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Sncf Paris Nord : un camarade cheminot donne son point de vue, après 18 jours de grève

dimanche 5 décembre 2010

Dans quel état les grévistes sortent-ils de ce mouvement ?

R  : On ne peut pas jurer de l’évolution du moral, mais les grévistes sont fiers d’avoir tenu tête à Sarkozy et son gouvernement, d’avoir participé à une mobilisation générale impressionnante du monde du travail, dans la rue, d’avoir trouvé un élan de sympathie jamais démenti à leur égard puisque les sondages se sont enchaînés pour dire qu’une majorité dans le pays non seulement soutenait la revendication du retrait du projet mais aussi la grève reconductible ou la « radicalisation » du mouvement (sans s’y joindre malheureusement). Heureux d’avoir vécu, dans les discussions lors des manifestations et dans la grève, une grande communauté d’intérêts – travailleurs du public ou du privé, y compris de petites entreprises. Tous ensemble et vraiment nombreux à avoir pris conscience de l’inutilité de cette classe de parasites qui n’amène rien d’autre que crise financière et précarité. Certes, on n’a pas gagné… et nous avons senti aussi les limites. La grève ne s’est pas généralisée. Des travailleurs pensaient que les jeux étaient faits, puisque la réforme était déjà votée à l’assemblée. Un certain fatalisme s’est manifesté, effet de la crise sur le moral… comme sur le portefeuille !

Comment la politique des syndicats a-t-elle été suivie et ressentie ?

R  : Localement, CGT, SUD-Rail (où je milite), FO et UNSA ont marché la main dans la main… À l’image des confédérations qui, contrairement à ce qu’elles nous avaient montré par le passé lors des grèves de 2003 et 2007, ont eu un langage combatif et ont impulsé dans une certaine mesure le mouvement. Mais pas non plus vraiment lâché la bride. En 1995, alors que j’étais plus jeune et quasi inconnu, j’avais proposé une AG interservices au secrétaire de secteur CGT de l’époque, qui n’y avait pas vu d’inconvénient, et nous avions fait débrayer deux centres de tri, ramené des postiers sans que cela ne gêne la CGT. Elle voulait que ça marche. L’AG rassemblait tous les jours presque 400 personnes, y compris des badauds attirés par l’ambiance, à tel point que Blondel, alors secrétaire de Force Ouvrière, avait choisi cette AG pour intervenir devant la télé. Cette fois, la CGT était un cran en dessous. À la gare du Nord, elle a commencé par s’opposer aux assemblées interservices. Ce qui n’a pas été général et n’a pas posé de problème dans d’autres gares.

Si l’on en est à apprécier les uns et les autres : Force Ouvrière a été présente de bout en bout, mais préoccupée surtout de son positionnement par rapport à la CGT, d’apparaître plus radicale à moindre frais. Sud Rail n’a pas eu une attitude différente, malgré un langage radical et des actions coups de poing… pour se faire plaisir. L’arme la plus forte des directions syndicales dans ce mouvement (au-delà de la gare mais avec ses répercussions locales), a certainement été l’inertie : on ne s’oppose pas ou peu, mais on ne fait rien pour élargir, renforcer le mouvement. Et l’illusion demeure chez les travailleurs qu’il suffit qu’il y ait l’unité syndicale pour qu’un mouvement s’étende. L’unité est parfois réclamée à corps et à cri, en particulier par des syndiqués actifs, comme était réclamée en avril la grève reconductible… On a eu les deux et ça n’a pas produit l’effet escompté. J’ajouterai que, là où l’unité des directions syndicales est redoutable, c’est quand il s’agit de faire reprendre le boulot. Cette fois, à l’intersyndicale du jeudi 21 octobre et dans les jours qui ont suivi, la CGT a justifié les dates plus lointaines et espacées de manifestations par la crainte que « la CFDT s’en aille ». Il fallait « préserver l’unité ». Répété chez nous en assemblée générale, par des militants de la CGT, qui n’étaient pourtant pas moins déçus que d’autres de ces dates (et tonalité mollassonne du communiqué) peu favorables pour que les cheminots, comme ceux des raffineries et d’autres, qui étaient déjà depuis douze jours en grève sortent de l’isolement. L’ « unité » est souvent un gros pipeau qui cache le fait que tous sont d’accord pour ne rien faire, chacun se partageant les rôles (celui qui l’avoue, celui qui dit que c’est pour respecter l’autre, celui qui dit qu’il est contre mais qui ne propose rien…).

