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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 37, janvier-février 2005

La grève d’Opel Bochum : un combat qui fait débat

Mis en ligne le 16 janvier 2005 Convergences Monde

La grève « sauvage » menée à Opel Bochum du 14 au 20 octobre dernier, en réaction à l’annonce par le trust General Motors de la suppression de 10 000 salariés de sa filiale allemande Opel (dont 4 000 à Bochum), a marqué en Allemagne comme ailleurs. Bouffée de rage contre les dirigeants du trust comme les bonzes de l’IG Metall qui trônent dans des conseils d’entreprise où partout depuis des années, ils donnent leur accord aux licenciements, baisse des salaires, allongement du temps de travail. Mais bouffée d’air pour les travailleurs. Preuve que le cadre institutionnel qui limite le droit de grève aux périodes de négociations collectives et au bon vouloir de l’appareil syndical peut sauter.

D’où l’étonnement à la lecture d’un article d’Inprecor d’octobre-novembre 2004, dont le rédacteur est un militant du RSB [1], intitulé « Une forme de lutte particulière à Opel Bochum », qui, tout en soulignant que « la lutte d’Opel a électrisé toute la Ruhr », affirme néanmoins que « cette lutte n’a pas pris la forme d’une grève » et se félicite que la reprise du travail, bien qu’à la suite d’une manœuvre de la bureaucratie de l’IG-Metall, ait révélé « une unité exemplaire ».

« Un arrêt de travail, mais pas une grève » ?

Selon Inprecor, les travailleurs d’Opel à Bochum n’auraient pas fait grève mais auraient « interrompu le travail pour faire valoir leur droit de s’informer, selon le paragraphe 39 de la loi d’organisation des entreprises, qui stipule que les salariés ont le droit de se rendre au conseil d’entreprise (CE) pendant le temps de travail, ce qui se fait normalement individuellement et non collectivement ».

Certes, tactiquement et pour prévenir la riposte patronale, pourquoi ne pas affirmer qu’on veut les informations auxquelles on a droit ? Pourquoi ne pas les attendre (collectivement et non individuellement !) pendant une ou deux heures voire une demi-journée ? Mais quand en même temps on bloque les portes, en y abandonnant des fenwicks dont par malchance les pneus crèvent ou des véhicules dont par malchance les clés de contact s’égarent ? Et quand, par-dessus le marché, une brochette de délégués syndicaux combatifs qui ont quelques traditions de lutte (une grève sauvage de 5 jours déjà en 2000) et d’organisation (l’habitude de se retrouver pour discuter, publier des tracts) se coordonnent et forment une « direction de la grève » (certes non élue) qui organise toutes les heures un forum d’information (certes pas de décision), ça commence malgré tout à être autre chose qu’une démarche légale auprès du conseil d’entreprise (CE).

Ce dernier (formé de membres de l’IG Metall) s’est opposé d’emblée à la lutte. Dès l’arrêt intempestif de travail, le 14 octobre, son président et sa majorité ont tenté de faire reprendre. Au coude à coude avec la hiérarchie quand celle-ci cherchait à dresser des listes de ceux qui arrêtaient le travail.

Certains membres minoritaires du CE n’ont pas joué ce jeu-là. Mais il est bien trop complaisant à l’égard du CE d’écrire comme l’auteur de l’article d’Inprecor, que « Bien que l’on puisse reprocher à la majorité du CE de s’être opposée en fin de compte à ce que la lutte continue, il faut dire aussi que sans le CE dans son ensemble, cette forme de lutte aurait été impossible ». La lutte impossible sans le CE dans son ensemble ? Mais il s’est bel et bien agi d’une lutte contre le CE dans son ensemble ! [2] Ce cadeau à l’appareil syndical rejoint celui d’adopter sa terminologie pour qualifier la grève sans la nommer ! Car la thèse de l’arrêt de travail pour demande d’explication était celle de la hiérarchie syndicale. Et peu importe qu’elle ait fait des adeptes parmi les travailleurs, ça ne la rendait pas plus juste.

