Un plan d’Attac pour sauver le capitalisme malgré lui ?
Mis en ligne le 25 septembre 2011 Convergences Politique
Avec cette crise de la dette, se sont multipliés les appels et prises de position d’économistes et associations critiques à l’égard de la finance ou de la mondialisation. Et qui proposent des mesures. Autant leurs critiques et dénonciations du système sont souvent incisives, autant les solutions préconisées semblent en comparaison dérisoires. On peut citer le manifeste des économistes « atterrés », les articles du mensuel « Alternatives économiques » ou les appels à la création de comités « pour un audit citoyen de la dette publique » notamment autour de l’association Attac – qui dans la conclusion de son ouvrage Le piège de la dette publique, paru en mai 2011, propose des mesures d’urgence aptes à sortir de la crise, si ces conseils avisés et quelques comités « citoyens » éclairaient la lanterne des gouvernants.
Tobin or not Tobin ?
Qu’en est-il de la « taxe Tobin » sur les transactions financières qui était l’idée fondatrice du mouvement ? Sarkozy et Merkel envisagent aujourd’hui sa mise en place en Europe, sans rien chiffrer. Attac se félicite de cette « victoire politique », reconnaît néanmoins que « le compte n’y est pas », qu’« il faudrait appliquer une taxe d’au moins 0,1 % sur l’ensemble des transactions financières et bien entendu la rendre obligatoire ».
Mais avec un capitalisme qui se shoote à la spéculation, n’est-ce pas bien petit de ne pas le pénaliser autant que nos cigarettes et verres de rouge ?
Un audit de la dette ?
C’est l’axe phare pour Attac. Sous « contrôle citoyen » est-il précisé, il devrait déterminer les dettes qualifiées d’ « illégitimes ». Et donc les « légitimes » ? Attac propose de déterminer ce qui dans la dette publique serait un évident cadeau à la finance. Une fois séparé le bon grain de l’ivraie, les États pourraient refuser de payer la partie « illégitime », voire « odieuse », et renégocier avec les créanciers le paiement de l’autre, bref de procéder comme on dit dans le jargon à la « restructuration » de la dette.
Mais une « restructuration », n’est-ce pas le plus fréquemment une simple redéfinition des paiements, une renégociation comme une entreprise ou un particulier endetté y procède avec ses banquiers d’un allongement des délais avec ou sans révision du taux d’intérêt ? Et un banquier sait que dans certaines circonstances, il vaut mieux étaler les paiements, pour que la dette reste une source de profit... pour lui !
Plus précisément, sur ces « restructurations » ?
Dans le cas des États notamment, la « restructuration » peut aller jusqu’à une réduction de la valeur nominale des titres de la dette, c’est-à-dire de la somme à rembourser à la fin du prêt (ce qui ne veut pas dire la réduction des sommes à verser en intérêts toute la durée du prêt). Même cela n’a rien de subversif ! L’histoire du capitalisme a connu des centaines de restructurations de dettes. Attac en cite quelques-unes d’ailleurs : celle de la RFA en 1953 (un exemple à suivre paraît-il) et plus récemment, les renégociations des dettes de l’Argentine et de l’Équateur.
Dans le cas de la Grèce, la restructuration est déjà en partie engagée. L’accord de juillet 2011 prévoit bien un changement des taux d’intérêts et des durées des prêts. Entre banquiers, les titres de la dette grecque se vendent déjà à des prix largement inférieurs à la valeur nominale des titres en question. La moitié du boulot est fait par le miracle du marché lui-même !
Car le problème n’est pas de savoir si la Grèce obtiendra un étalement ou décote sur sa dette, mais quelles seront les conditions que les arbitres d’une éventuelle restructuration, FMI, BCE, UE, imposeront au peuple grec pour s’assurer du paiement des intérêts et garantir aux banquiers la sécurité de leurs nouveaux prêts.
Changer la fiscalité ?
Pour résorber la dette publique, Attac propose la suppression des niches fiscales, le rejet de tout abaissement de l’ISF, le rétablissement « progressif » du taux de l’impôt sur les sociétés à son niveau de 1985, c’est-à-dire 50 % (contre 33,3 %).
