Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Autres > Tribunes de la Fraction dans l’hebdomadaire Lutte ouvrière > 2004 > octobre > 26

« C’est pas à Matignon, c’est pas dans les salons... »

26 octobre 2004

Les travailleuses et travailleurs d’Opel à Bochum, dans la Ruhr, ont repris le travail après une semaine de grève contre l’annonce par le trust General Motors d’un plan de 12 000 suppressions d’emplois en Europe, dont 10 000 en Allemagne (entre autres 4000 sur les 9400 que comptent les trois usines du site de Bochum et 4000 sur les 20 000 du site de Rüsselsheim près de Francfort). La grève est certes finie, mais pas près d’être oubliée pour l’avenir.

La colère ouvrière a rompu les digues. La rage qu’à nouveau des milliers soient sur le carreau, voire que l’usine soit fermée après 10 ans de plans sociaux qui ont réduit de moitié ses effectifs ; la rage que des milliers soient bientôt réduits à un genre de RMI, en vertu des récentes mesures du gouvernement Schröder ; que des dizaines de milliers d’autres perdent leur activité en aval ou en amont de celle d’Opel, cette rage a conduit les travailleurs à agir, eux-mêmes et par leurs propres moyens. Au grand dam des autorités gouvernementales, patronales et syndicales qui jusque-là, croyaient pouvoir ficeler entre elles le sort des travailleurs.

Voilà 30 ans que l’Allemagne n’avait pas connu de vraie grève, dite sauvage. Voilà 30 ans qu’elle n’avait connu que des conflits corsetés dans les règles du prétendu partenariat social. Au point que certains, pour s’en réjouir ou le déplorer, affirmaient que ces barrières légales enfermaient irrémédiablement les travailleurs, qu’ils ne pouvaient faire grève, tellement les sanctions menaçaient ou tellement le manque de recours aux caisses syndicales de grève les étranglaient, etc.

Ce qui devait pourtant arriver arriva : la grève ! Paralysie totale de l’entreprise, qui a entraîné de sérieux blocages dans d’autres usines du trust, en Allemagne, en Belgique et en Angleterre. La grève n’a duré « que » 6 jours, dont un week-end actif. Mais le temps a paru long aux politiciens de tous bords, aux représentants patentés du patronat et autoproclamés des syndicats. Ce beau monde a offert un concert comique de jérémiades, menaces et autres criailleries. En face, un camp ouvrier s’est cristallisé, qui a manifesté sa solidarité et sa joie.

Cela dit, l’appareil syndical désarçonné s’est ressaisi. Cahin-caha.

Première ficelle utilisée, la tentative de reprise en main en appelant à une journée de manifestation de l’automobile, le mardi 19 octobre (la grève avait démarré le jeudi 14). Qui fut effectivement un succès puisque des dizaines de milliers de personnes ont défilé en cortèges dans tout le pays. Les instances syndicales et sociales-démocrates hostiles à la lutte de Bochum - et qui ont milité contre l’extension du mouvement au site de Rüsselsheim -, ont largement utilisé cette journée et les canaux qui sont les leurs pour distiller leur venin contre la grève. Et de prêcher le retour à la négociation. Littéralement, puisque l’archevêque de Essen soi-même est intervenu !

Deuxième ficelle, la préparation précipitée mais ciselée d’une assemblée générale du « personnel » (et pas des seuls grévistes), dans une salle des Congrès de la ville (et pas dans l’usine où les grévistes avaient le pouvoir), où seuls le grand chef de l’IG Metall de la ville et le chef du Comité d’entreprise de l’usine (bonze syndical lui aussi) se sont arrogés la parole. Gens fouillés à l’entrée pour qu’aucun micro ne pénètre ! Inutile de préciser en quel sens les deux lascars sont intervenus, d’où bien des sifflets. Le tout se concluant par un vote sur une seule question, biaisée, où ceux qui étaient pour des négociations (qui pouvait être contre ?) devaient automatiquement voter pour la reprise du travail. Malgré cela, près de 1700 travailleurs, soit un tiers de l’effectif, s’est prononcé pour la poursuite de la grève. Et dans l’entreprise à ce jour, le sentiment resterait la satisfaction des points marqués et l’extrême vigilance pour l’avenir.

Ce mouvement a ouvert une brèche, après des années où dans toutes les grandes usines de toutes les branches, les comités d’entreprise (dirigés généralement par des permanents syndicaux liés aux appareils) se servent de leurs réels pouvoirs de négociation pour entériner reculs sur reculs. Comme tout récemment le comité d’entreprise de la chaîne de magasins Karstadt et le syndicat Ver.di viennent de céder au chantage patronal et d’accepter 5500 suppressions de postes prétendument en douceur, le gel des salaires sur 3 ans et autres pertes de primes et avantages sociaux.

A ces pratiques, les grévistes d’Opel-Bochum ont mis leur holà, à leur façon. Aucun plan social, aucun licenciement et s’il le faut, la grève. Voilà au moins un autre programme !

Ici en France, c’est la même actualité. Mêmes attaques patronales. Même complicité des chefs syndicaux avec le patronat. Négocier, céder, accepter les reculs sous prétexte qu’il y en aurait de pires. Non seulement des dirigeants de la CFDT sont maîtres dans la pratique, mais à leur tour ceux de la CGT. Manœuvres contre les travailleurs de Perrier. Manœuvres en cours à la SNCF, pour marchander contre de menus avantages pour l’appareil, un accord sur la « prévention des conflits et l’amélioration du dialogue social ». Bref la limitation concertée du droit de grève !

Grand bien fasse à Bernard Thibault et ses collègues de palabrer avec les patrons sur la « prévisibilité » des grèves ! On a les compétences qu’on peut ! Mais à nous autres, travailleurs et militants non résignés, de préparer la riposte, la vraie grève. Qui, comme à Bochum, passera au-dessus de leurs conciliabules et réglementations.

Michelle VERDIER

Imprimer Imprimer cet article