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Histoire de l’assurance chômage, ou comment cogérer la misère

samedi 29 mai 2010

Ce qui est commun à tous les systèmes d’indemnisation du chômage depuis qu’ils ont vu le jour, c’est d’avoir fait la preuve que plus le sous-emploi se développait et moins ils étaient en mesure de protéger les chômeurs de ses effets.

Le chômage est une plaie inséparable du capitalisme. À part de brèves périodes de plein emploi liées à des circonstances exceptionnelles, le fonctionnement du système exige l’existence de ce que Marx a appelé une « armée industrielle de réserve ». Celle-ci permet tout à la fois de disposer d’une main-d’œuvre pour investir toujours davantage de capital et assurer ainsi sa croissance et, en même temps, faire pression à la baisse sur les salaires avec un même objectif : l’augmentation des profits.

Des caisses de solidarité ouvrières aux « fonds sociaux » de l’État

Pour s’occuper des exclus ont fleuri de tout temps des sociétés de bienfaisance assurant la charité aux indigents. Les caisses de secours des associations ouvrières furent créées à la fois pour soutenir les travailleurs se mettant en grève, dans le but d’empêcher la baisse des salaires, et ceux qui se trouvaient privés d’emploi.

En France, il a fallu attendre 1884 pour que soit abrogée la loi Le Chapelier interdisant les organisations ouvrières – en 1791, en pleine révolution bourgeoise – et que soient légalement reconnus les syndicats et leurs caisses de solidarité. En encourageant d’ailleurs ces dernières, qui amortissaient quelque peu la misère, le ministre de l’intérieur Waldeck-Rousseau, initiateur de la loi de 1884, espérait rallier les syndicats les plus réformistes et isoler la tendance révolutionnaire.

À partir de 1905, sous l’impulsion de Millerand, « socialiste de gouvernement », le Parlement inscrivit même au budget une subvention à répartir entre les caisses des syndicats, en distinguant le secours de grève du secours de chômage, ce dernier étant seul habilité à bénéficier de l’aide de l’État.

Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale et la désorganisation de la production, le pouvoir mit sur pied un « fonds national de chômage », destiné à subventionner des caisses de secours public, réparti cette fois par les départements et les communes à qui revint l’initiative de créer des fonds locaux pour leurs administrés. Une toute petite partie des chômeurs fut ainsi couverte. « En 1915, on dénombrait 52 fonds communaux dans la région parisienne et seulement 25 en province » [1]. Les ouvriers pris en charge par les caisses ouvrières subventionnées n’avaient pas le droit de cumuler ces indemnités avec les subsides des fonds locaux.

Ce système se prolongea bien au-delà de la Première Guerre. Pour toucher des indemnités il fallait donc non seulement résider dans une commune qui en distribuait mais encore répondre à de nombreuses conditions, situation de famille, cause du chômage, période d’activité préalable, moralité… sans compter le contrôle quotidien. Autant d’obstacles qui firent que seule une petite minorité pouvait bénéficier d’un système ne comblant de toute façon qu’une faible partie, variable selon les communes de résidence, de leur salaire antérieur. Ces principes de fonctionnement prédominèrent pendant la crise des années 1930, même si les subventions d’État furent alors majorées avec une progression du nombre des fonds de chômage.

Tandis que les caisses ouvrières déclinèrent jusqu’à pratiquement disparaître, l’assistance via l’aide publique se prolongea en fait jusqu’à la création, fin 1958, de « l’Allocation spéciale aux travailleurs sans emploi de l’industrie et du commerce », Assedic, et de l’Unedic (Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) dite par la suite assurance-chômage. Assedic et aide publique continueront à coexister et à se cumuler.

1958 - La création de l’assurance-chômage… en période de plein emploi

C’est en période de plein emploi – dû pour l’essentiel à la période de reconstruction succédant à la Deuxième Guerre mondiale et aussi aux guerres coloniales mobilisant une partie de l’appareil de production – que vit le jour cette assurance-chômage. Le chômage était pratiquement inexistant au moment de la création des Assedic. C’est en fait une volonté politique qui a présidé à sa naissance, celle du général De Gaulle, revenu à la tête de l’État comme « homme providentiel » porté par le putsch du 13 mai 1958 à Alger et les intrigues d’un certain nombre de politiciens du moment. C’était déjà sous la présidence de De Gaulle, première manière, pendant la période de l’immédiat après-guerre, sous un gouvernement incluant le Parti Communiste Français jusqu’en 1947, que la Sécurité sociale, entre autres, avait vu le jour, faisant une place importante dans son appareil de gestion à des représentants de la CGT.

