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Le mouvement anti-nucléaire en Allemagne

vendredi 22 avril 2011

Le poids du nucléaire dans la production d’électricité en Allemagne est beaucoup plus réduit qu’en France ou au Japon. [1] Pour des raisons objectives de l’après-guerre : avec le charbon, à la différence du Japon, l’Allemagne ne manquait pas d’énergie pour la reconstruction et la relance économique ; et, contrairement à la France, l’impérialisme allemand ne pouvait pas songer à un armement nucléaire. Mais l’existence d’un puissant mouvement anti-nucléaire n’y est pas non plus étranger.

Dans l’Allemagne de l’ouest des années 1950, seul le nucléaire militaire soulevait la protestation car les blocs Est et Ouest s’y faisaient directement face, chacun avec son arsenal militaire. La campagne contre l’armement atomique, la « lutte contre la mort nucléaire », était menée par la confédération syndicale DGB (con­f­é­dération unitaire largement majoritaire et proche du SPD – le parti social-démocrate), le SPD lui-même et diverses associations religieuses. Mais SPD et DGB s’en retirèrent suite à une campagne du gouvernement de droite en 1958, dénonçant « la main des communistes » derrière ce mouvement. Cette même année fut ouvert le chantier de la première centrale nucléaire.

1958 - 1968 : les Marches de Pâques

Après ce retrait débutèrent les premiers mouvements de protestation dits « indépendants », les « marches de Pâques », qui s’élevaient « contre toute arme nucléaire de quelque nation que ce soit », à l’Est comme à l’Ouest. Pour éviter la mainmise de militants gauchistes ou du PC interdit, les associations religieuses qui dirigeaient le mouvement s’évertuèrent à le contrôler en prescrivant tout dans les moindres détails, slogans inclus. Dès les premières « actions de Pâques » pourtant, des opposants à la guerre issus du mouvement ouvrier se joignirent aux pacifistes et chrétiens. Ainsi émergea un vaste mouvement extraparlementaire, qui culmina jusqu’à rassembler 300 000 participants en 1968.

L’effet conjugué des lois d’exception [2] de 1968, de l’intervention militaire du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie la même année, de la formation d’un gouvernement fédéral de coalition SPD-FDP (Parti libéral-démocrate) en 1969, a creusé le fossé politique entre composantes social-démocrate, communiste et d’extrême gauche. Le mouvement a éclaté en 1969. Il a disparu dans les années 1970, pour renaître dans les années 1980 contre la « bombe à neutrons » et la décision de l’Otan de positionner sur le territoire ouest-allemand des « euro­missi­les » de courte et moyenne portées.

Années 1970 : les « initiatives citoyennes » contre le nucléaire civil

Dans les années 1970, alors que déclinait la mobilisation contre l’armement atomique, est né le mouvement contre le nucléaire civil. Au tournant des années 1960-1970, un courant intellectuel s’est développé, mettant en question ce genre de « progrès technique ». Des « initiatives citoyennes » se créèrent. Furent appelés à se mobiliser les « citoyens, viticulteurs et exploitants agricoles de notre pays ». La résistance au nucléaire comportait de forts traits régionalistes et conservateurs. Mais elle ne manquait pas de détermination : d’abord symbolique, elle se durcit. Partout où des villages et de petites villes étaient menacés par l’installation de centrales nucléaires, la population entra en résistance – quitte à affronter matraques, lances à eau de la police et inculpations. Des sondages montraient une population largement favorable aux protestations car inquiète des problèmes de sécurité posés par les réacteurs nucléaires. Les partis politiques, eux, et quelle que soit leur couleur, s’accrochaient au contraire au « nucléaire, technologie d’avenir ». Un nombre croissant de « savants en baskets », rejoignirent le mouvement, contribuant certainement à lui donner un tour plus modeste et légal : aux sit-ins, manifestations de tracteurs et chaînes humaines succédèrent plébiscites et batailles juridiques.

1980 : création du parti Vert

Bilan mitigé : des centrales nucléaires en grand nombre ont été construites, mais des constructions stoppées. Dans les sondages, le refus de l’énergie nucléaire ne s’est pas démenti. Ce succès et, plus généralement, celui du mouvement écologiste, a favorisé la création du parti Vert en 1980. À ses débuts, il engloba pas mal de militants, voire d’animateurs issus de l’extrême gauche (trotskyste ou maoïste), mais en arriva très vite à discuter des « changements faisables » sans sortir de la société capitaliste.

2001 : « sortie du nucléaire » à l’ amiable

En juin 2001, la coalition gouvernementale rouge-verte, sous Gerhard Schröder, décida la « sortie » du nucléaire. En fait, un accord amiable avec l’industrie privée du nucléaire, qui y trouva son compte : les dix-neuf centrales alors en fonctionnement pouvaient continuer à tourner, la plupart jusqu’en 2021. Comme c’étaient souvent de vieilles centrales, complètement amorties, c’était tout bénéfice pour les quatre trusts de l’énergie en Allemagne. Le citoyen fut rassuré par la sortie progressive et l’industrie satisfaite que ses profits soient assurés pour des années. Le « Happy End » était en vue… si le nouveau gouvernement CDU-FDP, sous la chancelière Angela Merkel, n’avait pas rebattu les cartes et redonné sa chance au lobby de l’atome.

2010 : Angela Merkel change la donne

À l’automne 2010, la prétendue sortie du nucléaire était remisée et la durée de vie des centrales prolongée. D’où l’indignation de l’ancien gouvernement et de ses partisans. Même les Verts retrouvaient quelque couleur, dans l’opposition. À nouveau présents, en particulier pour s’opposer aux transports « Castor » de déchets nucléaires retraités, souvent en provenance de la Hague en France. À l’époque où ils gouvernaient, ils avaient interdit à leurs partisans et sympathisants de participer à ces protestations !

26 mars 2011 : 250 000 manifestants contre le nucléaire

Depuis, l’accident de Fukushima a remis en scène les « citoyens en colère ». Le 26 mars dernier, plus de 250 000 personnes ont manifesté dans toute l’Allemagne, avec femmes et enfants, contre la politique nucléaire allemande. Dans une année particulièrement riche en élections, ce sont les Verts qui pourraient rafler la mise. Ce qui ne changerait évidemment rien, si ce n’est que le « citoyen en colère » pourra s’endormir la conscience… verte !

14 avril 2011

Kati KLEE


[1Le nucléaire fournissait 22,7 % de l’électricité produite en Allemagne en 2009. Pour comparaison : les centrales thermiques à combustible fossile en fournissaient 57,6 % ; les énergies renouvelables 15,9 % dont 6,5 % d’énergie éolienne.

[2Le 30 mai 1968, le gouvernement de coalition CDU et SPD changea la constitution pour réduire les droits fondamentaux en cas « de crise majeure ». La participation gouvernementale du SPD creusa le fossé avec l’opposition « extra parlementaire ».

Mots-clés Allemagne , Monde , Nucléaire