Malgré la lourde menace des 10 000 suppressions d’emploi, la bureaucratie n’a pas voulu reconnaître une grève démarrée à son insu et hors cadre légal. Jour après jour, elle a usé toutes les ficelles pour convaincre les travailleurs que la paralysie de l’entreprise était nuisible à une négociation sereine et féconde. Financièrement non plus, elle n’a pas voulu assumer la grève. Ni la direction du trust, n’en déplaise à Inprecor qui suggère pour accréditer sa thèse que par cet « arrêt de travail pour demande d’information », les travailleurs « pouvaient donc normalement prétendre à être rétribués ». Ils ne l’ont pas été. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’auraient pas dû revendiquer le paiement des heures de grève par le patronat, puisque c’est lui qui les acculait à la lutte.

Les appréciations de cet article épousent le point de vue de militants syndicaux, dont ceux d’une certaine « gauche syndicale », qui étaient gênés que la grève échappe au contrôle du syndicat. Comme ici en France, le même milieu renâcle devant toute forme d’ « auto-organisation » des travailleurs, à commencer par les comités de grève élus par les grévistes. C’est certainement la différence entre une politique syndicaliste et une politique révolutionnaire, qui ne consistait certainement pas, pendant comme après le conflit, à expliquer aux travailleurs que mais non, mais non, ils n’étaient pas en grève ! Si la Ruhr a bel et bien été électrisée, c’est qu’une grève « sauvage » y a explosé. Un début d’exemple et de revanche pour beaucoup.

« Une unité exemplaire » ?

Il a fallu quelques jours à la direction syndicale pour réussir à reprendre le contrôle de la situation. Elle est intervenue sur divers fronts.

Dans l’entreprise, selon divers témoignages, en marquant à la culotte les grévistes, afin de démoraliser - parallèlement à la maîtrise.

Vis-à-vis de l’opinion populaire favorable au camp ouvrier dans ce bras de fer, en appelant à des manifestations le 19 octobre. A Rüsselsheim comme à Bochum, elles furent des succès. Sauf que, détail certes, les travailleurs en lutte furent relégués en fin de cortège à Bochum. Sauf, encore, que la parole en fin de manifestation fut monopolisée par des bonzes syndicaux, notables locaux et un évêque qui tous intervinrent contre la grève. L’appareil syndical s’est servi de l’élan de solidarité à l’égard des grévistes... contre ces derniers !

Enfin, CE et direction de l’entreprise ont manœuvré de concert pour organiser un vote de l’ensemble du personnel (dont ceux qui n’étaient pas en lutte), dans une salle de congrès de la ville. Fouilles à l’entrée. Aucun micro baladeur. Pas d’autres orateurs que des dirigeants du CE et du syndicat. Une brochette d’agents de sécurité Opel pour empêcher un assaut du podium. Et le tout, pour un vote à bulletins secrets sur une question ambiguë (« Les syndicalistes du CE doivent-ils continuer à négocier avec la direction et le travail doit-il reprendre ? »), à laquelle 4650 travailleurs ont répondu « oui » (dont paraît-il certains partisans de la poursuite du mouvement qui avaient raturé le deuxième volet) tandis que 1760 ont répondu « non ».

Les menées et manœuvres patronales et syndicales n’ont pas été attendues ni clairement perçues. Elles eurent lieu sur fond d’intox contre la grève et de crainte certainement grandissante d’y perdre beaucoup. Comme toujours dans toute grève. C’est bien pourquoi le camp des grévistes doit se donner les moyens d’une discussion démocratique permanente, un état-major élu et reconnu, une politique pour garder l’avantage face à la direction. C’est ce qui a manqué.

Le vote à Bochum prouve en tout cas que ce n’était pas l’unanimité et qu’une direction gréviste plus aguerrie aurait pu tenter de pousser plus loin. Ce n’est pas le point de vue de l’article d’Inprecor qui affirme que : « ...Si l’arrêt de travail avait été prolongé encore quelques jours, ce n’est pas seulement la pression sur le capital qui aurait augmenté, mais aussi la contre-pression et le danger de division. Qu’en aurait-il été si le travail avait repris équipe après équipe ? Ou si le résultat avait été de 52 % pour la grève et 48 % contre ? Si cela avait entraîné affrontement et division parmi les travailleurs ? »

Avec 52 % pour la grève, c’eût été un gros risque ? Mais une énorme chance, surtout ! En France, aucune des grèves importantes dans lesquelles l’extrême gauche, voire simplement des réformistes honnêtes, ont joué un rôle n’a été menée avec une telle majorité. Ces 52 % ne peuvent paraître faibles qu’à la bureaucratie syndicale (appuyée sur la législation bourgeoise allemande) à qui il faut un vote « démocratique » de 75 % des syndiqués pour déclencher une grève... mais un vote de 25 % pour l’arrêter !