Ce fut donc sous De Gaulle seconde manière, fin 1958, que fut créée l’assurance-chômage. Un organisme à gestion paritaire, associant syndicats et organisations patronales. La grande innovation : sa caisse allait être alimentée par des cotisations sur les salaires et non par le budget de l’État.

Plus que pour répondre au problème du chômage, il s’agissait alors d’offrir aux appareils syndicaux quelques « biscuits » (ou fromages…), permettant de leur faire franchir un nouveau pas dans leur intégration étatique. Mais pas tous les syndicats dans une même mesure. Depuis la fin de la période de l’après-guerre et la parenthèse du gouvernement tripartite 1944-47, avec le début de la « Guerre froide », ni les patrons ni les gouvernements successifs ne tenaient à trop favoriser la CGT dirigée par un PCF partagé entre sa défense de la bureaucratie russe et sa volonté d’intégration aux rouages de l’État français. Patrons et gouvernements successifs firent tout ce qu’ils purent pour mettre en avant des syndicats comme FO, la CFTC, la CGC. C’est ainsi que, dans les discussions sur l’assurance-chômage, la CGT, qui défendait la position d’une protection contre le chômage intégrée à la Sécurité sociale, où elle tenait ses positions, s’opposait à la mise sur pied d’une assurance-chômage spécifique. C’est ainsi qu’elle se trouva dans un premier temps écartée de la gestion de l’Unedic et des Assedic (elle a rejoint ensuite les autres syndicats). Toujours est-il que De Gaulle, dans la lignée de sa politique bonapartiste, ne cherchait pas à démolir les organisations ouvrières, comme le proclamaient le PCF et une partie de l’extrême gauche à l’époque, mais à les intégrer et en faire de meilleurs instruments pour le maintien d’une certaine « paix sociale ». D’où cette assurance-chômage… en absence de chômage.

Plus le chômage grimpe et plus « l’assurance » devient restrictive

L’Assedic pouvait sur le principe paraître un progrès considérable par rapport aux autres systèmes de protection : les bénéficiaires potentiels de la couverture Assedic (et, au début, il s’agissait seulement des salariés dépendants des patrons affiliés au CNPF) étaient proportionnellement beaucoup plus nombreux que les ayants droits de l’aide publique. Le taux de l’indemnité, proportionnel au salaire précédent (35 % du salaire de référence au début, puis 40,25 % pour les trois premiers mois à partir de 1967), correspondait à des sommes bien supérieures aux aides publiques. Aucune condition de ressources ou familiales n’entrait en ligne de compte. Par contre la durée des versements était limitée dans le temps et des conditions de durée d’activité préalable pouvaient éliminer nombre de chômeurs.

En plus de ces indemnités, venait s’ajouter, mais seulement dans les communes et départements où elle existait, l’aide publique, jusqu’en 1967. Toutes les communes n’ayant pas de fonds et cette aide étant variable, des ouvriers licenciés d’une même usine pouvaient, s’ils ne résidaient pas dans les mêmes municipalités, toucher des indemnités différentes au titre de l’aide publique ou ne pas en toucher du tout. Cette iniquité arrangea bien le patronat : elle était favorable à la migration des chômeurs potentiels des communes rurales vers les grandes villes industrielles où les besoins de main-d’œuvre se faisaient alors sentir.

Il a fallu attendre les ordonnances du 13 juillet 1967 pour que l’aide publique soit généralisée à l’ensemble du territoire. Puis, en 1979, à un moment où la croissance du chômage posait à nouveau des problèmes d’équilibre financier, sous l’effet d’une loi et ensuite d’un accord, le financement du régime d’indemnité fut modifié, conduisant à la fusion de l’allocation du régime d’assurance-chômage et de l’aide publique. L’État versait dorénavant sa subvention dans le nouveau régime, se réservant des possibilités d’intervention. Du paritarisme davantage sous contrôle...

