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Lettre au Comité Central de Lutte ouvrière (28 janvier 2008)

vendredi 21 mars 2008

Chers camarades,

La Fraction L’Étincelle de Lutte ouvrière demande au Comité Central d’annuler la décision de « suspension » prise par le Comité Exécutif il y a huit jours et qui s’est immédiatement traduite par une série de mesures disciplinaires équivalant à l’exclusion de la Fraction : exclusion du CE des membres de la Fraction élus par le CC à l’issue du congrès, exclusion de camarades de la Fraction participant aux réunions échos des bulletins d’entreprise Lutte Ouvrière , arrêt des livraisons de l’hebdomadaire aux membres de la Fraction, annulation des réunions de cellules communes, censure de la publication de la tribune hebdomadaire de la Fraction.

Cette suspension constitue effectivement une remise en cause des accords passés entre la majorité et la Fraction comme l’indique notre hebdomadaire. Mais cette remise en cause est le fait de la majorité, ce qu’il omet d’indiquer. Elle est parfaitement injustifiée aussi bien organisationnellement que politiquement.

Même le prétexte invoqué pour la justifier est faux. Le camarade de Wattrelos membre de la Fraction (qui conduisait la liste LO aux municipales de 2001) et ses sympathisants auraient caché, en prospectant pour constituer leur liste aux municipales, la nature exacte de leurs liens organisationnels avec Lutte Ouvrière ? Ils n’auraient pas dit qu’ils étaient éventuellement membres ou sympathisants de la Fraction mais n’étaient pas ou plus membres de LO ? Et ils auraient ainsi fait croire aux anciens de la liste de 2001 comme aux nouveaux candidats qu’ils constituaient une liste au nom de LO et avec son accord ? C’est une contre-vérité.

Les articles des journaux locaux La Voix du Nord et Nord-Éclair rendant compte de la conférence de presse tenue par ces camarades, que nous joignons à cette lettre, témoignent de l’attitude claire qu’ils ont à ce sujet. Cette conférence de presse a été tenue en présence des principaux candidats de la liste de 2001. Par quel autre moyen que par voie de presse pourrait-on rendre plus largement public, bien au-delà de ceux qui ont été contactés pour être candidats, que cette liste n’est pas soutenue par Lutte Ouvrière (ce que nous regrettons) et se présente sur une politique (en particulier vis-à-vis de la gauche et du député-maire sortant PS) différente de celle de la majorité de l’organisation ? Prétendre que ces camarades laissaient entendre qu’ils sont de Lutte Ouvrière n’était donc qu’une élucubration non vérifiée, dans le meilleur des cas, ou, dans le pire, un mensonge délibéré.

La vérité sur Wattrelos

Les camarades qui conduisent la liste en question ont été élus sur la liste LO en 2001. Constituée pour beaucoup de leurs proches, collègues de travail ou voisins. Depuis ils ont représenté LO au conseil municipal. Jusqu’en décembre dernier nul camarade de la majorité n’avait suggéré qu’ils auraient dû annoncer dans ce conseil qu’ils n’étaient plus de LO. Tout au contraire leurs interventions étaient discutées avec les camarades de la majorité qui n’ont jamais émis d’objection à ces positions, en particulier au refus systématique de voter le budget de la majorité de gauche et du député-maire PS. Ce budget a contenu en effet systématiquement des points allant à l’encontre des intérêts des travailleurs et de la population de Wattrelos. Le camarade de la Fraction qui conduira la liste était encore aux législatives de juin dernier candidat suppléant Lutte Ouvrière sur la circonscription. Et là non plus, évidemment, on ne lui a pas demandé de spécifier « qu’il n’était plus de LO » à tous ceux auprès de qui il faisait campagne.

Cette exigence ne date que de quelques semaines. Elle provient du fait que, à Wattrelos comme ailleurs, la majorité a décidé d’exécuter un tournant à 180°, de renier toute la politique suivie jusque-là, celle sur laquelle en 2001 elle a présenté et donc engagé 5 000 candidats et en a fait élire quelques-uns, dont les camarades de Wattrelos.

Cette exigence n’a été formulée que très récemment mais elle avait été préparée en sous-main depuis un peu plus longtemps puisque la majorité a fait déménager à l’automne un de ses camarades à Wattrelos. De toute évidence elle envisageait donc déjà d’écarter a priori les camarades élus (dont elle approuvait pourtant la politique depuis 6 ans). Elle ne voulait pas d’entrave pour aller discuter avec le maire, lui quémander une place sur sa liste et lui promettre, s’il accédait à cette demande, de voter son budget sans barguigner (ce qui n’a pas empêché le maire de se moquer d’elle et de la lanterner… comme quoi même la plus grande platitude à son égard ne refait pas un politicien habile du PS). Et pour mener cette nouvelle politique, ceux qui avaient mené la politique inverse (encore une fois au nom de LO et avec l’aval de la majorité) devenaient gênants et à écarter.

