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Occupy Oakland

jeudi 24 novembre 2011

Le 10 octobre, un groupe d’environ 150 personnes installaient un campement au centre d’Oakland [1] en face de l’Hôtel de Ville. Occupy Oakland était lancé. Pendant quinze jours, le nombre d’occupants ne varia guère, essentiellement des jeunes et des SDF. Les assemblées générales quotidiennes en soirée rassemblaient au mieux quelques centaines de participants. Des rassemblements, les deux premiers week-ends, n’en totalisèrent pas plus de 2 000. Et, parmi eux, très peu de travailleurs d’Oakland ou des environs, qui pour la plupart n’avaient pas connaissance de ce qui se passait, ni même de l’existence du camp.

L’intervention policière

Ce n’est que le mardi 25 octobre que Occupy Oakland commença à faire son chemin dans les esprits. À quatre heures du matin, la police d’Oakland, appuyée par des centaines de policiers venant de 18 autres villes de toute la Baie de San Francisco, investit le campement : 500 policiers en tenue anti-émeute brisant tables ou autres mobiliers, déchirant les tentes, usant de grenades lacrymogènes, pour finalement arrêter 97 occupants et installer des barrages dans toutes les rues avoisinantes.

L’après-midi même, plusieurs centaines de personnes se rassemblaient pour protester. Dès 16 h 30, un millier de manifestants se mettaient en marche, dans le but de réoccuper les lieux autour de l’Hôtel de Ville. Ils se heurtèrent rapidement aux forces de police. Pourtant, quelques centaines de personnes réussissaient à se regrouper d’un autre côté, tout aussi décidés à manifester leur colère contre l’éviction et les arrestations.

À 19 h 30 les deux groupes faisaient jonction : 2 000 personnes. Des jeunes, surtout, mais aussi des habitants d’Oakland venus après leur journée de travail. La police commença alors à lancer des grenades lacrymogènes ou assourdissantes pour disperser la foule. Les manifestants provisoirement éparpillés revenaient une demi-heure plus tard. Les tirs de dispersion de la police recommencèrent. Et ainsi de suite durant toute la soirée et une partie de la nuit.

Il y eut de nombreux blessés. Certains assurent que la police aurait fait usage de balles en caoutchouc. Et un manifestant de 24 ans, Scott Olsen, ancien de la guerre en Irak, touché directement par une grenade lacrymogène qui lui a causé une fracture du crâne, est toujours, au moment où nous écrivons, hospitalisé et incapable de parler, après un coma de plusieurs jours.

Le retour de l’occupation et la « grève générale »

La brutalité de la police et la blessure de Scott Olsen firent la une de la presse nationale, voire internationale. Le 26 octobre au matin, des appels étaient lancés pour se rassembler à nouveau au centre d’Oakland afin de réoccuper le campement. À 18 heures, la police préférait lever les barrages et se retirer en abandonnant la place à une assemblée de 2 000 personnes. Les dernières barrières étaient abattues par la foule et le camp réinstallé.

Dans l’euphorie de la victoire, cette assemblée générale où se mêlaient jeunes et vieux, travailleurs et étudiants, votait un appel à une grève générale à Oakland pour une semaine plus tard, le 2 novembre. Bien sûr, dans les discussions particulières, la plupart disaient clairement qu’ils n’étaient pas prêts à faire cette grève, mais en revanche étaient bien décidés à participer à cette journée d’action d’une manière ou d’une autre. La réinstallation du camp avait réinsufflé une énergie et un sentiment de force tels que la plupart auraient voté n’importe quoi. La grève générale fut adoptée parce que ce fut la seule véritable proposition avancée durant l’assemblée par quelques militants d’extrême gauche présents sur les lieux, les seuls à tenter de proposer quelque chose.

Il était donc assez évident qu’il n’y aurait pas de véritable grève générale ce 2 novembre. Pourtant, un énorme élan était créé, au point que les syndicats et les écoles se sentirent obligés de répondre d’une manière ou d’une autre. Il n’y a pas eu d’appel syndical à la grève, mais quelques dirigeants de syndicats locaux ont encouragé leurs adhérents à prendre un jour de congé sous un prétexte quelconque, maladie ou raison familiale par exemple. Et la plupart apportèrent un soutien formel à la journée d’action, appelant leurs adhérents à se joindre au rassemblement et à la manifestation après le travail.

