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DOSSIER : Loi Fillon, accords d’entreprise, représentativité… Les syndicats embourbés dans le « dialogue social »

La « représentativité syndicale » à la discrétion de l’État et de sa justice

Mis en ligne le 12 janvier 2004 Convergences Politique

Élément structurant du paysage syndical français depuis plusieurs décennies, les règles régissant la reconnaissance de représentativité des syndicats sont, de façon récurrente depuis quelques années, remises en cause, non seulement par des unions syndicales comme l’Unsa ou le Groupe des dix (qui regroupe en particulier les syndicats Sud), lesquelles aspirent à être considérées à l’égal des « grandes » confédérations, mais aussi - du moins en paroles - par les deux principales confédérations réputées représentatives, la CFDT et la CGT.

Naissance de la bande des cinq

Dans la foulée des nombreux accords d’entreprise arrachés au patronat par la vague gréviste, la loi du 24 juin 1936 relative aux conventions collectives précisait que, pour être étendue à une branche, une convention devait être signée par les organisations syndicales les plus représentatives - sans autre indication sur la nature de cette représentativité.

Les critères de représentativité syndicale, encore formellement en vigueur aujourd’hui, furent fixés après guerre, alors que de nouvelles prérogatives étaient données aux « organisations syndicales qu’il est indispensable d’associer à la grande œuvre de la rénovation de l’industrie française » (De Gaulle, préambule à l’ordonnance du 22 février 1945) : la mise en place des comités d’entreprise (22 février 1945) comme l’élection des délégués du personnel (redéfinie par la loi du 16 avril 1946) réservaient, du moins au premier tour de scrutin [1], le monopole des listes de candidats aux syndicats reconnus représentatifs.

En vertu des critères retenus en 1945 par le ministre du travail, Alexandre Parodi - l’importance des effectifs et des cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat, son indépendance par rapport au patron et son attitude patriotique sous l’occupation allemande - la représentativité est alors reconnue, à l’échelle nationale, aux confédérations CGT, CFTC et CGC (pour les cadres) ; elle sera accordée par la suite à FO, après sa scission de la CGT en avril 1948. Le 11 février 1950, la nouvelle loi sur les conventions collectives intègre formellement ces critères au Code du travail (ils en constituent toujours l’article L.133-2) ; dans le même temps, elle abolit l’agrément systématique des conventions collectives par le ministère du travail (disposition votée le 23 décembre 1946 - le ministre du travail étant alors Ambroise Croizat, PCF - et dénoncée depuis sa fondation par FO au nom de la liberté de négociation contractuelle) et rend possible la signature de conventions ou d’accords collectifs par un seul syndicat reconnu représentatif, même s’il est minoritaire (cela reste aujourd’hui le cas). Ainsi, tout en encadrant strictement le pluralisme syndical, au moins au niveau des branches et nationalement, la loi permettait aux confédérations minoritaires (CGC, CFTC et FO) de contourner l’hégémonie de fait de la CGT pour négocier avec le patronat.

La CFDT, issue de la CFTC après l’abandon de son étiquette confessionnelle, s’ajoutera en 1964 à la liste des confédérations reconnues représentatives (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC), entérinée par le décret du 31 mars 1966, toujours en vigueur.

Pas partageurs les « représentatifs »…

Toute autre organisation syndicale doit prouver en justice sa représentativité à l’échelle où elle entend intervenir (branche, entreprise, voire établissement, suivant qu’il s’agit, par exemple, de négociation de branche ou d’élection professionnelle), dès lors que cette représentativité lui est initialement contestée côté patronal ou par une autre organisation syndicale, ce qui est généralement le cas.

Depuis, l’extension des droits syndicaux - notamment par les lois du 27 décembre 1968 et du 28 octobre 1982 (seconde loi Auroux) relatives au droit syndical en entreprise (désignation de délégués syndicaux et de représentants syndicaux au comité d’entreprise, constitution de sections syndicales…) - a toujours tendu à rendre les organisations syndicales de plus en plus indépendantes des travailleurs et de leur syndicalisation. Et, dans ce cadre, la jurisprudence a encore renforcé les prérogatives des syndicats affiliés aux confédérations représentatives, dont ils héritent de la représentativité même en l’absence, dans une entreprise donnée, d’une section syndicale [2] - cette représentativité ne pouvant être en aucune façon contestée.

