Nous sommes tous des cheminots
19 avril 2010 Éditorial des bulletins L’Étincelle
Dimanche dernier, des membres du gouvernement ont exigé, comme si cela dépendait d’eux, que les cheminots « mettent un terme à la grève ». Eric Woerth a ajouté : « on ne sait pas quelles sont les revendications, sinon des revendications générales sur l’emploi, les salaires ». L’emploi et les salaires ? Que ce programme n’inspire rien au ministre du travail, soit. Mais ce sont des préoccupations centrales pour tous les travailleurs.
Des raisons de se mettre en grève et de tenir depuis maintenant 13 jours, les cheminots n’en manquent pas. Ils dénoncent le démantèlement de ce qui reste du service public ferroviaire : découpé, filialisé, sous-traité, tout est fait pour en tirer encore plus de profit. Au détriment des usagers et en priorité de tous les travailleurs qui l’utilisent pour leurs déplacements quotidiens. Après tout, même serrés comme des sardines et ballotés de quai en quai au gré des retards et des suppressions de trains, les salariés sont bien obligés d’aller se faire exploiter. Puisque les coupes sombres sont le lot de tous les services publics, y compris l’Education et la Santé, pourquoi les transports y échapperaient ?
Les usagers ne sont pas les seuls à payer les pots cassés de cette politique de rentabilité. Les cheminots eux-mêmes sont aux premières loges. 22 000 emplois ont été supprimés ces cinq dernières années : un « plan social » qui ferait rêver les patrons voyous des plus grandes multinationales ! Dans ce domaine les pouvoirs publics montrent l’exemple avec 80 000 postes en moins d’ici 2012 dans l’Education et le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux.
Privilégiés, les jeunes chanceux qui ont décroché un des rares postes proposés par la SNCF ? Un effort particulier a été fait par la direction, qui a cessé depuis le début de l’année de pratiquer des salaires d’embauche inférieurs au SMIC… et s’est alignée sur le salaire minimum. N’oublions pas les fameuses primes mirobolantes : entre 100 et 200 euros par mois pour travailler en 3x8 dans les ateliers. Royal !
Les 160 000 cheminots sont loin de vivre dans un monde à part, coupés du gros des travailleurs. Ils subissent la même exploitation que toute la classe ouvrière.
Longtemps la colère a monté, même si elle s’exprimait de manière dispersée. Ici des jeunes ouvriers des ateliers qui ne supportent plus leur salaire de misère et exigent des primes. Là des conducteurs du fret qui refusent la fermeture de leur « triage ». Jusque-là, la politique de division de la direction l’avait emporté : isolés méthodiquement chacun dans leur service, les cheminots n’étaient pas parvenus à faire converger leurs luttes.
C’est ce qui est en train de changer depuis 13 jours. La presse insiste sur le caractère minoritaire du mouvement. Mais ce sont au moins 5 000 cheminots, surtout des conducteurs et des contrôleurs, qui sont en grève depuis le début. Et des dizaines de milliers d’autres qui ont participé plus ponctuellement à des actions. Ce n’est pas la détermination qui manque, mais une coordination autour d’objectifs clairs.
Les grands pontes syndicaux qui dirigent la grève n’ont qu’un seul mot à la bouche : négociation. Pour obtenir quoi précisément ? Mystère. L’ouverture de discussions régionales avec la direction n’a fait qu’ajouter à la confusion : alors que le bras de fer s’était engagé au niveau national, les grévistes sont à nouveau éparpillés. Chaque gare ou chaque dépôt en grève a son assemblée générale, où les cheminots décident des suites de leur mouvement. Il est maintenant nécessaire que les grévistes eux-mêmes se coordonnent pour assurer le lien entre tous ces sites et ainsi cesser d’être dépendants des calculs des dirigeants syndicaux.
Coordonner les luttes, leur donner des objectifs clairs comme l’augmentation des salaires et des retraites de 300 euros par mois pour tous et l’interdiction des licenciements et des suppressions de postes, au-delà de la seule SNCF, c’est bien une perspective à défendre pour tous les travailleurs.