La municipalité elle-même qui, une semaine auparavant avait fait donner la police contre le campement, suggéra à ses employés qui le voulaient de prendre un jour sur leur quota de congés-maladie payés. Plusieurs écoles annulèrent les classes ce jour-là. Dans d’autres, des étudiants organisèrent des débrayages.

La journée d’action du 2 novembre

Plusieurs dizaines de milliers de personnes se rassemblèrent dans une atmosphère de fête. Toutes les couches de la société, jeunes, vieux, parents avec leurs enfants, grands-parents, travailleurs, étudiants, participèrent d’une manière ou d’une autre. La place de l’Hôtel de Ville était d’ailleurs organisée comme pour une fête, avec des aires pour les enfants, des distributions de repas gratuits par des restaurants des environs. Des artistes locaux se produisaient tout aussi gratuitement. Bref, un vrai festival de masse.

Il y eut tout de même une manifestation. Des dizaines de milliers de manifestants marchèrent sur le port, le cinquième en importance des États-Unis, le poumon économique d’Oakland. Le but était de bloquer les entrées à l’équipe d’après-midi des dockers. Effectivement, le trafic de marchandises fut pour l’essentiel arrêté. La plupart des dockers comme des camionneurs soutenant ostensiblement la manifestation.

En gros donc, cette action collective, qui se passa dans la joie née du sentiment d’être nombreux et, du coup, d’être une force, fut un énorme succès. La plupart soulignaient que c’était la première fois de leur vie qu’ils participaient à une telle journée.

Et maintenant ?

Ces personnes qui ont participé à une action politique pour la première fois de leur vie ont rapporté avec eux, sur leur lieu de travail ou dans leur école, leur enthousiasme et l’expérience qu’ils viennent de vivre. Aujourd’hui, à Oakland et dans les villes voisines, et bien que la plupart n’aient pas participé, beaucoup de travailleurs discutent maintenant des attaques dont ils sont victimes dans leurs conditions de vie et de travail. On note aussi une nouvelle politisation, notamment parmi les jeunes, qui manifestent une curiosité pour les idées révolutionnaires.

Cela dit, le mouvement commence évidemment à montrer ses limites. Le campement lui-même ne peut contenir davantage de 300 tentes. Les assemblées générales régulières attirent bien des curieux prêts à s’impliquer dans le mouvement, mais il n’en sort ni perspectives ni occasions d’activités concrètes. Et la plupart des participants ne pouvant envisager de camper à leur tour, la question de quoi faire maintenant n’obtient pas vraiment de réponse.

En fait, il ne suffit pas d’espérer que les gens continuent de venir aux assemblées générales ou visiter les campeurs pour maintenir un mouvement, à plus forte raison l’élargir. Pour cela il faudrait trouver le moyen de s’adresser à ces millions de gens en colère – dont le mouvement a attiré l’attention et qui sont conscients que la priorité du capitalisme est de protéger les banques et les grandes entreprises aux dépens des travailleurs, des étudiants et de la majorité de la société –, voire de les organiser partout où ils sont – leur entreprise, leur quartier, leurs écoles. Sans surestimer les possibilités ouvertes par les occupations, mais sans nier non plus les potentialités de ce mouvement. Ce serait en tout cas le rôle des révolutionnaires de le tenter, même si l’extrême gauche est bien faible, même si les traditions du mouvement ouvrier américain en la matière, bien réelles jadis, ont été quelque peu perdues de vue. Mais Oakland ne vient-il pas de montrer qu’il n’est pas impossible de renouer avec elles ?

Oakland, le 6 novembre 2011

Craig VINCENT


[1Oakland, 392 000 habitants, fait partie de l’agglomération de la Baie de San Francisco, laquelle en compte plusieurs millions sur plusieurs dizaines de villes dont certaines connaissent elles aussi des occupations.

Mots-clés Monde , Occupy Wall Street , USA