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Algérie : Après le boycott des élections

mardi 9 juillet 2002

Les élections législatives du 30 mai en Algérie ont été un camouflet pour la dictature. La Kabylie, en révolte depuis plus d’un an, a connu une véritable mobilisation contre le scrutin. Des milliers de gens ont coupé les routes et voies ferrées, occupé les lieux de vote, brûlé les urnes, affronté les forces de l’ordre et finalement bloqué l’activité par la grève générale.

Dépassant de loin la fraction kabyle de la population, 15 wilayas (régions) sur 49 ont boycotté le scrutin, 52,5 % d’électeurs se sont abstenus (contre 35% au scrutin précédent de 1997) et 69% dans la capitale. La liste des villes qui ont connu une abstention massive ressemble à s’y méprendre à la liste des villes qui ont connu des émeutes ces derniers mois : Oum El Bouaghi, Batna, Ouargla, Blida, Aïn Defla, et Constantine. Le quotidien Le Matin du 5 juin affirmait : « La destruction de plusieurs dizaines d’entreprises publiques, réduisant au chômage des dizaines de milliers de personnes, constitue une bonne raison qui a conduit de nombreux citoyens à rester chez eux le jour du scrutin ». Les élections n’ont même pas interrompu les manifestations des citadins comme des villageois comme celle d’Abdla (Béchar) contre le manque d’eau. La population pauvre, victime du manque d’eau, de la hausse des prix, de l’absence de santé publique, des immeubles qui s’effondrent suite à l’inondation et de la misère générale en a assez. Assez de voir le luxe insolent de la classe dirigeante. Assez de constater qu’en Algérie les fortunes se bâtissent plus vite que n’arrivent les aides pour les victimes des inondations ou des tremblements de terre. Assez de voir que les terroristes repentis sont aidés plus rapidement que leurs victimes. L’abstention réelle dépasse certainement les chiffres officiels mais de toute manière il est impossible de cacher le désaveu du pouvoir qu’elle exprime.

Une population résolue

L’ancien parti unique, le FLN, mis à l’écart après les émeutes de 1988 et la vague de grèves ouvrières, sort largement vainqueur avec plus de la moitié des voix. Il a une majorité assurée au parlement comme au gouvernement. A l’époque, le régime avait sacrifié le FLN, comme un fusible, sans bien sûr remettre en cause le vrai pouvoir : celui des chefs militaires, véritables maîtres du pays et notamment détenteurs des revenus du gaz et du pétrole. Le multipartisme avait entraîné de nombreuses illusions dans la petite bourgeoisie et la jeunesse ou même dans une partie des classes populaires. Un peu plus de dix ans après la mise en place d’un système qui permet un choix formel entre plusieurs partis, les Algériens, qu’ils votent ou qu’ils s’abstiennent, n’attendent plus rien des élections.

La répression, loin d’être une démonstration de force du pouvoir, a même été plutôt une démonstration de faiblesse. Interdiction de la campagne de boycott des élections et menace d’arrestation de ceux qui s’y livreraient n’ont pas suffi. Les procès, avant les élections, non seulement des délégués et des manifestants de Kabylie mais aussi des manifestants arrêtés lors des émeutes dans le reste du pays, les lourdes peines de prison, l’arrestation des étudiants d’Alger parce qu’ils avaient conspué Bouteflika, non plus.

Aucun discours politique n’a eu raison de la détermination des plus pauvres de montrer leur colère en refusant de voter. Aucun discours, menaçant ou démagogique, n’a pu faire oublier aux chômeurs leur misère, aux habitants le manque d’eau et de logement, aux citoyens l’arrogance et la corruption des APC (municipalités). Les interventions de la centrale syndicale UGTA contre l’abstention n’ont pas convaincu les travailleurs victimes de sacrifices et menacés par les licenciements. Les attentats terroristes dans des zones jamais touchées jusque là n’ont pas suffi à faire reculer la population kabyle. Bouteflika a bien tenté de relancer l’hostilité vis-à-vis du Maroc sur la question du Sahara, de prétendre que le boycott allait affaiblir l’Algérie face aux grandes puissances, de présenter les boycotteurs comme des fauteurs de division du pays, des agents de l’étranger ou même de simples bandits ! En vain.