En pratique, si de nombreux syndicats ont pu faire reconnaître en justice leur représentativité au niveau d’entreprises, voire de branches (par exemple le Syndicat national des journalistes, SNJ), aucune autre union syndicale que celles visées par le décret de 1966 n’a été reconnue représentative à l’échelle nationale et interprofessionnelle. Cela ne signifie pas que ces centrales, comme par exemple l’UNSA, sont totalement écartées du jeu institutionnel… et des mannes diverses qu’il procure : attribution de crédits du ministère du Travail pour la formation syndicale, représentation au sein des Conseils économiques et sociaux national et régionaux… Par contre, leur absence de représentativité nationale interprofessionnelle les écarte des sinécures syndicales que représentent la gestion d’organismes paritaires comme les ASSEDIC, les caisses de retraites, etc., ou anciennement paritaires comme les caisses de Sécurité sociale… ou les postes dans des organismes comme le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, mis en place le 13 octobre dernier par Raffarin.

C’est aux travailleurs et à personne d’autre de dire qui les représente

Il serait donc naïf de croire que seuls sont en jeu les intérêts des travailleurs dans la remise en cause des règles de représentativité syndicale par l’UNSA et le G10... et dans l’opposition de FO, de la CFTC et de la CGC. Pour autant, les travailleurs n’ont fondamentalement aucun intérêt à laisser à la Justice ou à l’État le soin de décider de la prétendue représentativité d’organisations syndicales. L’État n’a pas plus de légitimité à garantir à certaines bureaucraties syndicales le droit de trahir les intérêts des travailleurs, en leur propre nom, qu’à dénier à d’autres organisations celui de les représenter.

Les révolutionnaires n’ont pas à soutenir la politique des organisations syndicales confédérées qui, presque systématiquement, contestent devant les tribunaux la représentativité de syndicats n’en bénéficiant pas de plein droit.

Sans doute le risque existe-t-il de voir se constituer par endroit des syndicats pro-patronaux, présentant des candidats aux élections de représentants du personnel et désignant des délégués syndicaux disposés à parapher n’importe quoi. Mais d’une part, cette possibilité existe déjà, de tels syndicats ayant été reconnus représentatifs dans de grandes entreprises (par exemple la CSL chez PSA) ; d’autre part, plus fondamentalement, le patronat trouve sans trop de problème des interlocuteurs complaisants au sein de syndicats affiliés à des confédérations représentatives.

Gérard WEGAN


[1En fait, la loi du 16 avril 1946 réserve aux syndicats reconnus représentatifs le monopole des candidatures aux deux premiers tours des élections de délégués du personnel, dans le cadre d’un scrutin de liste, majoritaire - à la majorité absolue des inscrits au premier tour ou à la majorité relative des votes de plus de la moitié des inscrits au second ; ce n’est qu’en cas de troisième tour que des candidatures non déposées par les syndicats représentatifs étaient possibles. L’actuel scrutin de liste, à représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, avec monopole syndical au premier tour et possibilité de candidatures libres au second en l’absence de quorum au premier, a été instauré plus tard (le 7 juillet 1947).

[2Dans le cadre de la législation actuelle, un délégué syndical d’une organisation réputée représentative peut légalement signer avec le patron d’une entreprise où son organisation n’a aucun syndiqué, un accord collectif de fin de grève, sans aucun contrôle des grévistes. Pour extrême qu’elle paraisse, cette possibilité n’est pourtant pas purement théorique : cela s’est produit dans le nettoyage !

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Réactions à cet article

  • Pour moi , excellent dossier : certaines phrases méritent d’être méditées , par ex :

    "la jurisprudence a encore renforcé les prérogatives des syndicats affiliés aux confédérations représentatives, dont ils héritent de la représentativité même en l’absence, dans une entreprise donnée, d’une section syndicale

    et aussi :

    C’est aux travailleurs et à personne d’autre de dire qui les représente et j’ajoute : La dérive bureaucratique est une hydre dont il faut sans cesse couper les têtes renaissantes (voir les combats la-dessus des années 60 et 70)

    Et aussi cette phrase :

    le patronat trouve sans trop de problème des interlocuteurs complaisants au sein de syndicats affiliés à des confédérations représentatives

    car il m’a fallu du temps pour voir et admettre qu’il en était bien ainsi et cela ne concerne pas que la CGC ! ! !

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