Et du côté de l’organisation des grévistes eux-mêmes ?

R  : On a souffert de l’absence d’une majorité des grévistes aux assemblées générales : 120 au mieux du mouvement. Faire grève chez soi, c’est avoir surtout le son de cloche du gouvernement. Et si cela n’a pas beaucoup de poids au début d’un mouvement, cela pèse plus fort quand il faut durer et tenir. On a beau dire, les AG donnent des idées et du moral… et il a fallu argumenter contre ceux (de la CGT surtout) qui prônaient la tenue d’AG séparées dans des chantiers avec peu de grévistes.

La faible mobilisation des sédentaires a pesé aussi sur la grève. Dans les AG, il y avait autant de sédentaires que de roulants, mais pas de comparaison en pourcentages de grévistes. Bien sûr la grève des roulants a un effet immédiat, celle des sédentaires est moins visible. Mais cela n’explique pas tout. Pour l’avenir, il faudra convaincre les grévistes et, en particulier les sédentaires, de venir aux AG. Faire grève à la maison, ça ne renforce pas la grève ni les grévistes.

L’ AG est le lieu central de la démocratie ouvrière, mais les grévistes devraient se doter d’un comité – élu – qui organise le débat et les décisions, soit indépendant des calculs pas très clairs – voire trop clairs – des appareils syndicaux, propose les actions. C’est dans ce sens qu’a été proposé un « bureau d’organisation de la grève » (BORG) que nous avons mis en place dès le début du mouvement, à l’instar de ce qui avait été fait lors de la grève de 2007. L’initiative et les efforts pour le faire vivre – même si son rôle n’a pas été majeur – sont venus d’une camarade de Lutte Ouvrière, épaulée par quelques autres (dont j’ai été). Important d’essayer car la grève appartient aux grévistes, à tous les grévistes, syndiqués ou non, qui mettent leur argent et leur énergie dans l’espoir de gagner. Si tous, en particulier les militants syndicaux, ont le droit de proposer et d’intervenir, personne n’a le droit de décider à la place des grévistes.

Dans les faits, le BORG a contribué à rendre vivantes les assemblées générales où n’intervenaient pas que les responsables syndicaux, à organiser des délégations de grévistes vers d’autres sites. Près de la gare du Nord, il y a trois hôpitaux importants, deux centres de tri, plusieurs bureaux de poste, deux ateliers de la RATP ainsi que plusieurs dépôts de conducteurs de métro ou bus… sans parler des nombreuses entreprises privées. On n’est malheureusement pas allés partout, mais vers la gare de l’Est (dans un gros cortège intersyndical que seule la CGT avait boudé, puis tous ensemble avant la manifestation du 28 octobre), vers un bureau de poste, deux sites de la RATP (dépôt de bus de la gare et atelier de réparation de Saint-Ouen), vers le gros centre d’ingénierie SNCF/Inexia à Saint-Denis. Et nous avons resserré les liens avec les camarades des ateliers du Landy, qui ont souvent rejoint nos AG.

Une conclusion ?

R : Je crois que le monde du travail a marqué des points dans cette bataille, qui n’est probablement pas finie. La presse a fait état de sondages montrant la plus grande politisation des jeunes aujourd’hui (en particulier des jeunes sans diplôme) et le déplacement de la revendication de liberté vers la revendication de justice sociale et solidarité. C’est un signe et un atout pour l’avenir : les jeunes – qui ont participé nombreux à la grève chez les cheminots – savent dans quel monde ils évoluent, voient dans quelles difficultés se meuvent leur parents, et que ces difficultés ne se résorbent pas mais au contraire augmentent. Pas besoin d’attendre la misère pour que tout le monde bouge. Il faut, par contre, se donner tous les moyens de réussir quand on se bat.

Mots-clés Entreprises , Interview , SNCF
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