S’étant heurtée au refus net des camarades de se désavouer et de désavouer la politique menée depuis 7 ans par LO, la fraction majoritaire les a accusés… d’incorrection organisationnelle (chacun jugera de quel côté est cette incorrection ; une majorité des candidats de la liste 2001 encore présents sur Wattrelos ont en tout cas déjà jugé et ont choisi, en toute connaissance de cause comme on l’a dit, le parti des camarades de la Fraction).

Alors que la majorité était toujours en pourparlers avec le maire (et qu’elle ne prospectait que vaguement pour sa propre liste… d’ailleurs sans dire, à notre connaissance, que cette liste resterait fantôme au cas où le maire serait complaisant, donc en trompant là réellement les éventuels candidats), les camarades (et la Fraction) ont donc décidé de faire une liste clairement d’extrême gauche, avec le soutien de LO si elle le voulait bien, ou autrement sans ce soutien. Mais à toutes les étapes, les camarades ont dit ce qu’ils projetaient de faire à ceux de la majorité et ont systématiquement proposé, et le proposent encore, de monter leur liste avec eux.

Le bruit d’une « collusion » Fraction-LCR a été répandu dans l’organisation auprès de l’ensemble des camarades forcément peu au courant. En fait la LCR n’existe pas sur la ville, elle nous a simplement offert son « soutien » mais n’aura aucun de ses membres sur la liste, et pour cause. En revanche la nouvelle que LO, au moins à Nantes, peut-être ailleurs, a sollicité la LCR pour faire liste commune, contrairement à l’orientation décidée en congrès, est plus vraie mais moins répandue. Est-ce parce que là, c’est la majorité elle-même qui s’assoit sur ses propres résolutions ? En tout cas à Wattrelos plutôt qu’une collusion Fraction-LCR contre LO, nous avons eu une tentative de collusion PS-majorité LO contre la Fraction. Écarter nos camarades et perdre la confiance d’une bonne partie des candidats LO de 2001, dans l’espoir d’acquérir une place sur la liste du maire, c’est cher payé… pour une livraison qui n’est pas encore faite et ne se fera peut-être jamais.

La vraie raison politique

Et là nous en arrivons au fond politique de toute l’affaire. Si la majorité nous excluait, ce que nous ne souhaitons pas et que nous vous demandons de refuser, ce serait pour la même raison qu’elle a écarté les camarades de Wattrelos : pour se débarrasser de ceux qui dans les rangs de LO sont opposés au cours nouveau, sont décidés dans la période qui vient à en défendre un autre et sont prêts à confronter à tout moment les résultats des deux et tirer le bilan.

En conclusion du tout dernier congrès et de l’affrontement qui venait d’avoir lieu entre la majorité et la Fraction, Hardy a proposé que dans un an nous fassions le bilan de la politique des uns et des autres. Nous avons bien naturellement accepté le défi. La majorité semble maintenant désireuse de ne pas le tenir. Craindrait-elle que, comme nous le prédisons, sa politique actuelle débouche sur l’échec ou pire une dérive désastreuse, voire les deux ?

La recherche d’alliances avec la gauche pour les prochaines municipales a été présentée au début comme purement tactique, dans le but d’avoir un nombre d’élus plus grand que si LO concourait toute seule. Personne, en tout cas pas la Fraction, n’est opposé à ce que l’organisation ait le maximum d’élus dans les conseils municipaux. Nous comprenons que pour des camarades qui ne peuvent pas ou plus avoir un travail d’entreprise, en particulier nos camarades retraités, tout ce qui peut aider à un travail local soit le bienvenu.

Dès le début pourtant, il nous a semblé que le rôle possible des élus en tant que tels était surestimé, en même temps qu’étaient sous-estimés l’importance de la manière dont ces élus pourraient l’être et le fil à la patte que constituerait inévitablement le fait de l’avoir été grâce à la protection de la gauche et en particulier du PS. On nous disait à ce moment-là qu’il s’agissait d’un accord pour les seules élections, impliquant sans doute des engagements pendant la campagne électorale elle-même, mais pas au-delà. Nous craignions déjà alors ces engagements-là mais nous sommes maintenant absolument opposés à ceux à plus long terme, en particulier celui de faire partie de la majorité municipale, de voter le budget pendant les six ans à venir, d’accepter des postes d’adjoints au maire, bref d’être des alliés loyaux de la gauche (en clair d’être subordonnés au PS comme le sont tous ses alliés, Verts, PCF, Radicaux ou autres MRC).

