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Des livres, un film

lundi 17 juin 2013

Deux BD


de Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau, Éditions Delcourt, septembre 2012, 95 pages, 14,95 €.

1814. La France napoléonienne est en guerre contre l’Europe en général et l’Angleterre en particulier. Un bateau français pris dans une tempête au large des côtes anglaises sombre. Un seul survivant atteint le rivage : le singe mascotte du capitaine. Mais, comme il est vêtu d’un uniforme « froggy », les habitants du village le plus proche, Hartlepool, le prennent pour un Français. Ils se font fort de lui faire avouer les plans de l’invasion dont il ne peut manquer d’être l’éclaireur. Ne pouvant lui arracher un mot – et pour cause ! –, ils se résignent à le faire passer devant une cour martiale improvisée.

On a peine à le croire, mais cette farce amère s’inspire de faits apparemment réels. Hartlepool existe encore aujourd’hui et une vieille chanson brocarde ses habitants « pendeurs de singe ». Sur ce canevas, le scénario de Wilfrid Lupano brode un tableau au vitriol du crétinisme patriotique. Car, au-delà de l’Angleterre de l’époque – les Français ne se montrent d’ailleurs pas sous un jour plus glorieux –, c’est d’abord l’esprit cocardier et la xénophobie qui en prennent pour leur grade. Le coup de crayon nerveux de Jérémie Moreau restitue la tension qui saisit la bourgade jusqu’alors placide, tout en jouant sur les couleurs, rouge fournaise pour figurer l’ambiance hystérique du procès sur fond de soleil couchant, ou bleu sombre de la mer bouillonnante engloutissant les marins français. Les deux auteurs ménagent un espace pour l’espoir, au travers de quelques personnages forcément attachants puisque à contre‑courant de la marée de bêtise qui submerge Hartlepool.

Mathieu PARANT


de Jean-Luc Loyer. Éditions Futuropolis, mars 2013, 20 €.

La catastrophe de Courrières, dans le département du Pas-de-Calais, est l’un des pires coups de grisou de l’histoire : 1 099 morts, des dizaines de blessés.

Jean-Luc Loyer rend minutieusement compte des raisons de la catastrophe. La concurrence et l’avance technologique allemandes poussent les compagnies françaises à compenser leur retard de productivité par la surexploitation des ouvriers, au mépris des règles de sécurité de l’époque. Aux mineurs qui tentent de résister, les employeurs opposent tantôt des réprimandes paternalistes, tantôt des menaces sans appel. Le 10 mars 1906, c’est la catastrophe. Au total, 110 kilomètres de galerie sont ravagés. La compagnie ajoute un deuxième crime : l’arrêt du sauvetage et la condamnation des puits afin d’étouffer les incendies et préserver les installations et le charbon... au risque d’enfermer des survivants. La remontée d’une quinzaine de rescapés – le mot d’origine picarde acquiert à ce moment-là la diffusion nationale qu’on lui connaît depuis –, après plus de trois semaines d’errance dans les puits plongés dans l’obscurité, confirmera plus tard les craintes des mineurs. Mais ils n’ont pas attendu. Dès le 13 mars, la grève éclate dans tout le bassin minier. Elle tient plusieurs semaines malgré l’envoi par Clémenceau de plus de 30 000 soldats et gendarmes pour la mater.

La bande dessinée est ici le moyen de toucher des lecteurs peu au fait de cette tragédie, voire pas du tout. Les annexes donnent un aperçu de la solide documentation de l’auteur. Les éléments fictionnels sont volontairement limités au strict minimum. Émotions pour autant garanties : les faits suffisent largement…

M.P.


Un essai

Xavier Vigna. Paris, Éditions Perrin, février 2012, 408 pages, 24 €.

Les historiens ont plus souvent étudié les organisations syndicales ou politiques revendiquant le rôle de porte-parole, voire le monopole de la représentation de la classe ouvrière, que les travailleurs eux-mêmes. Xavier Vigna entend, dans ce livre, braquer le projecteur sur ces derniers. Certes, l’auteur traite aussi des mobilisations ouvrières : Juin 36 ou Mai 68 – dont il avait déjà tiré un livre [1] – bien sûr, mais aussi moins connues, comme la vague de grèves de 1919 qui inspira au gouvernement, par prudence, la loi raccourcissant à huit heures la journée de travail. Mais le grand intérêt de son travail est de peindre le portrait d’une classe beaucoup plus ouverte à l’immigration, aux femmes ou sur les campagnes qu’on a pu le penser. Pour cela, il a compulsé plusieurs dizaines d’ouvrages récents produits par la recherche, d’où il tire à la fois une vision synthétique et des exemples vivants.

On peut discuter certaines de ses appréciations. Rappelant qu’au siècle précédent les ouvriers suscitaient, qu’il s’agisse d’espoirs ou de craintes, l’attention de toutes les forces politiques, il constate une « perte de centralité » de cette classe. C’est qu’il définit celle-ci comme regroupant les seuls ouvriers et non l’ensemble des salariés. Aussi estime-t-il que la classe ouvrière connaît en ce début de xxie siècle une « dissolution », là où nous voyons d’abord et avant tout une « recomposition » du prolétariat. Mais c’est plutôt de l’ordre du détail ; le livre se termine d’ailleurs par une prise de position ferme pour continuer à faire « de l’histoire ouvrière ».

M.P.


À voir


du cinéaste libanais Ziad Doueiri. Adapté du roman du même nom de Yasmina Khadra (2005).

Un chirurgien israélien d’origine palestinienne, exerçant dans un hôpital de Tel-Aviv, se voit décerner un prix dans sa profession, signe de son intégration en Israël.

Au même moment, une bombe explose dans la ville, tuant et blessant des civils, parmi lesquels des enfants qui se retrouvent sur les lits de son hôpital. Seulement voilà, sa propre femme fait partie des victimes. Pire, la police l’identifie comme la kamikaze responsable de l’explosion. Terrassé, sûr de son innocence – elle, une chrétienne d’origine palestinienne ! –, cet homme part à la recherche de la vérité. Tout est remis en cause : son statut, l’amour de sa femme, les relations avec ses amis et collègues israéliens. Les certitudes, les idées reçues tombent. Organisations radicales choisissant l’option terroriste, famille, mariage : tout se découvre sous un autre jour, entrelacé, englué dans la souffrance de la situation palestinienne. C’est toute la complexité de la situation politique au Proche‑Orient qui est contenue de manière diffuse dans ce film.

Anne HANSEN


[1L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, PUR, 2007. Voir Convergences Révolutionnaires n°65.

Mots-clés Culture