Pourquoi pas, pour commencer, et pas forcément de façon « progressive » ! Imposer les riches, d’accord. C’est le minimum. Mais à condition de ne pas faire croire que revenir aux taux d’imposition des années 1980 sortirait l’économie de la crise actuelle. On a certes vu dans le passé des gouvernements bourgeois prendre des mesures fermes : aux États-Unis, le taux de l’impôt sur le revenu pour les plus riches est passé de 25 % en 1932 à 79 % en 1936 ! Avec une efficacité pourtant limitée : seule la guerre a sorti les USA de la récession où le krach de 1929 les avait plongés.
Le financement par la BCE ?
Enfin, Attac demande que les États de la zone euro soient autorisés à emprunter directement auprès de la Banque centrale européenne. Ce qu’envisage Attac, c’est simplement de permettre aux États européens de faire ce que font les États-Unis auprès de la Fed, le Royaume-Uni auprès de la Banque d’Angleterre, etc.
Il est vrai que les traités européens interdisent à la BCE de prêter directement de l’argent aux États de la zone euro. Mais elle a déjà, aujourd’hui, outrepassé sa règle et racheté près de 150 milliards d’euros de dettes des États européens aux banques. Et vis-à-vis des États concernés, elle se comporte comme n’importe quelle autre banque : elle demande à être remboursée, avec les intérêts ! Face à la Grèce, la BCE est l’un des trois acteurs de cette Troïka (avec la Commission européenne et le FMI), qui menace en ce moment-même d’arrêter de prêter à la Grèce si celle-ci ne privatise pas suffisamment !
Attac précise : « les déficits publics doivent être en partie assurés par la BCE, en fonction des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, même si des contraintes de stabilité monétaire et financière doivent être prises en compte ». Bref faire tourner la planche à euros, mais pas trop vite ? Et qui jugera du caractère « social » des objectifs de cette institution ?
Socialisation des banques à l’échelle européenne ?
Attac précise que « Les banques renflouées par les fonds publics devront rapidement être socialisées, c’est-à-dire nationalisées et placées sous le contrôle démocratique des salariés, des citoyens et des pouvoirs publics ». Ledit « contrôle démocratique » mélangeant ici allègrement salariés, citoyens… et pouvoirs publics, mettant par avance ce prétendu « contrôle des salariés »… sous le contrôle de l’État bourgeois ! Mais des banques renflouées et nationalisées sous le contrôle de l’État, il y en actuellement de nombreuses dans bien des pays d’Europe et aux États-Unis. Et on pourrait voir demain les grandes banques françaises sauvées par l’État et mises sous le contrôle des pouvoirs publics. Pour certaines, ce serait juste le retour à leur statut d’il y a trente ans ! D’ailleurs l’État pourrait même inviter des représentants d’associations et de syndicats à leurs conseils d’administration, pour « contrôler »... Donc cautionner. Tant il est vrai qu’en l’absence de mobilisation d’ensemble du monde du travail, pour ne pas dire révolutionnaire, un tel contrôle n’est jamais qu’un attrape-réformiste de plus.
« Mettre en place une politique économique et sociale au service de la population », une « économie dynamique et innovante », « assurer une meilleure qualité de vie aux citoyens » ? Mais quel démagogue politique hésiterait à faire de telles promesses ? Surtout quand on n’indique pas les moyens de les tenir ?
« Désarmer la finance » ?
Au programme, l’interdiction des ventes « à découvert », c’est-à-dire de titres boursiers que l’on n’a pas, en spéculant qu’on pourra se les procurer moins cher demain ; quelques limitations au marché opaque des CDS, ces contrats d’assurance que l’on peut prendre et revendre sur des biens que l’on a pas, et à d’autres folles inventions des marchés financiers d’aujourd’hui. Et la création d’une nouvelle agence de notation européenne et publique, qui s’ajouterait aux agences de notations existantes.
Mais pour quel résultat ? Donner des informations plus fiables aux spéculateurs ?
Attac se présente avant tout comme donneuse de bons conseils aux États bourgeois et aux partis de gauche. Partant de l’idée chimérique qu’on pourrait amoindrir les maux du capitalisme en crise, sans avoir besoin de le renverser.
Tout plaide pourtant en sens contraire.
Michel CHARVET
Mots-clés : Attac | Capitalisme