Or ce sont ces engagements que, au fil des semaines et des négociations tous azimuts avec la gauche, les camarades ont pris et prennent. Et là, le fil à la patte n’est plus éventuel ou hypothétique mais solidement noué, par LO elle-même, pour les années à venir. En pratique LO entre dans l’union de la gauche. Elle le proclame d’ailleurs comme en témoignent les changements de justification de cette politique qui d’une affaire tactique pour avoir des élus est devenue d’abord «  que nous ne voulons pas que, dans la situation politique actuelle, nos listes puissent nuire aux listes de gauche  » (article de Roger Girardot dans LO n° 2051 du 22 novembre 2007). Et puis maintenant volonté de participer à « l’union de toutes les forces de gauche » : «  Dans les circonstances politiques actuelles, Lutte Ouvrière souhaite qu’il y ait dès le premier tour une union de toutes les forces de gauche et elle est prête à y participer (souligné par nous). Ses candidats se présenteront donc sur de telles listes d’union, sauf si le Parti Socialiste, le Parti Communiste ou les deux refusent cette alliance et préfèrent la division. Ce n’est que dans ce cas que Lutte Ouvrière présentera ses propres listes.  » (LO numéro 2060 du 25 janvier 2008).

Ainsi l’organisation en est à prôner « l’union de la gauche », dans les élections, prête à former une majorité de « gouvernement » avec elle ? Bien sûr, il ne s’agit que de gouvernement municipal aujourd’hui ? Mais même si ce n’est que le gouvernement municipal, dans les grandes villes il a bien déjà quelques pouvoirs (y compris de nuisance vis-à-vis des classes populaires). Et demain ? Une fois que nous aurons mis le pied dans des dizaines (des centaines ?) de majorités municipales d’union de la gauche, quelle sera donc la suite ?

Il est frappant que toutes les conditions mises aujourd’hui en avant pour justifier cette union de toutes les forces de gauche seront toujours d’actualité dans les années à venir : pour les européennes en 2009, pour les régionales en 2010, voire les législatives en 2012. Alors comme aujourd’hui, pour avoir des élus, vu des règles du scrutin encore plus défavorables aux petits partis, il ne sera pas moins nécessaire (encore plus même qu’aux municipales) de se placer sur des listes de gauche et non de constituer des listes d’extrême gauche. Alors, la gauche ne sera toujours pas au gouvernement mais dans l’opposition. Alors donc, il serait logique que la politique de LO d’union de la gauche se poursuive.

Nous soutiendra-t-on alors que, malgré tout et malgré toutes les trahisons passées et à venir de cette gauche, il vaut mieux un conseil régional de gauche que de droite, voire un parlement européen, voire un parlement tout court, voire finalement un gouvernement ? C’est la banale thèse de tous, Verts, PCF et autres, pour justifier leur subordination au PS. Leur autre justification pour maintenir cette subordination étant qu’ils conservent leur liberté de parole et de critique : en effet le PS peut bien les laisser parler… du moment qu’ils apportent leur vote et leur soutien aux moments décisifs, comme celui du vote du budget (quelles que soient les conséquences de celui-ci pour les travailleurs ou les pauvres).

Nous souhaitons, bien sûr, que notre organisation sache stopper une dérive qui a sérieusement commencé avec ces municipales. Nous sommes en tout cas franchement et ouvertement opposés à ce cours, et comptons bien nous y opposer tout aussi fermement à l’avenir dans toute la mesure de nos moyens. Nous ne l’avons pas caché depuis des mois, ni dans nos écrits publics, ni au congrès.

Voilà en tout cas le véritable sujet sur lequel vous avez à vous prononcer en décidant de confirmer ou d’annuler notre « suspension ». Ou bien LO est capable de supporter le sérieux débat qui engage son avenir et celui du mouvement révolutionnaire dans ce pays, en tout cas pour les prochaines années. Ou bien elle préfère tenter de l’étouffer, en tout cas en son sein car il continuera de toute façon à l’extérieur, en excluant l’opposition à ce cours actuel, que nous estimons suicidaire pour une organisation révolutionnaire. En acceptant la constitution d’une fraction, avec tout ce que cela impliquait de possibilité d’expérimentation d’une politique différente, notre organisation avait parié, pensions- nous, sur le débat, y compris public, et la confrontation pratique des politiques, seule façon en effet de tirer conclusions et bilans. En l’excluant aujourd’hui, elle dirait qu’elle ne peut plus supporter ce débat dans ses rangs. Une curieuse façon d’avancer vers ce parti révolutionnaire, marxiste, léniniste, trotskyste qu’elle entend construire !

Voilà aussi pourquoi nous demandons au Comité central de revenir sur la décision prise à notre égard.

Nous nous sentons pleinement de Lutte ouvrière, y compris ceux d’entre nous que vous vous refusez de reconnaître comme membres de notre organisation. Mais c’est pour nous une raison supplémentaire de ne taire ni nos désaccords avec la politique de notre organisation ni nos critiques à son égard.

En toute camaraderie communiste révolutionnaire.

Le 28 janvier 2008

La Fraction l’Étincelle de Lutte Ouvrière

Mots-clés Fraction L’Etincelle , Lutte ouvrière , Politique