Les limites du boycott

Le boycott a permis d’exprimer un ras le bol général. Il a été une nouvelle manière de gêner le pouvoir comme le sont les manifestations de mécontentement que connaît l’Algérie. Mais ce n’est nullement un moyen de le déstabiliser réellement, encore moins de le renverser. Le mouvement, qui dure pourtant depuis plus d’un an, n’a d’ailleurs même pas contraint le pouvoir à reculer réellement et à céder à des revendications partielles. Même la reconnaissance formelle de la langue berbère n’a été qu’une manœuvre pour mieux diviser.

Il ne suffira pas d’expliquer ce blocage de la situation en dénonçant le pouvoir. Celui-ci sera toujours aussi dictatorial et oppressif tant qu’on ne le contraindra pas à reculer ou qu’on ne le fera pas tomber. Mais justement comment parvenir à ce résultat ? Sur quelle force sociale et sur quelle organisation politique s’appuyer ? Et en se battant sur quel programme ? Voilà des questions que l’on aurait espéré voir progresser en plus d’un an de lutte et d’organisation des comités de base de la Kabylie !

Mais trop de leaders du mouvement n’ont pas grand chose à voir avec les jeunes chômeurs, et les jeunes lycéens qui ont démarré la révolte. Ils ne sont pas des porte-parole des revendications ni des aspirations que ces jeunes avançaient. Bien des dirigeants politiques qui se disent aujourd’hui du côté de la lutte étaient à son début dans le bord opposé, soit au pouvoir central comme le RCD soit au pouvoir régional comme le FFS, soit ne cherchaient qu’à arrêter ou à canaliser cette lutte, à lui enlever son contenu social, son caractère spontanément explosif et contagieux. Et ceux qui ont scellé le programme des comités (la plate-forme d’El Kseur), s’ils ont montré leur détermination, ont également voulu cacher les problèmes qui les divisaient.

Toutes les questions qui devraient être en débat d’un bout à l’autre du pays sont écartées. Et le risque est grand que demain le mouvement ne soit dévoyé, comme le mouvement culturel berbère du début des années 80 l’a été par le FFS et le RCD, comme le mouvement de 1988 (révolte des jeunes et grèves ouvrières) a été trahi par le PAGS, l’UGTA et le FFS, pour finalement déboucher sur la montée du FIS.

L’impasse politique

Dès à présent des dirigeants réactionnaires comme ceux du MAK - Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie - visent des buts complètement en contradiction avec les objectifs des jeunes initiateurs de la révolte. Le FFS et le RCD ont appelé au boycott mais ce n’est pas eux qui en ont lancé le mot d’ordre qui leur a été imposé en fait par la révolte persistante. Ces deux partis participent au mouvement mais sans lui ouvrir de perspective. Le RCD était encore au gouvernement quand la révolte a commencé et il lui a fallu plus de deux semaines de tuerie des forces de l’ordre contre des jeunes désarmés pour se retirer. Il se dit aujourd’hui ferme partisan du mouvement mais son passé trop récent d’appendice du pouvoir le discrédite a priori. Quant au FFS, il a attendu jusqu’au dernier moment pour céder finalement à la pression et s’abstenir de participer aux élections. Ni les uns ni les autres ne visent au renversement de la dictature, à la fin de l’oppression et de l’exploitation. Tous attendent au contraire le moment de pouvoir négocier avec les hommes actuellement au pouvoir.

Les faiblesses et les défauts de l’extrême gauche restent ceux qu’ils sont depuis l’indépendance. Le PST organise des enseignants et des étudiants et met en avant des objectifs démocratiques. Le PT de Louisa Hanoun doit son succès et ses vingt élus à son alignement sur Bouteflika contre le boycott. C’est dire que ni l’un ni l’autre n’ont comme priorité la construction d’une force politique prolétarienne indépendante. C’est pourtant bien sur la construction d’une extrême gauche liée à la classe ouvrière et sans compromission avec aucune force bourgeoise ou petite-bourgeoise que doit porter l’effort de ceux qui souhaitent offrir une véritable issue aux luttes de demain.

25 juin 2002

Robert PARIS

Mots-clés Algérie , Monde