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Bolivie : Révolution... électorale

mardi 20 décembre 2005

Même si les résultats officiels ne sont pas encore publiés, Evo Morales, le leader des paysans cocaleros (cultivateurs de la feuille de coca) et du parti MAS (Mouvement pour le socialisme) est donné gagnant de l’élection présidentielle bolivienne de dimanche dernier.

Cette élection suscite certainement bien des espoirs parmi les classes populaires. Morales serait le premier président indien de toute l’histoire du pays. Les Indiens représentent plus de 60 % de la population mais ils n’ont eu que très récemment leurs premiers députés, et ils sont parmi les plus démunis. Le futur président est lui-même issu d’une famille aymara très pauvre de la région minière d’Oruro, contrainte d’abandonner les mines pour l’agriculture, la seule possibilité pour les anciens mineurs, dans ces années 1985-1986 où le secteur minier a massivement licencié.

Il y a dix ans, Morales fondait le MAS et se faisait surtout connaître en organisant syndicalement les paysans cultivateurs de coca, en butte à de violentes opérations d’éradication patronnées par les Etats-Unis. Car pour un grand nombre de petits paysans boliviens, avec l’effondrement du cours du café notamment, la coca est devenue la seule culture qui permette de survivre. En 2003, Morales était à la tête de la marche sur La Paz de milliers de paysans de l’Altiplano pour défendre les cultures de coca mais aussi pour réclamer la nationalisation du gaz, principale richesse du pays, dans un mouvement où les paysans boliviens se sont retrouvés aux coté des mineurs, dirigés par la centrale syndicale COB, et des habitants d’El Alto, l’immense faubourg ouvrier de La Paz.

Depuis des années, le pays a connu une succession de luttes pour la survie des paysans, la nationalisation du gaz, dont 80 % est exploité par des compagnies étrangères (américaines, mais aussi Total) et contre la cherté de l’eau dont un certain nombre de compagnies (en particulier la Lyonnaise des Eaux) ont accaparé le marché. Ces luttes ont conduit à la chute de deux présidents. Le 17 octobre 2003, Sanchez Lozada donnait sa démission, alors que 200 000 manifestants encerclaient le siège du Congrès. Son successeur, Carlos Mesa, avait alors promis d’augmenter les royalties imposées aux sociétés étrangères pour l’exploitation des hydrocarbures et obtenu ainsi une trêve de la part du MAS de Morales, de la centrale syndicale COB et des autres mouvements d’opposition. Mais au printemps 2005, les luttes explosaient à nouveau : une nouvelle loi sur les hydrocarbures portait certes à 50 % le taux des taxes prélevées par l’Etat sur le gaz, mais légalisait les privatisations effectuées dans ce domaine. Une marche de 40 000 paysans arrivait à La Paz en mai, suivie par une grève générale, des blocages de route et l’occupation du centre de la capitale. Mesa démissionnait à son tour, provoquant la présente élection présidentielle.

« Bête noire de Washington », Morales, comme l’écrit Le Figaro  ? Peut-être. Révolutionnaire ? Sûrement moins. Son parti préconise la conquête du gouvernement par les élections. Il a certes promis de tripler le salaire minimum (48 euros mensuels actuellement), de « combattre l’impérialisme américain » et de nationaliser le secteur des hydrocarbures. Mais il affiche aussi son souci de rassurer les grandes compagnies étrangères, déclarant notamment que nationaliser, « cela ne veut pas dire confisquer les biens des multinationales, nous avons besoin de partenaires ».

Plus caractéristique encore est le choix du second de campagne du MAS, Garcia Linera, qui sera vice-président si Morales est définitivement élu. Il proclame vouloir « l’alliance du poncho et de la cravate », en clair de l’identité indienne et des cadres et hommes d’affaires. Il est lui-même de la « cravate », représentant, écrit le journal Le Monde des « jeunes universitaires et cadre promus conseillers du candidat ». Il promet aux chefs d’entreprise de Santa Cruz, la métropole économique et partie la plus riche du pays, l’autonomie régionale que ceux-ci revendiquent. Comme il promet la tranquillité pour les propriétaires fonciers soumis à la pression des paysans sans terre. Et d’entrée le futur vice-président se dit homme de l’ordre : « Nous avons isolé les leaders radicaux et signé un accord avec les mouvements sociaux, mais, le cas échéant, l’autorité de l’Etat devra prévaloir ». Quant à des alliances pour former leur futur gouvernement, Morales et Linera sont prêts à en passer avec le candidat centriste, Samuel Doria Medina, chef d’entreprise.

Ce nouveau président latino-américain de gauche, qui aime se dire le « petit frère de Lula », se veut donc rassurant vis-à-vis de la bourgeoisie bolivienne comme des hommes d’affaires et investisseurs étrangers. Washington ne s’y trompe pas, dont le porte-parole du Département d’Etat a déclaré qu’après « plusieurs années de chaos », il fallait respecter le choix démocratique et juger le futur président à ses actes, plus qu’à ses paroles passées. Autant dire que les ouvriers et les paysans pauvres de Bolivie ont toutes les raisons de se défier du futur gouvernement et eux aussi, de le juger à ses actes.

Dans ce pays, le plus pauvre d’Amérique après Haïti, où plus de 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, ce ne sont pas les richesses naturelles qui manquent : l’or, l’argent, l’étain, le pétrole, et plus récemment découvert, le gaz. Travailleurs et paysans sont révoltés de voir que jamais cette richesse ne leur profite, accaparée par les multinationales. Le nouveau pouvoir pourrait bien, et nous l’espérons, ne pas réussir à désarmer les paysans et ouvriers boliviens qui ont une longue expérience de lutte.

Lydie GRIMAL