À partir du moment où le chômage entama une croissance continue ou se maintint moyennant quelques variations à un haut niveau, de nombreuses modifications des règles intervinrent, dont il n’est pas possible ici de faire un rapide résumé tant elles furent nombreuses et fréquentes [2] . On peut dire que tous les remaniements ont tourné autour du niveau des cotisations, des restrictions pour bénéficier du régime, qu’elles ont porté sur les conditions de durée des bénéficiaires, ou des allongements de la période préalable, ou sur la dégressivité des allocations, sur le contrôle et les motifs de radiation… Toutes ont finalement contribué à rétrécir la couverture des chômeurs tout en faisant payer de plus en plus cher les cotisants, en laissant de côté une proportion toujours plus grande de non-bénéficiaires.

Ce système d’assurance-chômage, aussi mirifique qu’on ait pu nous le présenter quand il n’y avait pas de chômeurs, n’était finalement pas plus apte que d’autres à protéger les travailleurs de cette plaie inhérente au système capitaliste. Il reste un cautère sur une jambe de bois.

Louis GUILBERT


De l’allocation dégressive aux exclusions de l’indemnisation

Parmi les innombrables remaniements de l’assurance-chômage, voici quelques éléments sur les plus récents.

À partir de 1992, après une période où le chômage avait progressé régulièrement, un nouvel accord entrait en application mettant en œuvre l’Allocation unique dégressive, AUD. Le montant de l’allocation devint dégressif dans le temps par paliers de quatre mois, et les durées d’indemnisation pour ceux qui avaient une faible durée d’affiliation furent fortement réduites. Le tout était accompagné d’une augmentation de cotisation de 0,40 % de la part patronale comme de la part salariale. Résultat, le pourcentage de chômeurs indemnisés par rapport à l’ensemble des demandeurs d’emploi passa de 52,4 % en 1992 à un peu plus de 42 % en 1997, soit une chute de près de 10 points.

En juillet 2001 était instauré le Plan de retour à l’emploi, le PARE qui fit l’objet d’un accord entre patronat et syndicats, à l’exclusion de la CGT et de FO. Un engagement était signé entre le chômeur et l’Assedic prétendument pour que celui-ci retrouve rapidement un emploi. Deux ans après l’entrée en vigueur du PARE, les chiffres fournis par l’Unedic montraient que la durée moyenne d’indemnisation avait diminué de neuf jours en 2002 par rapport à 2001 et de vingt-hui jours par rapport à 2000. Le but du PARE était de faire accepter aux chômeurs les boulots dont ils ne voulaient pas jusque-là, sous la menace de les exclure de l’allocation. C’était en réalité un moyen de faire sortir du régime des centaines de milliers de chômeurs.

Au PARE a succédé le PPAE, Projet personnalisé d’accès à l’emploi, par la convention chômage du 18 janvier 2006. Le chômeur doit s’impliquer dans les actions qui lui sont proposées, sous peine de sanctions, jusqu’à suppression totale des allocations. Sont définis des critères géographiques et des critères de salaire : « Le salaire horaire afférent à l’offre raisonnable d’emploi doit être au moins égal aux minima conventionnels et, dans tous les cas, au moins égal au SMIC horaire. En outre, il doit être conforme au salaire normalement pratiqué dans la région et pour la profession concernée ». Autrement dit, il peut être inférieur au précédent salaire du chômeur…

Conclusion : il est toujours de plus en plus facile de faire sortir le chômeur du droit à l’allocation spécifique. Pas étonnant qu’ils soient moins de la moitié à être indemnisés !

L.G.


[1Tiré de « L’État face aux chômeurs » de Christine Daniel & Carole Turchszirer. Un ouvrage bien documenté et bien fait sur « l’indemnisation du chômage de 1884 à nos jours » (sous titre du livre)édité en 1999.

[2On trouvera cet intéressant historique détaillé dans les quelques 400 pages de l’ouvrage déjà cité.

Mots-clés Chômage , Histoire , Société
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