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Combattre l’antisémitisme

4 février 2004

Il y a sans doute un peu d’exagération à prétendre que l’antisémitisme aurait fortement progressé en France ces dernières années. Les chiffres en tout cas le démentent : 588 actes et menaces antisémites en 2003 contre 932 en 2002, soit une baisse de 37 % selon le bilan que vient de présenter le ministère de l’intérieur. Mais les chiffres ne disent pas tout non plus.

L’antisémitisme n’a jamais disparu en France malgré la tragédie de la deuxième guerre mondiale. Beaucoup ont préféré depuis l’oublier. Mais à la fin des années 1980, les « petites phrases » d’un Le Pen ont brutalement mis en lumière les possibilité d’exploiter encore ce terreau, car il ne s’agissait évidemment pas d’un dérapage incontrôlé, mais bien d’un signal adressé à ses électeurs, ou en tout cas d’un coup de sonde. Les déclarations plus récentes d’un Latrèche (le président du Parti des Musulmans de France) vont également dans le même sens : il y a depuis longtemps des amalgames et des confusions qui traînent dans certains milieux d’origine maghrébine. Mais l’occasion existe peut être désormais d’aller plus loin, et tenter d’exploiter sur ce terrain la colère et les révoltes nées tout à la fois du sort réservé aux Palestiniens au Proche-Orient et celui qui est réservé aux jeunes issus de l’immigration en France.

Quelle que soit l’importance réelle de l’antisémitisme, ou la part d’exagération née de la peur elle-même, il est évident qu’il faut le combattre et que cela doit rester plus que jamais une préoccupation. A condition de ne pas se tromper de cible.

Des chausse-trappes

Les initiatives du Crif et notamment les déclarations de son président Roger Cukierman visant à propager un amalgame entre antisionisme et antisémitisme tout en mettant en cause les altermondialistes ainsi que les « révolutionnaires trotskistes et athées » (cité dans Libération daté du 2 février, à l’occasion de son dîner annuel), comme l’empressement de la droite et même du PS à couvrir ce genre de propos, n’aident pas à combattre l’antisémitisme. C’est au contraire un jeu dangereux, une manipulation qui risque de se retourner contre la population juive elle-même.

C’est une opération politique qui trouve son origine dans le gouvernement Sharon accusant la France d’être « un pays antisémite », propos repris par le Likoud et ses relais parmi la population juive en France. C’est une opération dont les enjeux sont multiples, visant tout à la fois à faire pression sur la politique extérieure du gouvernement français, à faire pression sur les juifs de la diaspora pour les encourager à partir au moment où Sharon achève la clôture séparant Israël d’une partie des territoires occupés (avec le problème démographique que dans dix ans, la majorité des Israéliens ne seront pas juifs), et surtout à circonscrire l’indignation qui ne peut que s’amplifier au vu de la politique terroriste pratiquée par le gouvernement Sharon (indignation qui concerne également les juifs qui peuvent se sentir solidaires d’Israël mais pas de Sharon).

C’est un jeu dangereux car de telles déclarations semant la confusion n’empêcheront pas un grand nombre de gens d’être révoltés par les exactions de l’armée israélienne. Mais elles favoriseront inévitablement par ricochet une certaine banalisation de l’antisémitisme.

Une orientation conséquente

Pour combattre l’antisémitisme, il y a donc intérêt à lever un certain nombre d’ambiguïtés. Le Crif ne peut pas prétendre vouloir empêcher que la question du Proche-Orient vienne « ternir les rapports entre communautés » et favoriser en même temps des réflexes communautaires en expliquant que tout juif devrait être solidaire d’Israël voir de sa politique simplement parce qu’il est juif. Faut-il rappeler que bien des juifs non seulement n’ont pas envie d’être solidaires de Sharon, mais qu’ils peuvent voir dans la création d’Israël une impasse tragique non seulement pour les Palestiniens mais pour eux-mêmes ? Après tout, le bilan du sionisme, censé les protéger de l’antisémitisme, est d’avoir fait d’Israël aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour les juifs ! Triste bilan, jamais vraiment discuté.

Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, on ne combattra pas l’antisémitisme en écartant à priori la question du Proche-Orient. Tout simplement parce qu’elle existe et qu’elle est dans toutes les têtes ! On combattra l’antisémitisme, au contraire, en ôtant aux antisémites le prétexte de la défense du peuple palestinien pour exhaler leur haine. Cela veut dire reconnaître sans aucune ambiguïté le droit pour le peuple palestinien à un Etat viable et indépendant.

On combattra également l’antisémitisme en allant à la racine du mal. L’influence de l’extrême-droite lepéniste ou islamiste en France prospère d’autant mieux que le chômage, l’exclusion et l’injustice sociale prolifèrent sans autre perspective. Tout ce qui contribue à dresser les travailleurs et les plus démunis les uns contre les autres, au nom d’un communautarisme ou d’un autre, ne peut que conduire à une situation plus invivable, pour les Juifs, pour les Arabes, et finalement aussi pour tous les autres, au Moyen Orient et ailleurs. C’est donc une perspective commune d’émancipation qu’il faut essayer de reconstruire : sur le terrain des luttes ouvrières, contre l’exploitation et toutes les formes d’oppression.

C’est sur le terrain du communisme et de l’internationalisme que l’on pourra combattre de manière conséquente toutes les formes de racisme, dont l’antisémitisme.

Raoul GLABER

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