Et quand bien même il n’y aurait pas eu à Opel Bochum, le 20 octobre, de possibilités de poursuivre le mouvement, la tâche de révolutionnaires est de s’interroger sur les atouts qu’avaient encore les grévistes, plutôt que de décerner un satisfecit aux briseurs de grève que sont ceux qui ont organisé la consultation et ont préalablement travaillé au corps les grévistes. Le succès des luttes à venir est à ce prix. Apprendre à contrer les appareils plutôt que les absoudre !

A noter qu’une déclaration du bureau politique du RSB du 22/10/04 sur Opel Bochum, publiée dans Avanti (mensuel du RSB de novembre 2004), réaffirme l’orientation du RSB, à savoir « la construction d’une tendance syndicale « lutte de classe » », qui « exprimerait l’émergence d’une nouvelle radicalisation ouvrière ». L’idée est toujours d’agir au sein du syndicat pour faire pression sur lui. Certes. Qui s’y refuserait ? Mais face à des situations comme celle d’Opel Bochum et quand la pression exercée dans le syndicat par la « tendance Lutte de Classe » (de telles tendances ou militants existaient à Bochum), n’a pas d’effet, comment mener la guerre contre l’appareil ? Quels moyens se donner de passer outre ? C’est très exactement ce qui n’est pas discuté. Et va pourtant se poser si le conflit chez Opel est bien le signe d’une radicalisation ouvrière.

Michelle VERDIER


C’était une première manche, il en faudra d’autres

Le contenu de l’accord signé à la mi-décembre, après des semaines de négociations secrètes entre la direction Opel et le conseil central d’entreprise, a entériné les 10 000 suppressions d’emplois. Quelque 3 500 travailleurs devraient être externalisés. Quelques centaines devraient partir en préretraites. Les quelque 6 000 restant sont invités à se porter volontaires au licenciement immédiat ou avec sursis après transit d’un an dans des sociétés bidon, genre de cellules de reclassement, où ils seront payés par la caisse de chômage. Une indemnité qui peut paraître importante leur est proposée. Pour l’instant, les volontaires ne se précipitent pas. A noter que s’ils ne sont pas assez nombreux, le CE aidera le patron à les nommer ! Dans un an, la plupart sera au chômage. Et dans deux ans, par la vertu de la politique de Schröder, ils seront au minimum social. Ceux qui restent dans l’entreprise, quant à eux, verront leurs salaires baisser.

L’appareil syndical présente cette issue comme une victoire, en parfaite unité... avec la direction !


[1La revue est celle de la IV° Internationale. Le Revolutionär Sozialistischer Bund (RSB - Ligue socialiste révolutionnaire), est l’une des deux fractions publiques de la section allemande de la IV° Internationale.

[2Cette grève a été un combat difficile, déclenchée sur le coup de colère de centaines de travailleurs à l’annonce du sale coup, mais à l’initiative de délégués syndicaux d’ateliers (élus par les quelque 90 % de syndiqués à l’IG Metall). A noter qu’en Allemagne, ces délégués (Vertrauensleute) sont généralement plus proches des travailleurs que les membres des conseils d’entreprise (dont quelques uns sont permanents à plein temps) et c’est parmi ces délégués que des militants syndicaux « lutte de classe » voire de sensibilité d’extrême gauche, choisissent de façon privilégiée d’agir. A Opel Bochum, il existait quelque tradition d’organisation et de réaction puisque l’année 2000 avait été marquée déjà par une grève sauvage de 5 jours, en particulier contre un projet d’externalisation. Quatre semaines avant le déclenchement du mouvement d’octobre dernier, des délégués avaient pris l’habitude de donner rendez-vous chaque jour devant la cantine. Rien de massif... jusqu’au 13 octobre où 600 travailleurs furent au rendez-vous. Rien en tout cas de préparé par le conseil d’entreprise !

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