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L’envers du nouveau « miracle argentin »

dimanche 25 mars 2012

Après son effondrement en 2001, l’économie argentine a connu une relative reprise avec des taux de croissance atteignant 7 % à 8 %. Il n’en faut pas davantage à certains médias et politiciens pour parler de « miracle argentin ». Selon l’hebdomadaire Marianne, la voie suivie par l’Argentine pourrait même être un modèle pour la Grèce.

L’Argentine a en effet rompu avec le FMI en 2001, brutalement dévalué sa monnaie en abandonnant la parité peso/dollar et cessé provisoirement de rembourser sa dette, qui s’élève aujourd’hui à environ 100 milliards de dollars avec les intérêts. Cette décision l’a coupée du marché mondial des capitaux. Aujourd’hui, elle négocie une restructuration de cette dette.

De 2001 à 2009, le capitalisme argentin a bénéficié d’un certain nombre d’éléments favorables. D’une part, la baisse des salaires réels des travailleurs a rendu ses produits plus compétitifs, d’autre part les prix des matières premières et, en particulier, des produits alimentaires telle la viande dont ce pays est un gros producteur, ont connu une forte hausse. L’Argentine a pu ainsi doubler la valeur de ses exportations et développer la culture intensive du soja transgénique, dont elle est devenue le second producteur mondial après les États-Unis. À lui seul, le soja représente 25 % des rentrées de devises de l’Argentine. Enfin, des gisements de métaux précieux et rares ont été découverts, de sorte que l’exploitation de nouvelles mines, dont certaines à ciel ouvert, a aussi fait rentrer des devises.

Grâce à cette conjoncture, les Kirchner ont pu prendre quelques mesures sociales. Celles-ci n’ont pourtant pas permis à l’ensemble de la population de retrouver son niveau de vie d’avant 2001. Néanmoins, elles ont apporté une certaine popularité aux Kirchner, d’autant qu’ils ont su s’appuyer, non seulement sur les syndicats officiels selon la tradition péroniste, mais sur la « gauche sociétale », par exemple en abrogeant la loi d’amnistie qui protégeait les tortionnaires de la dictature [1], en institutionnalisant diverses organisations telles les « Les mères de la place de mai », désormais dotées de subventions pour construire des logements sociaux [2], ou encore en adoptant une loi, unique en Amérique Latine, légalisant le mariage homosexuel [3]. Cristina Kirchner a ainsi été réélue au premier tour en octobre 2011 avec 53 % des voix.

Quand les travailleurs n’ont plus les moyens de prendre le métro

Pourtant, l’Argentine est désormais rattrapée par la crise, avec une inflation qui avoisine 30 % [4] en 2011 et lamine des retraites et salaires déjà très faibles, voire misérables en ce qui concerne les travailleurs du secteur dit « informel ». Si le chômage ne dépasse pas officiellement 10 %, un travailleur sur trois est en effet employé au noir, sans protection sociale ni droit. Dans de nombreuses entreprises, les précaires licenciables du jour au lendemain, payés jusqu’à trois fois moins que leurs collègues, sont souvent plus nombreux que les salariés à statut. Un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, dans les rues de Buenos Aires, les cartoneros sont toujours aussi nombreux à faire les poubelles.

Les tarifs du métro et des trains de banlieue viennent de doubler, au point qu’une partie des usagers n’ont d’autre choix que la marche à pied, le vélo ou l’auto-stop. Le métro de Buenos Aires a ainsi perdu un tiers de ses « clients » en 2011 ! Des queues énormes se sont formées devant les bureaux proposant une sorte de carte unique de transport, créée à l’initiative des autorités et un peu plus avantageuse que l’achat de tickets, mais certaines entreprises privées ont annoncé qu’elles n’accepteraient pas cette carte.

La colère monte et plusieurs corporations se sont mises en grève à la mi mars, tels les employés du métro pour exiger des mesures de sécurité, les enseignants [5] qui revendiquent 30 % d’augmentation, alors que leur ministère leur propose 20 %, et les fonctionnaires. Le 16 mars, quatre organisations de Piqueteros (chômeurs) bloquaient les principaux accès de Buenos Aires pendant sept heures, paralysant entièrement la ville, pour dénoncer le clientélisme de Kirchner dans l’application du « Programme argentin du travail », revendiquer l’extension de ce plan qui ne concerne pour l’instant que 30 000 personnes, et des augmentations d’allocations.

Le mécontentement des travailleurs est tel que le dirigeant de la CGT, Hugo Moyano, pourtant très proche des Kirchner, s’est senti obligé de le relayer par des menaces d’action, pour le moment platoniques, en dépit du chantage que le gouvernement exerce sur lui. [6] À ces grèves s’ajoutent les mouvements de protestation de plus en plus puissants contre l’ouverture de nouvelles mines, telle la mine d’or de Famatina, dans la province de La Rioja, qui serait exploitée par un trust canadien et accaparerait toute l’eau de la région.

Dans ce contexte, la catastrophe de la station 11 n’arrange pas les affaires de Cristina Kirchner et de ses amis, très liés au patronat du rail. Pour faire diversion, le pouvoir a recours à des procédés classiques, notamment faire vibrer la corde patriotique à l’occasion de l’anniversaire de la guerre des îles Malouines… où l’on vient de découvrir du pétrole, ce qui accroît les rivalités avec l’Angleterre. Mais, cette fois, la sauce ne semble pas prendre et la présidente va devoir faire face à une grogne générale qui risque de se transformer en coup de colère.

G.R.


[1Ce qui n’empêche pas le gouvernement d’avoir concocté une « loi anti-terrorisme », dénoncée par de très nombreuses organisations car elle permettrait de criminaliser toutes sortes d’actions politiques et syndicales.

[2Ce qui vient de susciter un scandale, car certains gestionnaires de cette organisation ont détourné une partie des fonds pour s’offrir yachts, Rolls et villas.

[3En revanche, l’avortement n’est toujours pleinement autorisé que pour les victimes de viols, ce qui suscite pourtant les protestations hystériques de l’Eglise.

[4Les statisticiens officiels ne reconnaissent que 20 %.

[5Un enseignant débute à environ 400 euros par mois, alors que les prix de nombreux produits sont proches des prix européens.

[6La justice suisse demande l’extradition de Moyano accusé de blanchiment d’argent.

Mots-clés Argentine , Monde