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La nouvelle division internationale du travail

dimanche 25 mars 2012

Alors que la richesse mondiale s’est accrue dans des proportions fantastiques depuis 1945, le commerce international concerne une part de plus en plus importante de celles-ci : 20 % en 2010 contre 6 % en 1950. Deux évolutions technologiques sont à l’origine de ce mouvement. D’une part, le développement de moyens de communication permettant la transmission instantanée de toutes sortes de données – essentiellement Internet et la téléphonie mobile. D’autre part, le coût du transport, qui a été divisé depuis 1945 par un facteur compris entre 5 et 10 selon les estimations, notamment grâce au conteneur : inventé en 1960, il transporte désormais 90 % des marchandises et permet le transbordement rapide entre rail, route et des cargos géants, longs parfois de 500 mètres. Il faut souligner qu’en remplaçant les marins occidentaux par des Philippins ou des Bengladais surexploités, en fixant la durée hebdomadaire de travail des routiers à 56 heures, les capitalistes ont également considérablement comprimé les coûts salariaux.

La distance par rapport au marché, au consommateur, n’a jamais si peu pesé dans le choix de la localisation d’une production. Un produit industriel sur deux est consommé dans un pays différent de celui où il a été fabriqué. La production est en outre de plus en plus fragmentée. Comme le dit un des dirigeants de l’Organisation mondiale du commerce, « les pays tendent à se spécialiser dans des “tâches” plutôt que dans des “produits” ». En conséquence de quoi les économies nationales sont de plus en plus dépendantes les unes des autres.

Si la puissance se mesurait à la capacité d’un pays à accueillir de nouvelles usines, l’Asie – et d’abord « l’atelier du monde » chinois – dirigerait la planète. En réalité, elle témoigne plutôt d’une certaine vitalité du capitalisme japonais, lequel a organisé sur ce continent de vastes réseaux de sous-traitance dans l’automobile ou l’électronique. La particularité du développement industriel dans les pays du Tiers-Monde, c’est qu’il est décidé... dans les pays riches ! La Chine fait figure d’exception : elle a en partie comblé son retard technologique, même s’il lui reste un bon bout de chemin à parcourir pour se trouver au niveau des pays riches. Or, ce sont ces produits de haute technologie qui concentrent l’essentiel de la plus-value.

L’iPhone, made in China… ou in Japan, in Korea, in US, in Germany ?

L’iPhone estampillé « made in China » contient une mémoire flash (24 dollars) et un écran (35 dollars) fabriqués au Japon, un processeur et ses composants associés produits en Corée (23 dollars), des puces GPS, camera, et système wi-fi allemands (30 dollars), et le Bluetooth, les composants audio et la 3G venant des États-Unis (12 dollars). [1]

En fait, l’imbrication est telle que les mesures anti-dumping se retournent parfois contre leurs initiateurs. Simple exemple, les taxes censées lutter contre la « concurrence déloyale » des chaussures assemblées en Asie-du sud-est affecteraient... à 80 % les entreprises européennes qui leur fournissent modèles et composants.

Les pertes d’emploi dues aux délocalisations mesurées par l’Insee ont sensiblement augmenté entre les périodes 1995-2001 et 2000-2005 [2]. Mais il semble que c’est surtout dû à la prise en compte du secteur des services ; le décompte se contentait de l’industrie auparavant. À noter toutefois que ces délocalisations seraient à l’origine d’un nombre équivalent, voire supérieur, de créations d’emploi, du fait de l’augmentation des ventes. Mais les emplois perdus se trouvent à la production et les postes créés à la conception. En d’autres termes, les ouvriers sont remplacés par des techniciens et des cadres. Inutile de dire qu’il ne s’agit pas des mêmes personnes...

Le rôle attribué aux délocalisations dans la grande usine à chômeurs qu’est l’économie capitaliste est cependant largement surévalué et les patrons ne se privent pas d’user de la menace pour comprimer les salaires et n’embaucher qu’au compte-goutte. Les délocalisations proprement dites se limitent au transfert d’une activité d’un lieu vers un autre pour effectuer le même travail à destination du même type de consommateurs. L’émergence d’une classe moyenne – certes, dans une proportion moindre qu’annoncée par les chantres du capitalisme – dans les « pays émergents » amène par exemple PSA à ouvrir des usines en Chine. Il s’agit de produire au plus près de ces nouveaux consommateurs, pas de transférer la charge de travail des ouvriers européens licenciés. Celle-là, ce sont leurs collègues qui devront l’assumer, soit par l’introduction de machines plus productives, soit par une accélération des cadences. Le baratin sur les délocalisations permet au patron de se dédouaner à bon compte.

Mathieu PARANT


[1Niklas Boden, « L’iPhone, la meilleure arme de la Chine contre les États-Unis », lecercle.lesechos.fr, blog associé au journal Les Échos, 25 octobre 2011.

[2Marie Bartnik, « Les délocalisations détruisent 36 000 emplois par an », Le Figaro, 28 mai 2010.

Mots-clés Capitalisme , Monde