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Syrie : Les souffrances de la population et le jeu des grandes puissances

lundi 28 janvier 2013

Après 21 mois de conflit, des dizaines de milliers de victimes et plusieurs centaines de milliers de réfugiés à l’étranger, surtout en Turquie, la situation reste incertaine en Syrie et il est difficile de se faire une idée précise de la réalité du rapport de forces sur le terrain. Médias et politiciens annoncent périodiquement la chute imminente de Bachar el-Assad, mais celui-ci s’est senti assez fort pour narguer ses ennemis en réunissant devant les médias une foule de ses partisans le 6 janvier dernier à l’opéra de Damas. À cette occasion, il a présenté un « plan de paix » qui lui permettrait de conserver le pouvoir au moins jusqu’en 2014.

Le jeu des grandes puissances

Si le dictateur syrien peut ainsi se permettre de défier les opposants et les puissances occidentales et régionales qui les sponsorisent, c’est d’une part parce que les opposants en question sont particulièrement divisés et semble-t-il peu représentatifs, d’autre part parce que, en dépit de leurs menaces répétées, les grandes puissances occidentales restent prudentes sur les cartes de rechange à soutenir. Leur seul souci est de maintenir l’ordre régional et éviter toute nouvelle explosion sociale. La prudence des impérialistes occidentaux s’explique bien plus par l’incertitude sur la nature du pouvoir qui pourrait succéder à Assad, que par les appuis dont celui-ci bénéficie de la part des deux grandes puissances que sont la Russie et la Chine (sans compter l’Iran et des alliés au Liban et en Irak), ou de l’obstruction de celles-ci à l’ONU. L’influence des islamistes au sein du Conseil national Syrien (CNS) et de l’Armée syrienne libre (ASL) n’est pas non plus pour rassurer les Occidentaux, même s’ils peuvent très bien s’en accommoder quand cela sert leurs intérêts. Et un éclatement de la Syrie, à la chute d’Assad, entre divers pouvoirs rivaux, à l’instar de la Libye ne serait pas non plus à leur avantage pour le contrôle de la région.

Les puissances occidentales se contentent donc, pour l’instant, de subventionner diverses organisations en exil comme le CNS et de fournir une aide limitée à l’ASL, sous forme d’appui logistique et de fourniture d’armes en quantité limitée. Sur ce terrain, elles laissent en partie la main au Qatar, l’un des principaux bailleurs de fonds du CNS (également bailleur de fonds et fournisseur de troupes dans la guerre de Libye), et à l’Arabie saoudite (qui s’était illustrée dans la répression des révoltes au Barheïn en 2011), pays qui soutiennent notamment des groupes religieux et mènent eux-aussi leur propre jeu.

Le régime que dirige Bachar el-Assad, mis en place par son père, a contribué à assurer la stabilité de la région pendant près de quarante ans, en dépit de ses discours pro-Palestiniens et de son soutien au Hezbollah libanais. Les impérialistes savent à qui ils ont affaire, mais pas sur qui ils risquent de tomber ensuite. Ils se contentent donc pour le moment d’alimenter la guerre, en attendant peut-être que le régime s’effondre de lui-même, tout en essayant de trouver des successeurs convenables au dictateur, c’est à dire des politiciens qui sauront à la fois montrer un visage « démocratique » et surtout faire à leur tour régner l’ordre dans la région.

De la révolte populaire à la guerre civile

La crise syrienne, qui a commencé par des mouvements de protestation populaire férocement réprimés voici presque deux ans, a débouché sur une véritable guerre civile. La révolte a été détournée en conflit entre des clans qui ont souvent une base sociale communautaire et sont soutenus par des puissances étrangères rivales. La responsabilité en incombe certes avant tout à la dictature qui a notamment favorisé la communauté alaouite, minoritaire, à laquelle appartient Assad, par exemple en plaçant ses membres à presque tous les postes de commande et en favorisant les affairistes issus de ce clan. Mais le comportement de l’ASL dans les zones qu’elle occupe, à l’égard des alaouites comme des chrétiens, ne laisse rien augurer de bon pour l’avenir. Diverses organisations humanitaires ont rapporté les exactions et atrocités commises par cette armée, dont certaines factions tentent par ailleurs d’imposer l’application de la charia dans les zones qu’elles contrôlent, notamment dans des quartiers d’Alep. Dans cette situation, une grande partie de la population, prise dans la guerre, ne se reconnaît probablement dans aucun des belligérants.

Le seul ciment de la révolte est la volonté de voir partir le dictateur. Mais il est significatif que, contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte, aucune revendication, aucun mot d’ordre concernant la classe ouvrière et la population pauvre en général ne soit mis en avant, ou en tout cas ne soit visible de l’extérieur, tant ils ne sont pas la préoccupation de ceux qui dirigent la rébellion et ont accès aux médias. Les syndicats syriens sont étroitement tenus par le régime qui les finance et encadre. Ils n’ont pas la relative indépendance qui a pu être celle de l’UGTT tunisienne, ou plus exactement de certains de ses syndicats locaux, même sous Ben Ali, et qui avait permis l’apparition de militants, animateurs souvent des luttes sociales d’aujourd’hui. Les diverses fractions qui composent l’ASL, échappent à tout contrôle, y compris à celui du CNS, lequel regroupe des politiciens exilés, coupés de la population, dont une forte proportion d’islamistes. Rival du CNS, le CCCD (Comité de coordination pour le changement démocratique) rassemble une opposition intérieure formée notamment de nationalistes kurdes, de baathistes oppositionnels et des deux fractions de l’ex-Parti communiste syrien. Il paraît très lié à la Russie, qui a des intérêts importants en Syrie, en particulier la possibilité de faire mouiller sa flotte militaire dans le port de Tartous [1], à 200 kms de Damas. Mais il n’est pas plus représentatif de la population que le CNS.

Il en résulte que, si nous devons soutenir l’aspiration de la population syrienne à chasser le dictateur, nous ne pouvons pas accorder le moindre soutien aux divers clans qui se disputent sa succession, ni à une éventuelle intervention militaire occidentale, réclamée par une partie du CNS, qui ne ferait qu’ajouter la guerre à la guerre, les destructions aux destructions, comme on l’a vu en Irak et en Libye. Il n’y a que la population syrienne, et en particulier la classe ouvrière qui compte près de cinq millions de personnes dans ce pays très urbanisé, qui serait en mesure, en s’organisant sur la base de ses propres intérêts, de proposer une véritable alternative.

12 janvier 2013, Georges RIVIERE


[1Contrairement à ce qui a parfois été écrit, il ne semble pas que la Russie dispose d’une véritable base militaire, mais seulement d’une antenne locale.

Mots-clés Monde , Syrie