reconnaît implicitement qu’il est impossible de « sortir » du statut de bénéficiaire des minima. Il aura fallu dix ans pour faire admettre qu’un bénéficiaire du RMI n’avait aucun intérêt à retrouver un emploi, puisque celui-ci, la plupart du temps de courte durée ou à temps partiel, serait déduit du montant de son allocation, sans compter que les frais de transport, à la différence des salariés, étaient intégralement à la charge du RMIste, qui ne pouvait prétendre à leur remboursement que dans le cadre d’un plan d’insertion, et encore. Selon les nouvelles mesures, le cumul d’une partie de l’allocation avec un salaire ne sera prolongé au-delà d’un an que si la personne a travaillé moins de 750 heures pendant 1’année écoulée, et ce pour une durée déterminée, laissée à la discrétion préfectorale, ou si la personne a plus de 50 ans, sans limitation de temps ! Il existe aussi des clauses permettant de cumuler intégralement son allocation avec son revenu si le chômeur a créé son entreprise. Ces mesures sont d’autant plus généreuses qu’inapplicables parce que fictives : reprise d’un emploi après cinquante ans, alors que 35 ans est déjà un age rédhibitoire, et création d’entreprise, qui est, comme chacun sait, le souci quotidien du chômeur !

En fait, elles ne permettent que de survivre

Ainsi la situation actuelle va perdurer : augmentation du nombre des personnes vivant des minima sociaux, du travail au noir, du Système D, des trafics plus rémunérateurs. Ces « galériens » modernes ont dans leur immense majorité mis sur pied un système de survie, notamment par le biais d’institutions caritatives. Contrairement au discours sur la « fracture sociale » ou la « rupture du lien social », ils vivent quotidiennement de la solidarité des salariés, pour l’hébergement, les habits, la nourriture et l’argent. Ils n’ont pas intérêt à ce que les salariés gagnent moins, ou se retrouvent à leur tour dans la galère. Ils sont sans domicile fixe, mais sont hébergés dans leur immense majorité. Seule une toute petite minorité des bénéficiaires des minima sociaux vit dans la rue.

La majorité d’entre eux sont des hommes, chez qui la déchéance suite à la perte d’un emploi est ultrarapide. L’éducation donnée aux hommes les rend peu aptes à gérer la vie quotidienne, à fortiori la galère, à la différence des femmes. Et ces dernières trouveront, pour les mêmes raisons, plus facilement, et même avec des enfants à charge, un hébergement qu’un homme seul.

La gestion de la misère

Le chômage de longue durée et le montant ridicule des minima sociaux contraint les bénéficiaires à s’installer dans ce nouvel état et à 1’aménager au mieux. Ils revendiquent 1’augmentation légitime des minima.

Cette posture rompt avec l’ancienne incapacité de la période précédente à se regrouper. Encore dans l’espoir de retrouver du travail, ils n’envisageaient pas de s’organiser en tant que chômeurs. La perspective d’être « chômeurs a vie » les amène à ne plus lutter pour de l’emploi, mais pour un mieux être. Là aussi, des milliers de formes de solidarité invisibles, talentueuses et épuisantes sont chaque jour déployées entre bénéficiaires des minima. Ce monde de débrouille est largement incompris. Le bénéficiaire est sommé de se justifier. S’il réussit, il est regardé d’un œil soupçonneux, s’il échoue, on lui reprochera son laisser aller ou son manque de volonté. Pour autant ce système D n’offre aucune garantie et interdit de se projeter dans le futur. Le galérien met un terme à sa vie sociale ou affective antérieure, fait des projets ne dépassant pas la journée. Assigné à résidence, les moindres gestes de la vie quotidienne, aller dans une grande surface, dans une institution caritative, rendre une visite à un autre bénéficiaire, se rendre dans un café, dans une bibliothèque, une laverie ou au « bac à sable », en groupe bien souvent, sont considérés comme une sortie, au plein sens du terme.

Ceux qui ont renoncé à 1’emploi parce que trop jeunes ou trop vieux, et qui aménagent leur nouvelle vie sont moins déçus que les « demandeurs d’emploi », que chaque refus désespère davantage. Tous se rejoignent dans les mêmes revendications : pas de minima sociaux inférieurs au SMIC, relèvement du SMIC. Et quand les catégories, même les mieux payées des salariés entrent en lutte, il n’y a pas d’hostilité, parfois même une satisfaction, car le relèvement des salaires est aussi perçu comme la seule possibilité d’un relèvement général de tous les revenus. Les chômeurs ont fait l’expérience de la sympathie que leur lutte a suscité, mais sont conscients que seuls les travailleurs actifs peuvent réellement paralyser un pays, même si la jonction avec le mouvement des salariés n’est pas encore réalisée. Mais ceci est de la responsabilité du mouvement ouvrier d’intégrer dans ses revendications, ses mobilisations les problèmes des précaires, des chômeurs, de tous ceux qui survivent des minima sociaux.

Luiza TOSCANE


Combien vivent avec les minima sociaux

TOTAL dont enfants RMI
1990 3 400 000 1 100 000 422 000
1997 5 877 000 1 600 000 903 000
Mots-clés Chômage , Précarité , Société