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DOSSIER : La Russie de Poutine : le prix de la restauration capitaliste

Vitrines pleines... porte-monnaie vides

Mis en ligne le 26 septembre 2006 Convergences Monde

Le gouvernement russe se félicite aujourd’hui d’un recul de la pauvreté : d’après ses chiffres, 15,8 % des Russes vivaient en 2005 en dessous du « seuil de pauvreté » contre 17,8 % en 2004. Sur 144 millions d’habitants, ça fait quand même près de 23 millions de très pauvres !

Certes la pauvreté en Russie ne date pas du rétablissement du capitalisme. À l’époque de l’URSS, le niveau de vie y était généralement bas, les familles devaient souvent s’entasser à plusieurs dans le même logement et les rayons des magasins paraissaient vides. Gorbatchev avait fait miroiter la promesse que le marché libre résorberait la pénurie. Quinze ans après, vitrines et rayons débordent de produits. Mais la frustration de ne pouvoir les acheter accompagne cet afflux.

Car si une chose caractérise le changement actuel, c’est bien l’explosion des inégalités sociales. Quant à l’aggravation des conditions de vie d’une grande partie de la population, la chute de l’espérance de vie en témoigne : en 2005, elle n’est que de 58,8 ans pour les hommes, contre 63,8 en 1990 ; elle a diminué pour les femmes de 74 à 72 ans.

L’aggravation des inégalités sociales

Avec la libération des prix et l’effondrement de la production dus à la « thérapie de choc » au début des années 1990, l’inflation atteint 900 % en 1993. Le salaire réel moyen en 1999 ne représente plus que 33,6 % de celui de 1991, et les retraites 32 % de leurs valeurs d’alors. Dans la même période, l’industrie russe perd 7 millions d’emplois, la construction 3 millions et l’agriculture 1,5 million. Le nombre de chômeurs atteint son maximum en 1999 avec 9,1 millions de personnes, plus de 12 % de la population active. Sans compter ceux toujours rattachés à une usine qui ne tourne plus, ni ceux qui accumulent les salaires impayés.

Le taux de chômage serait de 7,6 % pour l’année 2005. Mais, comme partout, des artifices biaisent les mesures : on ne compte pas le chômage provisoire des mois durant, et il reste encore la spécificité russe du chômage caché de millions de travailleurs qui gardent leur place dans une usine avec pas ou peu de travail et un salaire amputé en conséquence. Et la disparité est grande entre les régions, entre certaines villes jadis centrées sur une activité industrielle unique où le chômage dépasse 30 %, alors que Moscou a le taux le plus faible du pays.

En ce qui concerne les revenus, les statistiques du Goskomstat (l’équivalent russe de l’Insee) annoncent une remontée depuis 2000. Mais le salaire réel moyen en 2004 n’est encore que 57,8 % de celui de 1991. Pour les retraites, c’est 52 % de celles de 1991. Le revenu moyen se serait mieux relevé : 44 % de celui de 1991 en 1999, 83 % en 2004. Mais il tient compte des revenus non salariaux du monde petit ou grand des affaires. Et on y inclue une évaluation des revenus informels et petits boulots complémentaires difficilement mesurable.

D’autant que tout n’est pas question de moyenne. Si une minorité de la population (sans même parler de la poignée de très riches) a l’impression aujourd’hui de vivre mieux, c’est que les pauvres le sont bien plus. Au cours de la dernière décennie, l’écart des revenus entre les 10 % de la population les plus pauvres et les 10 % les plus riches a quadruplé.

Un recensement de la pauvreté en dessous de la réalité

Quant au « seuil de pauvreté » choisi pour comptabiliser les plus pauvres, il n’est pas simple à déterminer et relativement arbitraire. D’après la Banque mondiale, le taux de pauvreté en Russie oscille entre 18 et 49 %, selon le choix des sources et des critères ! Du temps de l’URSS, les autorités avaient fixé un panier de consommation minimal. Après la libéralisation des prix de 1992, environ 70 % de la population s’est retrouvée avec des revenus inférieurs à la valeur de ce panier. Un chiffre peu acceptable pour le pouvoir ! Le panier a été modifié : on en a exclu tous les biens durables, y compris l’habillement, sous prétexte que, la pauvreté ne devant qu’être passagère, seule la nourriture était indispensable. (Depuis on les y a en partie remis).

De nombreuses enquêtes sur la pauvreté en Russie font ressortir que la moitié des ménages sont concernés, parce que leurs revenus monétaires sont inférieurs au panier de consommation minimal, ou parce qu’ils se sentent pauvres et côtoient un luxe ou même un simple confort dont ils sont totalement exclus. La plupart de ces études estiment que 30 % environ des Russes affrontent une réelle forme de pauvreté.

Les enfants sont les plus touchés : en 2000, 48 % d’entre eux vivaient dans la pauvreté, d’après les chiffres du Goskomstat. Selon le ministère de l’Intérieur 150 000 enfants se retrouvent dans la rue, où ils font de petits boulots quand ils ne tombent pas dans la prostitution.

La suppression des protections sociales

L’aggravation ne se mesure pas qu’à l’aune de la baisse des salaires, dans un pays où la pauvreté était atténuée par un bon nombre de prestations sociales. Le 1er janvier 2005 entrait en vigueur la « monétarisation des avantages sociaux ». Une partie des prestations sociale héritées du passé, transports gratuits, soins et médicaments pour les retraités ou personnes handicapées, charges d’habitation... sont supprimées en échange d’une compensation financière très insuffisante. Des milliers de familles et de retraités sont sortis dans la rue.

Depuis janvier 2006, c’est le logement qui est sur la sellette. Une partie des logements ont été privatisés quasi-gratuitement au profit de leurs occupants lors des réformes du début des années 1990. Mais c’est fini. Il s’est créé depuis un véritable marché du logement et des loyers, de plus en plus chers. L’État veut maintenant vendre le parc immobilier appartenant encore aux communes aux loyers plus bas. Les locataires ont déjà subi en 2005 une augmentation de 30 % des charges communales, eau, gaz, électricité, puis à nouveau 30 % en janvier 2006. Ils sont maintenant menacés d’expulsion. Comme le sont, pour cause de privatisation aussi, les 20 millions de personnes qui habitent dans des foyers de travailleurs, dans l’attente d’un relogement qui n’est jamais venu. Et les manifestations de locataires ont pris cette année le relais de celles des retraités.

Lydie GRIMAL

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